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Kiraz (Les Parisiennes) : « Dassault attendait mon dessin tous les mercredis, il voulait qu’on le lui apporte en premier ! »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 1er février 2011                      Lien  
Né le 25 août 1923 au Caire de parents d’origine arménienne, le dessinateur de presse Edmond Kirazian, alias Kiraz, est surtout connu pour ses magnifiques dessins pastels représentant d’élégantes Parisiennes aux yeux en amande et aux jambes interminables que l’on a pu voir des années durant dans Jours de France et dans Playboy. Avec le temps, il est devenu le symbole d’une élégance un peu surannée pour laquelle on ne peut avoir que de la tendresse.

Quand êtes-vous arrivé en France ?

En 1946, juste avec le premier bateau qui partait d’Alexandrie pour Marseille. J’avais 22 ans. Le bateau était plein de mes copains qui arrivaient d’Égypte et qui voulaient émigrer en France. Mes parents m’avaient envoyé chez les Frères des écoles chrétiennes. J’ai toujours dessiné. Je n’ai jamais fait d’études artistiques, jamais ! D’ailleurs, je trouve que cela coupe tout !

Au début, je dessinais des dessins politiques où je caricaturais tous nos ministres égyptiens… J’avais un copain qui travaillait dans un journal et à qui j’avais donné mes dessins en lui disant : « Montre-leur ! ». La rédaction m’a téléphoné tout de suite et ils m’ont pris trente caricatures en même temps. J’avais 18 ans.

Savez-vous que j’ai travaillé avec Anouar El Sadate ? Il avait fait de la prison à la fin de la guerre car il avait roulé pour les Allemands contre l’occupant britannique. Aussitôt qu’il a été libéré, il a voulu faire du journalisme et il s’est retrouvé dans le même journal que moi.

Ça marchait bien pour moi en Égypte à cette époque-là. J’étais même le caricaturiste le plus réputé. Mon père était directeur aux Télégraphes et Téléphones et je gagnais l’équivalent de cinq fois son salaire !

Kiraz (Les Parisiennes) : « Dassault attendait mon dessin tous les mercredis, il voulait qu'on le lui apporte en premier ! »
Kiraz expose en ce moment à la galerie Baraz à Istanbul
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Pourquoi quittez-vous l’Égypte, alors ?

Je n’avais pas spécialement d’opinions politiques. J’aspirais à créer quelque chose et je ne me voyais pas dessiner des caricatures toute ma vie. Confronter un socialiste à un communiste, cela devenait à la longue un peu fatigant.

Mais à Paris, personne ne vous attend…

Ah ça, on ne m’attendait pas du tout ! Mais j’avais une copine en Égypte qui m’avait dit : « J’habite avenue Montaigne, si tu as besoin d’un logement, tu peux habiter là-bas. » C’était un hôtel particulier de 30 chambres… Et puis, comme j’avais gagné pas mal d’argent en Égypte, je pouvais rester trois ans sans travailler, si je le voulais ! Mais malheureusement, au bout d’un an, j’ai dû travailler, je n’avais plus d’argent ! (rires)

En face de chez moi, il y avait un journal. Vous êtes trop jeune pour l’avoir connu, il s’appelait La Bataille. Je leur ai apporté mes dessins. Ils m’ont dit : « Tu nous en apporte la semaine prochaine ! » Ça a marché comme cela.

- Il m’est arrivé une chose merveilleuse, maman : en traversant la rue, je me suis fait renverser par une voiture conduite par un photographe !
Dessin de Kiraz. Droits réservés.

On vous connaît aujourd’hui pour les Parisiennes. Comment se fait-il qu’un Égyptien ait pu incarner si bien la femme française ?

Il y a une raison à cela. En Égypte où je suis né, il y avait autour de moi des femmes grassouillettes. Et puis, tout d’un coup, à Paris, je vois des… libellules ! Vraiment, ça m’a frappé. Je pense que si j’étais né ici et si j’avais une petite sœur et une maman mignonne comme cela, je ne les aurais pas faites ainsi. J’ai fait pas mal de dessins pour Samedi Soir, France Dimanche, etc.

Et puis un jour Marcel Dassault m’a téléphoné et m’a dit : « Est-ce qu’un jour on peut travailler ensemble ? ». C’était un fan ! Je suis allé le voir, à Jours de France, et il m’a engagé.

Pendant trente ans, il m’a foutu une paix totale ! Je faisais ce que je voulais, personne dans la rédaction n’avait le droit de me faire une remarque, c’était sacré ! Dassault attendait mon dessin tous les mercredis, il voulait qu’on le lui apporte en premier ! Il était très gentil et il m’a beaucoup encouragé.

- Je ne sais plus comment les aborder. Dans le temps, je leur faisais un petit compliment sur leur maillot !
Dessin de Kiraz. Droits réservés.

En 1985, quand il est mort, j’ai voulu faire autre chose. De la peinture, des livres, des expositions…

En 1990, j’ai travaillé pour Gala, mais ce n’était plus cela. Mais j’ai toujours continué à travailler pour Playboy car, comme Marcel Dassault, Hugh Heffner est un fan ! Et je ne supporte que les fans !

Malheureusement, je deviens paresseux. Dans le temps, j’étais capable de faire dans la semaine une dizaine de dessins. Maintenant, quand j’en fais un ou deux, c’est le bout du bout, j’ai 87 ans quand même !

Propos recueillis par Didier Pasamonik

- Mais, tu ne vas pas sortir avec une tache sur ton pantalon !
Dessin de Kiraz. Droits réservés.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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11 Messages :
  • Suranné Kiraz ??? Comme tu y vas mon Didier... Je trouve Kiraz très pur et moderne, point de signes de décadences dans son art. Il n’a pas besoin de s’entourer d’artifices pour séduire , il va droit au but et avec style. Ici en Espagne le gars le plus reconnu en dessins de mode s’appelle Jordi Labanda, devine de qui il s’inspire ? Suranné ... hum .

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    • Répondu le 1er février 2011 à  13:56 :

      Monsieur Z lui a beaucoup emprunté aussi. C’est l’avantage d’avoir un style post-moderne rétro futuriste, qui est et reste surtout très classe.

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 1er février 2011 à  14:09 :

      Je ne disais pas de Kiraz qu’il était suranné. Je parlais de son élégance, oui, "vieille France", bien loin des "casse-toi-pov-conneries" que nous subissons aujourd’hui.

      Même stylistiquement on peut être suranné (dans le sens "qui, par son apparence, se rattache au passé") et moderne : Will est un très bon exemple, choisi au hasard, évidemment ;)

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      • Répondu par Sergio Salma le 1er février 2011 à  15:12 :

        Mais oui, Tati c’est suranné et moderne, les affiches de Dubout, les publicités...suranné n’est pas un terme uniquement péjoratif. il y avait un côté suranné dans Jojo, César de Tillieux etc...en fait Kiraz c’est son charme qui est suranné. Dans son style graphique mais aussi dans les idées.
        Etymologiquement ça signifie "qui a plus d’un an".

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        • Répondu le 1er février 2011 à  21:16 :

          suranné, démodé, désuet... l’idée est là, le terme n’est pas employé dans un sens péjoratif et négatif, mais pas exact puisque Kiraz revient souvent à la mode, un peu comme l’image d’Audrey Hepburn/Golightly. Le mot qui conviendrait, même s’il est trop actuel, serait vintage. Même si c’est mode et bobo de dire vintage. Mais peut-être que dans quelques années, vintage sera tombé en désuétude et devenu suranné...

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  • Ce qu’on peut retenir, c’est que dans les 30 glorieuses la vie était plus facile pour les dessinateurs. On amenait des dessins dans un journal et on vous publiait, en plus c’était bien mieux payé que de nos jours (quand vous apprenez par des anciens combien était payée la planche dans Pif dans les années 70, vous êtes sur le cul, même les petites pages de jeux des Pif poche étaient une manne sans fin).

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    • Répondu le 2 février 2011 à  08:28 :

      moi je retiens juste que Dassault était très gentil. Si ça c’est pas un scoop...

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      • Répondu par Sergio Salma le 2 février 2011 à  11:54 :

        Oui c’est vrai Dassault était très sympa. Puis aussi les 30 glorieuses ça se passait vraiment mieux que les 30 poisseuses qui sont venues après. Pendant les 30 glorieuses, on allait à l’école en culottes courtes dans des paysages verdoyants et y avait des Simca 1000 rutilantes et bleues. A 18 ans on avait le bac et on entrait dans la vie active sans se poser trop de questions. Les dessinateurs de bande dessinée allaient tranquillement chez Spirou et Tintin et on les accueillait à bras ouverts. Ils signaient des contrats à vie et étaient instantanément riches. Donc heureux, libres, épanouis. Les éditeurs leur faisaient des albums à tour de bras, leur fabriquaient des dessins animés dans la foulée, appelaient les auteurs à la maison pour savoir si tout allait bien et leur proposaient de les augmenter régulièrement. Les auteurs étaient reconnus dans la rue, on leur faisait la fête, la vie s’écoulait douce et charmante dans les villes et les campagnes non polluées . Puis on sait pas pourquoi ça a merdé.

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        • Répondu par ABD le 3 février 2011 à  12:21 :

          Dommage que l’oeuvre de Kiraz soit inaccessible comme celle des autres dessinateurs qui faisaient notre bonheur à l’époque (Jean Bellus...). Quelques images sur internet mais en livres... rien.

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          • Répondu par Marcello. P le 14 février 2011 à  20:25 :

            Je découvre ce site BD en frappant Kiraz sur Google. Je n’aime pas la BD mais je suis fan de Kiraz. Ce Monsieur a ensoleillé mon enfance bruxelloise où il y avait toujours un Jours de France qui trainait dans le salon. J’admire ces couleurs autant que son dessin très stylé. Une madeleine qui me poursuit toujours. Moi-même artiste peintre, je peux m’avancer en affirmant qu’il surpasse de beaucoup certains artistes institutionnalisés et glorifiés.

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          • Répondu par Michel Roudillon le 31 octobre 2015 à  15:28 :

            Tous les dessins d’illustrateurs ne sont pas inabordables.
            Réalisant régulièrement des ventes aux enchères de dessins de presse, je peux vous assurer qu’il est parfaitement possible d’acquérir des dessins originaux de BELLUS, TETSU,, FAIZANT et autres dessinateurs à partir de 100 euros.

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