On compare souvent le travail de Philippe Druillet à l’opéra. On a raison : il y a chez lui du grandiose, du mythique, du symbolique, du cryptique. On assiste à un spectacle inouï qui vous extrait du monde intelligible, si bien qu’il est parfois nécessaire de se référer au livret pour comprendre ce que l’on a vécu.
Druillet, c’est un style, une véritable ambition artistique qui a libéré la bande dessinée de sa gangue enfantine, de l’aventure utilitaire et mesquine qui nécessite un début, une fin, un héros sans peur et sans reproche. Il nous emmene dans une aventure baroque qui a impulsé toute une lignée. Bilal, même Baudoin, Blutch ou Sfar viennent de là...
Inutile de rappeler le rôle qu’a joué dans l’histoire de la bande dessinée cette rencontre stylistique improbable entre l’univers foisonnant de l’auteur de comics Jack Kirby et l’abstraction lyrique du peintre Georges Mathieu.
Druillet paraît d’abord chez Losfeld en 1966, Losfeld l’éditeur d’Histoire d’O, des Surréalistes et de Clovis Trouille, mais surtout de Barbarella, ce marqueur de la bande dessinée moderne.
René Goscinny, dénicheur de talents originaux, l’alpague, quoiqu’un peu effrayé, pour l’amener chez Pilote où ses pages ont marqué une génération autant que celles de Jean Giraud, de Gotlib ou de Reiser.
Enfin, il y a l’aventure de Métal Hurlant dont il est l’un des fondateurs et dont le titre lui va aussi bien que les nombreuses bagouses que Druillet, géant perpétuellement habillé de noir, trimballe à ses doigts.
Si l’homme est flamboyant, son travail ne l’est pas moins. Druillet qui, enfant, a croisé le peintre surréaliste Salvador Dali à Figueras a sans doute compris que la folie était une composante essentielle de la création. Délirius qu’il créa en 1972 dans Pilote, avec Jacques Lob au scénario rappelle ce vocable qui invoque l’abandon de tous les sens.
Bon scénariste, Lob a su poser l’univers de Druillet pour en faire un solide péplum spatio-temporel pétri de western. Malheureusement, l’histoire ne s’acheva pas car Druillet s’engouffra dans l’aventure absorbante des Humanoïdes Associés, tandis que Jacques Lob décéda prématurément en 1992. Les œuvres de Druillet elles-mêmes, menacées de déclassement en raison de la cécité de ses éditeurs, faillirent disparaître plus d’une fois de la librairie.
Mais finalement, grâce au rachat du catalogue d’Albin Michel, Jacques Glénat, véritable passionné que l’on a voulu trop vite faire passer pour un éditeur mercantile, ressort l’intégrale du travail de Druillet sous son label Drugstore. Avec au passage cette surprise : une suite et fin donnée à Délirius par Benjamin Legrand et Philippe Druillet 40 ans après l’impulsion initiale.
Druillet y est comme à son habitude impérial, bien soutenu par une histoire qui accompagne ses fulgurances. Une bonne introduction au travail d’un dessinateur qui n’a pas d’équivalent dans l’espace francophone.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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