Bon, OK, il y a l’effet Fukushima, les fans en tiennent compte. Les Japonais eux-mêmes sont dans la pudeur. Ils sont tous présents cependant : mangakas, musiciens, créateurs de mode ou de jeu vidéo, cosplayers...
Le grand dessinateur Naoki Urasawa a électrisé le public et chacun des autres invités a fait son job. Les fans n’ont pas été déçus. ils étaient plus de 200.000 a se presser à Villepinte pendant ces quatre jours. Record battu.
La plupart des éditeurs hexagonaux qui ont reçu la nouvelle de la reprise en mains japonaises du marché français du manga (voir l’affaire Shueisha-Kazé), devisaient avec pragmatisme. Chacun était bien conscient de la difficulté qui attend les impétrants : elle est colossale. La naïveté romantique d’un Dominique Véret, pour fantasque qu’elle puisse paraître, avait été un moteur nécessaire qui pourrait bien leur manquer.
Faces de carême
La librairie, c’est devenu une habitude, est calme depuis le début de l’année. Là encore, on gère. Les objectifs commerciaux sont tenus et ce sont plutôt les retours qui distribuent aujourd’hui les places de gagnants et de perdants. En attendant la fin de l’année où l’on a réservé ses plus grosses cartouches et où ce sera vraiment la guerre, on gère.
Même les plus petits éditeurs sont d’un réalisme affligeant. L’important est de durer. Les libraires ont la face de carême d’Angela Merkel. La figure de proue de la profession est devenue le héros d’Animal Lecteur, la BD de Salma & Libon, dont le feuilleton passe actuellement dans Spirou. En ce moment, il a une sciatique, le pauvre. Salma est-il conscient de sa métaphore ? : notre libraire est, littéralement, coincé. Il ne peut plus bouger. Alors, il gère...
Un blogueur de BD fatigué prônait naguère dans une de ses chroniques, "un an sans bande dessinée" : "Des œuvres injustement dissimulées derrière de grosses machines commerciales auraient peut-être la chance de toucher un public qui aurait aussi le temps et les moyens de se les approprier. La concurrence du calendrier n’aurait plus de raison d’être, et on laisserait le temps aux lecteurs de faire fonctionner le bouche-à-oreilles..." C’est cela, oui. On pourrait demander aussi aux propriétaires d’oublier leur loyer pendant un an et au nourrisson d’arrêter de geindre dans le même temps. Il y a d’un côté ceux qui gèrent et de l’autre, des discours populistes d’opinionistes sans responsabilité, ni enjeu.
Dans une chronique plus récente, le même se décrivait ainsi parcourant les allées de Japan Expo : "Je m’étonnais du gigantisme de l’évènement, des investissements et efforts consentis par certains acteurs avec notamment plusieurs stands spectaculaires..." Notre gros lourd a cent ans. Tous ces jeux vidéo qu’il ne comprend pas, ces animes qu’il n’a pas vus, ces goodies qui ne lui font aucun bien, ces mangas publiés de façon pléthorique et qu’il n’a apparemment aucun plaisir à lire,... Tout cela, c’est trop pour lui. "Est-ce que Japan Expo n’est pas devenu "trop gros" ?" concluait-il. C’est plutôt lui qui ne comprend plus rien au film.
Cette péroraison de la "surproduction", on ne la que trop entendue. Elle est contenue dans chaque rapport de Gilles Ratier (monsieur "encore plus"), chaque année depuis plus de 15 ans. Elle fait fi de l’esprit pionnier qui habite chaque créateur, chaque éditeur, chaque libraire qui arrive sur le marché avec l’idée d’y faire sa place au soleil et pour qui rien n’est donné, tout est difficile. Ce sont des étrangleurs d’espoir, des étouffeurs de rêve.
Retrouver l’esprit pionnier
Depuis que je suis dans ce métier, je n’ai vu aucun auteur -fut-il le plus grand- trouver que sa pratique était facile. Relisez les propos de Hergé, de Goscinny, de Franquin, d’Uderzo, de Will Eisner, de Peyo, de Morris, de Pratt... Leur vie a été un combat, toujours conduit avec passion. Mais aussi avec dignité.
Hélas, il y aura toujours des gens qui auront l’indécence de rapporter que Morris était pingre, oubliant qu’il a vu de près la misère à New York, pour trouver Uderzo insolemment riche, alors qu’il a été tricard chez tous les éditeurs pour raison syndicale en plein démarrage de son parcours professionnel. On mettra en relief les faiblesses politiques d’un Hergé, alors qu’il a bâti sa carrière dans le doute le plus absolu. Or, pour ces grands anciens, leur œuvre est issue d’une époque qui a connu des horreurs bien pires que celles que nous vivons aujourd’hui. Jamais leur travail n’a concédé à la morosité ambiante.
L’autofiction nous a légué des enfants gâtés et la critique de bande dessinée des imbéciles. Oubliez-les et retrouvez l’esprit pionnier de nos pères !
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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