Les success stories passent d’un art à l’autre. La bande dessinée a recueilli plus d’un récit de roman, de film, de pièce de théâtre ou d’opéra, qu’elle a inspirée parfois. Mais focalisons-nous plus spécifiquement sur un lien particulier à la littérature développé ces derniers temps.
Casterman est sans doute la maison d’édition la plus engagée dans ce mouvement grâce à son association avec Rivage Noir, mais aussi grâce à quelques premières adaptations réussies comme celle de Boro, reporter-photographe ou l’incontournable Nestor Burma. L’éditeur passe un nouveau cap en s’attaquant à des romans ayant dépassé le million d’exemplaires, tout en s’offrant deux des plus prolifiques scénaristes actuels pour réussir ce passage : Morvan et Corbeyran.
Marc Levy et la bande dessinée : une histoire d’amour possible
Marc Levy fait partie de cette nouvelle génération d’écrivains, avec Musso et d’autres, qui ont percé rapidement ces dernières années, autant au rayon littéraire que dans les adaptations de leurs ouvrages au cinéma. Les chiffres de vente de Marc Levy donnent le tournis : vingt millions de livres vendus, traduits en quarante-et-une langues, pour à peine dix romans. C’est l’un des écrivains français contemporain le plus lu au monde.
Son onzième roman est sorti depuis peu, Le Voleur d’ombres : Levy y mêle comme à son habitude un brin de fantastique pour traduire au mieux les amours et sentiments d’un jeune garçon, étudiant en médecine, et qui possède l’étrange faculté de comprendre les aspirations profondes de son prochain en leur subtilisant brièvement leur ombre. À la fois tendre et incisif sur les relations complexes que chacun noue avec ses proches, Levy parvient une fois de plus à émouvoir avec une écriture aussi simple qu’efficace.
Mais pour ceux qui n’auraient encore jamais lu un de ses romans, ou vu un des films qui en sont tirés, le meilleur moyen de le découvrir est sans doute cette première adaptation en bande dessinée, Sept jours pour une éternité 1ère partie, parue en septembre. Cette histoire en deux volumes narre le combat entre Dieu et le Diable. Ne pouvant trouver un terme à leur affrontement, ils dépêchent tous deux leur meilleur émissaire sur Terre, avec pour mission de les départager, le gagnant remportant décisivement le pouvoir.
Mais ce conte fantastique se double d’une histoire d’amour réunissant justement ces deux envoyés incarnés par une femme angélique dévouée à son prochain et par un beau gaillard ténébreux désirant déstabiliser le marché mondial en mettant à mal une holding d’investissement immobilier.
Tout l’intérêt du roman de Marc Levy ressort fort bien dans cette adaptation maîtrisée par Éric Corbeyran. On traverse ce mélange des genres en accordant autant d’intérêt à la rencontre entre les personnages principaux qu’à la bataille que se livrent en sous-main le bien et le mal. Corbeyran ‘retrouve’ d’ailleurs son dessinateur du Territoire et le 3e Œil, Espé et son trait qui marie harmonieusement le fantastique et le réalisme. En fin de volume, les auteurs nous permettent de jeter un œil inquisiteur sur leur travail, en proposant trois pages de croquis et d’interrogations sur la version adaptée.
Marek Halter : Aux racines de l’Histoire
Dans un tout autre genre, Casterman confirme son désir de s’attaquer aux best-sellers en publiant le premier tome d’une imposante série, La Mémoire d’Abraham, tiré du roman éponyme de Marek Halter, lequel nous confiait lui-même lui-même sa méconnaissance de la bande dessinée, compensée par son envie d’élargir l’audience du message d’apprentissage et de tolérance porté par son livre.
Ce récit de longue haleine adapté par JD Morvan se répartira sur un minimum de dix albums (comme les Dix Commandements ?), dont le deuxième est déjà prévu pour le mois de mars 2011. Il sera dessiné par le jeune Xavier Besse, tandis que le troisième tome profitera du trait du nerveux Zhang Xiaoyu qui nous avait épatés dans Crusades. Quant Steven Dupré continuera quant à lui de tisser le fil rouge de la saga, en mettant en scène Marek Halter aux prises avec ses recherches sur l’histoire complexe mais si humaine du peuple juif.
L’adaptation : effet de mode … ou effet de manche ?
Rencontrant ces romanciers et ces auteurs de BD, et sans qu’il y ait un rapport direct avec les albums qu’ils venaient de publier, je n’ai pu m’empêcher de me questionner sur l’efficacité supposée de l’adaptation de leurs romans.
Certes, le genre n’est pas neuf, et les exemples précurseurs sont légion : Sulitzer chez Dupuis, Shakespeare chez les Humanos ainsi que les adaptations de la regrettée collection noire, les maîtres de la S-F et du roman policier chez Claude Lefrancq éditeur, Stephen King et ses comics, ainsi que les dernières collections arrivées comme Noctambule, Ex-libris, etc.
Comme le cinéma a pu parfois manquer d’inspiration, la bande dessinée a-t-elle besoin d’aller puiser dans d’autres viviers pour se réinventer ? Sans doute pas, car le marché regorge justement d’auteurs et ce ne sont pas les projets qui manquent sur les tables des éditeurs ! Mais cette remarquable affluence de sorties (qui sera sans doute confirmée dans le rapport de l’ACBD pour 2010), l’adaptation en bande dessinée n’est-il pas un produit d’appel rassurant pour attirer le regard du lecteur sur les étals débordants des librairies ?
Même si les albums qui en résultent sont parfois fort éloignés de l’œuvre originale, l’effet demeure : on sera plus attiré ou piqué par la curiosité pour un album dont on connaît le propos, plutôt que faire la démarche vers une proposition inconnue que l’on reposera très vite au milieu des autres. Les éditeurs ne s’y sont pas trompés, en dégageant une part croissante de leur catalogue à des adaptations en tous genres : romans bien sûr, mais aussi blagues, chansons, voire de films...
Bien entendu, la thématique seule ne fera pas le succès de l’album, et il faut tout le talent d’un auteur pour rendre le contenu passionnant, comme le fait remarquer Michel Dufranne. Le fait est que le phénomène est en pleine croissance et ne semble pas prêt de s’arrêter.
(par Charles-Louis Detournay)
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