Spirou, c’est 51 albums d’une série-mère depuis 1944, plus 14 albums du Petit Spirou depuis 1990, des hors-série « Spirou de… » depuis 2004, sans parler de la tentative de création d’un manga Spirou, ni des nombreuses éditions en différents formats digest, intégrales, etc. Et, bien entendu, c’est depuis 1938 plus de 3000 livraisons de « l’hebdomadaire de la bonne humeur » tiré chaque semaine à près de 100.000 exemplaires et doté de 350.000 lecteurs.
Ce sont aussi 52 puis 26 épisodes de dessins animés pour la télévision qui seront prolongés en 2012 par un dessin animé en long métrage et par une nouvelle série de dessins animés avec Le Petit Spirou.
Une course-relais
Cette licence est la propriété des éditions Dupuis qui la « prête » à différents auteurs depuis 1940, année où le créateur du personnage, le Français Robert Velter le céda à l’éditeur de Marcinelle. Aujourd’hui, la « marque » Spirou représente entre un quart et un tiers du chiffre d’affaire de toutes les éditions Dupuis, c’est dire si elle est stratégique.
« C’est une course-relais entre dessinateurs et scénaristes depuis 1938, confirme Benoit Frippiat, éditeur en titre du personnage chez Dupuis. Il est nécessaire de bien coordonner les sorties, de bien communiquer dessus, de faire en sorte de ne pas sortir un « Spirou & Fantasio », un « Spirou de… » et un « Petit Spirou » à la même date. Spirou, c’est un code couleur : Du rouge, du noir et un bouton jaune et un patrimoine, comme en témoigne le fac-similé du Spirou de Franquin de 1946 que nous avons publié, tandis que le premier album de Jijé, « Spirou & l’aventure » de 1944 paraît en fin de cette année. »
Un recentrage nécessaire
Le directeur éditorial de Dupuis, Sergio Honorez ne tarit pas d’éloge sur les deux nouveaux repreneurs de la série : « Nous leur avons donné carte blanche pour trois albums minimum, histoire qu’ils impriment leur marque. Je ne suis pas inquiet pour cette reprise, et eux non plus, ce qui m’angoisse un peu, je dois dire. Mais il faudra juger leur prestation sur les trois prochains tomes. » Il constate que les albums d’Emile Bravo et de Yann et Schwartz avaient un peu trop attiré l’attention de la critique et du public sur la collection parallèle et il compte sur ses nouveaux poulains pour recentrer l’attention sur la série régulière.
Le recentrage était également nécessaire artistiquement car, au niveau du dessin, avec le dernier album signé Fabrice Parme, Panique en Atlantique, l’usage du personnage était arrivé à son niveau le plus bas. Ce que nous reprochions au dessin de Parme appliqué à Spirou & Fantasio, c’était sa nostalgie en toc pour un style de dessin popularisé par Stephen Bosustow dans les années 1950.
Or voici ce que pensait René Goscinny de ce genre de dessin : « J’ai été emballé par les premiers Bosustow, les « Gerald MacBoeing-Boeing », les « Mister Magoo »… Je me suis un peu refroidi car Bosustow a envoyé le dessin animé sur une mauvaise pente, par par volonté d’ailleurs, mais parce que l’on s’est aperçu que son style état non seulement facile à piquer, mais encore économique. Dès lors, on a commencé à exagérer dans l’économie et on a inventé cette aberration qui est le style télévision. Or, le style télévision, ça n’existe pas. Donnez un Walt Disney à la télé, il passe très bien. Seulement comme la télévision, partout et même aux États-Unis, paie très mal, on fait des dessins animés très bon marché. Or, c’est Bosustow qui nous a mis sur la voie avec ses personnages où seule la bouche remue. Très vite, après le premier enthousiasme, j’ai compris que c’était un cul de sac. Ça a fait du mal, je le crois vraiment. »
Ce graphisme de gouacheur appliqué à Spirou est un véritable hiatus dans un univers où le dessin a toujours été roi. Il n’y a pas que le graphisme qui ait été attenté dans ce dernier album : à aucun moment, le scénario de Trondheim ne développe un univers qui appelle l’aventure. Cela a été une suite de saynètes hystériques et grimaçantes dans un huis-clos qui n’était qu’une parodie grinçante. L’insistance avec laquelle les éditeurs de Dupuis soulignent que la série « Spirou & Fantasio de… » n’a rien à voir avec la série régulière est en soi un aveu de leur gêne. Espérons que cette parenthèse soit définitivement close.
Une reprise réussie
Dire que nous sommes entièrement satisfaits du nouvel album de Yann & Vehlmann, Spirou & Fantasio : Alerte aux Zorkons est peut-être aller au-delà de la réalité. Mais nous sommes pour le moins rassurés.
Yoann ne trahit pas l’esprit de la série. La plupart des dessinateurs de Spirou restaient dans une tradition de dessin « franco-belge » héritée de Walt Disney et synthétisée par Franquin : un trait ample et rond, mais néanmoins réaliste, nerveux et enjoué, susceptible de développer un univers aux personnages et au décor loufoques, avec une justesse dans les gestes et les mimiques qui, chez Franquin, avait atteint des sommets.
La principale réussite d’Alerte aux Zorkons est d’avoir réintroduit une ménagerie fantastique qui était la marque de fabrique du créateur du Marsupilami et des Brothers. La « jungle » champignacienne est à ce titre exemplaire et on sent que les auteurs se sont amusés à créer cette galerie de personnages extraordinaires. Le dessin de Yoann le place dans les meilleurs animaliers de la série après Franquin et Roba.
Au niveau du scénario, Vehlmann agit en orfèvre et joue très bien des contradictions entre les conventions de la série et la perception du lecteur contemporain. Déjà, dans le précédent album de Spirou qu’il avait réalisé avec son complice, les Géants pétrifiés, il s’était débarrassé du costume du groom, ce qu’il se garde bien de faire ici.
À ce propos, j’ai une anecdote à raconter : à Mexico City dans un festival de BD, j’ai été amené à faire une animation devant une classe d’élèves du Lycée Français. Je leur montrai la couverture du premier Spirou & Fantasio de Yoann & Vehlmann. Comme j’essayais d’attirer leur attention sur l’abandon du calot et du costume pour le personnage, je leur posai la question : comment est-il habillé ? Ils ne s’étaient même pas aperçu que notre groom n’était pas costumé comme à l’ordinaire. L’un d’eux lâcha cependant : « Il a des Converse ! » faisant allusion aux baskets étoilées portées par le personnage. Cela illustre la force de la convention. Vehmann joue très bien avec elle et le seul reproche que l’on pourrait lui faire dans cet album, est qu’il est encore mal à l’aise dans une définition crédible du rapport entre les personnages. Entre Spirou et Fantasio, entre Champignac et Zorglub, les rapports restent artificiels. Mais on peut comprendre que comparés aux 22 ans du règne de Franquin et aux 14 ans de celui de Tome et Janry, ce court récit de 54 pages ne lui ait pas encore permis de prendre ses marques. C’est pourtant là qu’on l’attend.
Il n’empêche que cet album convainc par ses qualités d’écriture, par l’intelligence de ses dialogues et par sa capacité à développer en quelques pages un univers complètement ébouriffant qui rend hommage, autant qu’il l’enrichit, à la série initiale. Vehlmann ne s’est pas fichu de nous : il a tout ce qu’il faut pour devenir le Chris Claremont de la série régulière de Spirou [1]
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Le calendrier Spirou dans ces prochains mois
OCTOBRE 2010 : Intégrale Spirou Tome 10
NOVEMBRE 2010 : Fac Simile Spirou & l’aventure de Jijé
NOVEMBRE 2010 : Le Petit Spirou T15
FEVRIER 2011 : Intégrale Spirou Tome 11
AOÛT 2011 : Compil Le Petit Spirou
SEPTEMBRE 2011 : Spirou & Fantasio T 52
OCTOBRE 2011 : Intégrale Spirou T12
FEVRIER 2012 : Long métrage d’animation Spirou & Fantasio
FIN 2012 : Série de dessins animés Le Petit Spirou
Lire l’interview de Fabien Vehlmann et de Yoann
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Lien vers le site de Yoann et le blog de Fabien Vehlmann
Illustrations : © Yoann, Vehlmann & Dupuis
[1] Chris Claremont passe pour être celui qui a renouvelé la série américaine des X-Men, personnages phare de la Marvel.
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