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L’antiquité dans le manga : l’exception Thermae Romae ?

Par Aurélien Pigeat le 22 novembre 2012                      Lien  
Thermae Romae de Mari Yamazaki semble constituer un cas exceptionnel car ce manga conjugue un genre et un cadre qui jusque-là paraissaient ne pas s’être rencontrés dans le manga : le registre du manga historique d’une part et le décor de l’antiquité méditerranéenne d’autre part. Qu’en est-il exactement ?

Si le genre historique est florissant au sein du manga, il concerne naturellement d’abord l’histoire japonaise, et par extension les mythologies asiatiques.

De nombreux titres de Tezuka (Phénix, La Vie de Bouddha) ou Ishinomori (Musashi Miyamoto, Hokusai) en témoignent, mais aussi certains plus récents, comme par exemple Vagabond d’Inoue. Lorsque le manga historique regarde du côté de l’Europe, c’est plutôt pour s’emparer du XXe siècle, notamment de la Seconde Guerre mondiale et de ses conséquences : L’Histoire des trois Adolf de Tezuka, ou encore Monster d’Urasawa sont des emblèmes de cela. C’est parfois aussi pour se concentrer sur des cas particuliers comme la France révolutionnaire (La Rose de Versailles de Riyoko Ikeda ), l’imaginaire médiéval germanique ou normand (Vinland Saga de Makoto Yukimura).

L’antiquité méditerranéenne telle qu’elle est retranscrite dans Thermae Romae peut-elle être considérée comme un de ces cas spécifiques ?

Notre antiquité n’est pas pour autant absente du paysage du manga, mais elle est présente en dehors du genre historique. En effet, son imaginaire nourrit de nombreux récits à travers le prisme de références perçues comme universelles et repérables, reconnaissables pour un jeune lecteur japonais, intégrée dans de grandes fictions. Outre les références mythologiques, des emblèmes visuels servent également à tisser des liens vers cet imaginaire antique, sans pour autant être relié au moindre ancrage historique.

L'antiquité dans le manga : l'exception Thermae Romae ?
Saint Seiya - Par Masami Kurumada - Kana
© Kana

Le cas le plus évident de ce traitement est bien entendu celui de Saint Seiya de Masami Kurumada, série dans laquelle la mythologie grecque sert d’arrière-plan à l’intrigue : Les « Saints » ou Chevaliers du Zodiaque dans les premières traductions françaises, protégés par leurs « Myth Cloths », défendent la réincarnation d’Athéna face aux assauts des troupes de Poséidon et d’Hadès. Le dessins des temples des Gold Saints rappellent également le cadre antique et appuient les références mythologiques, très nombreuses et présentes tout au long de l’intrigue (Charybde et Scylla, les Sirènes, les trois Juges des Enfers, Orphée, Persée, Charon, etc.).

À côté de ce cas évident, il est possible de trouver de nombreux mangas qui s’appuient sur l’imaginaire antique, de manière ou moins prononcée : Pygmalion de Wada Shinji (mélange des mythes de Pygmalion et de Médusa autour de la statuaire), Pretty Gardian Sailor Moon de Naoko Takeuchi (lien avec des divinités romaines), « Stardust Crusaders », la troisième partie de Jojo’s Bizarre Adventure de Hirohiko Araki (les stands tirent leurs noms de divinités égyptiennes), Le Chant d’Apollon de Tezuka (avec un temple et une statue vaguement antiquisants et consacrés à la déesse de l’amour), ou encore certains arcs narratifs de One Piece d’Eiichiro Oda ou de Toriko de Mitsutoshi Shimabukuro qui mêlent les imaginaires de l’Égypte antique et des Mille et une Nuits (Alabasta pour le premier, Pyramide Gourmet – non encore publiée en France – pour le second).

Ainsi, Thermae Romae, de la mangaka Mari Yamazaki, a la particularité de se saisir de cet imaginaire fructueux pour lui redonner son ancrage historique initial, avec le succès que l’on connaît, au Japon comme en France.

Il serait flatteur pour nous de croire que la culture latine suscite un intérêt particulier chez le lecteur japonais, mais ce serait une erreur : il faut avant tout comprendre que ce manga, s’il prend pour héros et pour sujet un Romain et Rome, se situe en partie au Japon et décrit une pratique culturelle chère au Japonais. En effet, Thermae Romae aborde l’antiquité romaine par la pratique romaine des thermes qu’elle compare à celle, japonaise, des onsens, c’est-à-dire les bains.

Thermae Romae - Par Mari Yamazaki - Sakka
Lucius émergeant au Japon après avoir été aspiré au fond de l’eau à Rome... - © Sakka/Casterman

Le récit se déroule donc à Rome sous le règne d’Hadrien, et le héros, Lucius, est un architecte romain. Il propose un projet de thermes qui se voit refusé par ses commanditaires car calqué sur des pratiques jugées archaïques, qui ne correspondent pas à la modernité affichée par la Rome d’alors. Tentant de calmer sa frustration en se rendant aux thermes, il est victime aspiré au fond de l’eau et émerge de nos jours dans un onsen japonais. Alors qu’il découvre ce monde nouveau, il s’évanouit pour se réveiller à nouveau à Rome, mais comprend grâce à un détail qu’il n’a pas rêvé. Débutent des aller-retours entre la Rome d’Hadrien et le Japon contemporain au cours desquels Lucius va prendre des idées afin de faire carrière.

Les passages à Rome sont l’occasion de présenter, en s’appuyant sur des détails, certains aspects de la politique (place des esclaves et présentation d’un Consul), de l’histoire (érection de statues en l’honneur d’Antinoüs à la mort de celui-ci) et de la culture romaines. Le travail de documentation effectué par l’auteur est réel, et des pages bonus en fin de volume en témoignent. La culture antique se trouve bien appréhendée et représentée dans un manga, mais cela reste une exception, et s’inscrit dans le cadre d’un parallèle avec le Japon, les contrastes créés servant le comique, une des visées premières du titre.

Sora wa Akai Kawa no Hotori - Par chie Shinohara - Shogakukan
Yuri émergeant à Hatussa après avoir été aspirée au fond de l’eau au Japon... - © Shogakukan

C’est peut-être à cela que l’on doit ce phénomène « Thermae Romae », car en soi, ce titre n’est pas le premier à faire de l’antiquité méditerranéenne le cadre d’une action historique.

En particulier, le shojo de Chie Shinohara Sora wa Akai Kawa no Hotori – littéralement "Le Ciel sur les berges du fleuve rouge", aussi connu sous les titres de Red River par son édition anglophone chez Viz Media et Anatolia Story chez certains fans de manga – entretient des liens étroits avec Thermae Romae. Ce manga, publié à la fin des années 1990 dans le magazine Shojo Comic, situe son action en Anatolie, dans l’empire hittite, sous le règne de Suppiluliuma 1er, au XIVe siècle avant Jésus Christ. De nombreuses figures historiques, hittites et égyptiennes sont employées en tant que personnages de ce manga.

L’intrigue initiale rappelle cependant furieusement celle de Thermae Romae. En effet, l’héroïne, Yuri, est une jeune japonaise de quinze ans vivant à notre époque. Alors qu’elle manque d’être aspirée au fond de sa baignoire, elle est finalement entraînée à travers une flaque d’eau pour ressortir à une autre époque, en un autre lieu, au sein de l’empire hittite, dans un bassin public. , le parallèle entre Red River et Thermae Romae est finalement assez frappant, le voyage de Lucius vers le Japon constituant une sorte d’inversion de celui de Yuri vers Hattusa, la capitale hittite.

Toutefois, si les points de départ sont similaires, et si le rapport à l’antiquité méditerranéenne, par sa dimension historique, est bien du même ordre dans les deux mangas, tous deux diffèrent totalement par le déploiement de l’intrigue et le registre dominant. Red River est bien un shojo, mêlant aventure et romance, quand Thermae Romae relève davantage du gag manga. Le rapport à la culture référée n’est donc pas le même dans un cas et dans l’autre, et au jeu des parallèle, il serait finalement plus juste de rapprocher Red River de La Rose de Versailles, et Thermae Romae des Vacances de Jésus et Bouddha.

Sora wa Akai Kawa no Hotori - Par Chie Shinohara - Shogakukan
© Shogakukan

On peut alors se demander si l’engouement autour de Thermae Romae pourrait être l’occasion pour Red River de connaître un destin éditoriale en France. Cette perspective semble néanmoins bouchée par plusieurs obstacles : Chie Shinohara est une mangaka inconnue en France ayant débuté dans les années 1980 et son trait est très marqué par les codes graphiques de cette époque ; le titre, sans être réellement ancien, n’est plus actuel, et relève du coup du patrimonial, et alors que celui-ci peine à trouver son lectorat en France, en particulier pour le shojo ; la série est une vraie saga qui s’étale sur 28 volumes, de quoi malheureusement refroidir les ardeurs de bien des éditeurs de manga, plutôt intéressés à la recherche de séries courtes de nos jours.

Pour toutes ces raisons, et à moins que Thermae Romae n’entraîne un phénomène de mode au Japon, il y a de grandes chances pour que le manga de Mari Yamazaki reste en France l’unique référence de manga historique prenant l’antiquité méditerranéenne pour cadre. Peut-être cela le rend-il d’autant plus précieux.

(par Aurélien Pigeat)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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2 Messages :
  • Hum...
    Voyez aussi ici : http://www.ki-oon.com/mangas/tomes-426-virtus.html

    Répondre à ce message

    • Répondu le 22 novembre 2012 à  19:04 :

      Oui oui vous avez raison : j’aurais certainement dû mentionner Virtus, notamment dans le dernier paragraphe. A vrai dire, en réfléchissant à l’article, je me suis demandé si son édition récente en France lors de cette dernière rentrée était en partie dû au succès de Thermae Romae, pressenti, annoncé, ou pas du tout. N’ayant rien de concret là-dessus, j’ai bifurqué vers Red River qui présentait pour moi l’intérêt de ce parallèle étonnant dans les points de départ, et dont la publication est plus éloignée dans le temps de Thermae Romae que ne l’est Virtus. Et du coup j’ai omis d’évoquer Virtus...

      Répondre à ce message

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