The Spirit est l’œuvre majeure de Will Eisner. Il y met en scène un détective, Denny Colt, qui se fait passer pour mort lors d’un affrontement avec un savant fou. C’est dans le cimetière où il est enterré qu’il établit son quartier général avec l’aide d’Ebony, un jeune comparse noir, et la bienveillante complicité du commissaire Dolan, le chef de la police. Entouré d’une équipe remarquable d’assistants, parmi lesquels le virtuose Lou Fine, Eisner alignera 645 épisodes des aventures de ce personnage, plus remarquables les uns que les autres.
Un corpus qui permet à Alan Moore, l’un des plus grands scénaristes actuels, d’affirmer : « Personne n’arrive à la cheville de Will Eisner. Si j’écris cela, ce n’est pas pour rabaisser les autres grands artistes que la bande dessinée a eu la chance de compter par le passé, quel que soit leur style. Personne ne pourrait nier la vitalité brûlante d’un artiste comme Jack Kirby, par exemple. Ni fermer les yeux sur la contribution des E.C. Comics, ô combien cultivés et raffinés. Cela dit, il semble qu’avant tout autre, c’est Eisner qui a su amener l’intelligence dans les comics. À mes yeux, personne n’a exploré les possibilités de ce support naissant avec autant d’acharnement et de réussite ; personne d’autre n’a réussi à créer un vocabulaire utile pour les différentes composantes et fonctions de la bande dessinée. » [1] C’est dire si la responsabilité de Frank Miller est écrasante.
Frank Miller et Will Eisner se connaissaient et s’appréciaient mutuellement, au point de conduire ensemble un entretien avec Charles Brownstein [2]. Miller peut donc se prévaloir de l’esprit du maître.
L’an dernier, notre collaborateur François Peneaud donnait la mesure de son appréhension : « Rappelons que le Spirit est un personnage qui, bien que très physique, est tout sauf un macho. Il est entouré de personnages féminins aux rôles aussi variés que subtils, dans des histoires pétries de second degré et de chaleur humaine. Tout le contraire des travaux de Miller ces dernières années... »
Et, de fait, les quelques informations qui filtrent aujourd’hui de la production du film ne laissent pas d’inquiéter : l’affiche de présentation du projet tout d’abord, aux contrastes bien plus crus et plus « millériens » qu’ « eisnériens ». Il semblerait aussi que la technique employée pour l’adaptation à l’écran soit proche de celle utilisée sur Sin City, une œuvre certes remarquable mais à l’antipode de la bonhomie du créateur du Spirit. « Ce sera bien plus subtil que cela » se récrie Miller, promettant que l’esprit du film sera conforme aux œuvres du maître. On l’espère, car dans 300, son dernier opus adapté au cinéma, Miller semblait avoir opté pour la testostérone plutôt que pour le talent.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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