Quand êtes-vous arrivé en France ?
En 1946, juste avec le premier bateau qui partait d’Alexandrie pour Marseille. J’avais 22 ans. Le bateau était plein de mes copains qui arrivaient d’Égypte et qui voulaient émigrer en France. Mes parents m’avaient envoyé chez les Frères des écoles chrétiennes. J’ai toujours dessiné. Je n’ai jamais fait d’études artistiques, jamais ! D’ailleurs, je trouve que cela coupe tout !
Au début, je dessinais des dessins politiques où je caricaturais tous nos ministres égyptiens… J’avais un copain qui travaillait dans un journal et à qui j’avais donné mes dessins en lui disant : « Montre-leur ! ». La rédaction m’a téléphoné tout de suite et ils m’ont pris trente caricatures en même temps. J’avais 18 ans.
Savez-vous que j’ai travaillé avec Anouar El Sadate ? Il avait fait de la prison à la fin de la guerre car il avait roulé pour les Allemands contre l’occupant britannique. Aussitôt qu’il a été libéré, il a voulu faire du journalisme et il s’est retrouvé dans le même journal que moi.
Ça marchait bien pour moi en Égypte à cette époque-là. J’étais même le caricaturiste le plus réputé. Mon père était directeur aux Télégraphes et Téléphones et je gagnais l’équivalent de cinq fois son salaire !
Pourquoi quittez-vous l’Égypte, alors ?
Je n’avais pas spécialement d’opinions politiques. J’aspirais à créer quelque chose et je ne me voyais pas dessiner des caricatures toute ma vie. Confronter un socialiste à un communiste, cela devenait à la longue un peu fatigant.
Mais à Paris, personne ne vous attend…
Ah ça, on ne m’attendait pas du tout ! Mais j’avais une copine en Égypte qui m’avait dit : « J’habite avenue Montaigne, si tu as besoin d’un logement, tu peux habiter là-bas. » C’était un hôtel particulier de 30 chambres… Et puis, comme j’avais gagné pas mal d’argent en Égypte, je pouvais rester trois ans sans travailler, si je le voulais ! Mais malheureusement, au bout d’un an, j’ai dû travailler, je n’avais plus d’argent ! (rires)
En face de chez moi, il y avait un journal. Vous êtes trop jeune pour l’avoir connu, il s’appelait La Bataille. Je leur ai apporté mes dessins. Ils m’ont dit : « Tu nous en apporte la semaine prochaine ! » Ça a marché comme cela.
On vous connaît aujourd’hui pour les Parisiennes. Comment se fait-il qu’un Égyptien ait pu incarner si bien la femme française ?
Il y a une raison à cela. En Égypte où je suis né, il y avait autour de moi des femmes grassouillettes. Et puis, tout d’un coup, à Paris, je vois des… libellules ! Vraiment, ça m’a frappé. Je pense que si j’étais né ici et si j’avais une petite sœur et une maman mignonne comme cela, je ne les aurais pas faites ainsi. J’ai fait pas mal de dessins pour Samedi Soir, France Dimanche, etc.
Et puis un jour Marcel Dassault m’a téléphoné et m’a dit : « Est-ce qu’un jour on peut travailler ensemble ? ». C’était un fan ! Je suis allé le voir, à Jours de France, et il m’a engagé.
Pendant trente ans, il m’a foutu une paix totale ! Je faisais ce que je voulais, personne dans la rédaction n’avait le droit de me faire une remarque, c’était sacré ! Dassault attendait mon dessin tous les mercredis, il voulait qu’on le lui apporte en premier ! Il était très gentil et il m’a beaucoup encouragé.
En 1985, quand il est mort, j’ai voulu faire autre chose. De la peinture, des livres, des expositions…
En 1990, j’ai travaillé pour Gala, mais ce n’était plus cela. Mais j’ai toujours continué à travailler pour Playboy car, comme Marcel Dassault, Hugh Heffner est un fan ! Et je ne supporte que les fans !
Malheureusement, je deviens paresseux. Dans le temps, j’étais capable de faire dans la semaine une dizaine de dessins. Maintenant, quand j’en fais un ou deux, c’est le bout du bout, j’ai 87 ans quand même !
Propos recueillis par Didier Pasamonik
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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