On imagine mal le travail de titan que constitue un tel livre : 2200 articles dans des domaines aussi contrastés que ceux du manga, des comics et de la bande dessinée franco-belge. Quel trésor de connaissances, doublé d’un intense travail de vérification, n’a-t-il pas fallu accumuler pour obtenir cela ? Je connais un peu Patrick Gaumer. C’est le moins bling-bling de nos critiques de bande dessinée, très rarement dans les pince-fesses en ville. C’est un cloîtré. On lui doit des livres d’histoire (Le Journal de Pilote, Les Éditions du Lombard,… ), des biographies et des livres d’entretien (Goscinny, Tibet, Duchâteau et bientôt Rosinski) et quelques commissariats d’exposition (la dernière à propos de David B, à Blois)…
Un ouvrage tel que Le Larousse de la BD est éminemment utile par les temps qui courent, surtout lorsque près de 4.000 publications déboulent chaque année sur les tables des libraires.
La connaissance de la BD, nous l’avons tous, à l’état natif, par notre propre expérience : un peu de temps passé dans une Fnac ou à la bibliothèque ou encore en piochant la collection des amis suffit à orienter nos choix et à goûter les meilleurs ouvrages. Mais l’abondance de ces dernières années, aussi jouissive et porteuse de diversité et d’innovation soit-elle, devient paradoxalement un handicap : le quidam ignorant des grands courants de la bande dessinée a bien du mal à savoir par où commencer dans cette pléthore. Pire : c’est de nature à lui faire peur.
Une synthèse
Le Larousse de Gaumer fait ce nécessaire travail d’apaisement : il prend l’amateur de BD par la main et le promène à travers tous les genres et les personnalités du 9ème art. Sur 956 pages, avec l’appui de quelque 1200 images, il offre une synthèse qui organise la connaissance de la BD en lignes de forces dont il retient les « essentiels », pour utiliser une terminologie angoumoisine dévoyée par ses propres créateurs.
Ce faisant, Patrick Gaumer assume ses choix seuls. Quand il fait entrer dans son dictionnaire Bastien Vivès, Julie Doucet, Marc Pichelin, Ludovic Debeurme, Gipi ou Lisa Mandel aux côtés de figures historiques comme Moebius, Paul Gillon, Martial, Laudy, Hunt Emerson ou Chantal Montellier, il énonce ses choix.
Quand il y introduit des séries comme Dofus de Tot ou Naruto de Masashi Kishimoto, il montre son éclectisme. On pourra toujours s’interroger : Pourquoi Xavier Dorison et pas Fabien Nury ? Pourquoi Rupert, l’ours de Mary Tourtel et pas les talentueux Ruppert & Mulot ? Pourquoi Dupuis, Dargaud et Glénat et pas Delcourt ou L’Association ? C’est oublier que la connaissance est d’abord une expérience personnelle et qu’un dictionnaire n’est qu’une source dans un monde imparfait. Gaumer essaie de concilier anciens et modernes, icônes branchées et vieilles branches de collectionneurs. L’exercice est périlleux, mais passionnant.
Un exercice difficile
En publiant son dictionnaire, Pierre Larousse essuya les foudres de l’Église. Il fut mis à l’index des livres interdits par le Saint-Office de l’Inquisition romaine en un temps où le délit de blasphème existait encore en France. Larousse avait des idées républicaines et osait mettre en doute le dogme divin. Il pensait que le peuple s’affranchissait par le savoir.
Avec sa démarche toute pédagogique, ses exposés clairs et son gai savoir, Gaumer est sur la même longueur d’onde. Il nous fait aimer une bande dessinée sans œillère et sans frontière, comme en témoigne son cahier central où l’on découvre la bande dessinée africaine, brésilienne, finlandaise ou chinoise dont le plus souvent, car il faut bien faire ce constat, nous ignorons tout.
Sans doute verra-t-il son ouvrage mis à l’index par quelques intégristes qui n’apprécient pas qu’il y fasse figurer Kid Paddle ou Lanfeust… C’est le lot de chacun depuis qu’Adam & Ève ont essuyé le courroux divin en consommant le fruit de l’arbre de la connaissance et Prométhée celui de Zeus en apportant le feu à l’Homme…
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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