Ce nouveau shôjo manga [1] s’amuse avec les conventions de la comédie romantique tout en en conservant une partie de la dynamique. En effet dans ce type de récit l’héroïne se veut « banale », « naïve » et inexpérimentée », pour que la lectrice puisse s’y identifier. Un bon exemple est Rere:Hello qui dans le genre classique le fait très bien.
Dans Kiss Him, Not Me !, le premier motif se trouve gentiment bousculé, avec Kae, notre héroïne qui passe physiquement d’un extrême à l’autre (de « moche » à « canon »), dotée d’une passion otaku qui la met en décalage avec son entourage. Néanmoins ce trait lui confère en même temps naïveté et une certaine innocence, qui permet d’amener des situations classiques.
Avant d’entrer dans ce que propose le manga, commençons par définir le trait caractéristique de Kae : c’est une fujoshi, qui signifie littéralement « fille pourrie ». Un terme peu flatteur qui désigne au Japon les jeunes filles (ou femmes !) qui se passionnent pour les histoires d’amour entre hommes, qu’on désigne sous le terme général de yaoi [2].
Signalons qu’étant elle-même une fujoshi Junko a de quoi alimenter le sujet et elle y apporte un certain cachet, tout comme Tamiki Wakaki avec Que sa volonté soit faite.
Kae de son côté se trouve également être amatrice d’anime et de manga, et comme tout bonne fujoshi, elle aime mettre en couple les personnages masculins de ses séries favorites même si cela demeure gratuit et évidemment hors de propos. Une manie qu’elle déploie aussi au lycée en imaginant certains de ses camarades masculins en couple !
Lorsque le récit débute la vie de Kae suit son cours en toute simplicité. Avec son physique disgracieux elle n’est guère populaire auprès de la gent masculine, mais cela lui importe peu : elle a de bonnes amies et surtout une passion qui la comble.
Cependant un malheur va la frapper : son personnage favori et de son anime préféré va mourir au cours d’un épisode de cauchemar ! Le choc va se révéler si violent qu’elle va entrer dans une profonde dépression ! Restée enfermée plusieurs jours durant dans sa chambre, elle finit par en ressortir transfigurée : sa « déprime » l’a fait maigrir au point qu’elle est devenue méconnaissable… mais surtout un canon de beauté ! Une transformation dans un style humoristique qui donne le ton de la série !
Sans surprise, son retour au lycée va amener une révolution : rapidement les quatre plus beaux garçons du lycée vont tomber sous son charme et former une troupe qui ne va plus la lâcher.
Les péripéties qui articulent ces premiers tomes, outre la découverte de notre héroïne et de ses passions par ses prétendants, prennent la forme pour ces derniers d’une sorte de passage de l’autre côté du miroir ! Ainsi la fête du lycée va se révéler l’occasion de faire du cosplay puis les garçons vont découvrir les joies ou l’enfer du Comiket ! [3] Beaucoup d’humour donc, qui repose sur une passion à la fois un brin déviante, envahissante et assumée !
Le caractère de Kae s’avère bien affirmé et on ne boude pas notre plaisir de la voir s’enthousiasmer ou fantasmer sur ses prétendants… en les imaginant ensemble tout en restant insensible, du pour moins pour le moment, à leurs tentatives de séduction. De leur côté, les garçons sont moins marqués individuellement : ils existent pour le moment surtout à travers leur groupe et leur dynamique repose sur le contraste de leur tempérament et de leurs « stratégies », lorsqu’elles existent car nous en avons aussi un qui semble être là un peu par hasard.
Sans être d’une grande sophistication, la série se lit bien et amuse beaucoup, on se prend facilement au jeu. Le trait de Junko, classique du shôjo, c’est-à-dire au décor minimaliste centré sur les visages, est clair et précis, propose une mise en page soignée et rythmée. Un nouveau titre dans l’air du temps, agréable et fun, qui ravira les amateurs du genre mais aussi beaucoup d’autres car qui n’a pas de passion inavouable ?
(par Guillaume Boutet)
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Kiss Him, Not Me ! T1 & T2. Par Junko. Traduction Isabelle Eloy. Tonkam, collection "Shôjo". Sortie le 20 janvier 2016 & le 9 mars 2016. 160 pages & 192 pages. 6,99 euros.
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[1] Un shôjo manga est un manga destiné aux jeunes filles.
[2] Rappelons quelques termes, même si leur définition n’est pas absolue :
Yaoi : désigne une œuvre mettant en scène un récit romantique ou sexuel entre hommes,
Boy’s Love est un terme synonyme, tout comme Shonen ai.
Notons qu’en occident, certains amateurs différencient le Yaoi du Shonen ai, en considérant que le premier implique nécessairement un caractère pornographique, tandis que le second peut-être grand public. Dans ce cadre, le Boy’s Love devient le terme général, et le Yaoi et le Shonen ai ses deux sous-catégories.
[3] la plus grande convention japonaise de destinée essentiellement aux amateurs