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LA CHRONIQUE NARQUOISE DE DIDIER PASAMONIK : Mais où est donc passé l’esprit pionnier ?

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 11 juillet 2012                      Lien  
La séquence Japan Expo et Comic Con' est toujours un moment privilégié car elle arrive au mitan de l'année, à six mois d'Angoulême. Cela permet d'humer l'ambiance. Et le moins qu'on puisse dire, c'est que ce n'est pas terrible.

Bon, OK, il y a l’effet Fukushima, les fans en tiennent compte. Les Japonais eux-mêmes sont dans la pudeur. Ils sont tous présents cependant : mangakas, musiciens, créateurs de mode ou de jeu vidéo, cosplayers...

Le grand dessinateur Naoki Urasawa a électrisé le public et chacun des autres invités a fait son job. Les fans n’ont pas été déçus. ils étaient plus de 200.000 a se presser à Villepinte pendant ces quatre jours. Record battu.

La plupart des éditeurs hexagonaux qui ont reçu la nouvelle de la reprise en mains japonaises du marché français du manga (voir l’affaire Shueisha-Kazé), devisaient avec pragmatisme. Chacun était bien conscient de la difficulté qui attend les impétrants : elle est colossale. La naïveté romantique d’un Dominique Véret, pour fantasque qu’elle puisse paraître, avait été un moteur nécessaire qui pourrait bien leur manquer.

Faces de carême

La librairie, c’est devenu une habitude, est calme depuis le début de l’année. Là encore, on gère. Les objectifs commerciaux sont tenus et ce sont plutôt les retours qui distribuent aujourd’hui les places de gagnants et de perdants. En attendant la fin de l’année où l’on a réservé ses plus grosses cartouches et où ce sera vraiment la guerre, on gère.

Même les plus petits éditeurs sont d’un réalisme affligeant. L’important est de durer. Les libraires ont la face de carême d’Angela Merkel. La figure de proue de la profession est devenue le héros d’Animal Lecteur, la BD de Salma & Libon, dont le feuilleton passe actuellement dans Spirou. En ce moment, il a une sciatique, le pauvre. Salma est-il conscient de sa métaphore ? : notre libraire est, littéralement, coincé. Il ne peut plus bouger. Alors, il gère...

Un blogueur de BD fatigué prônait naguère dans une de ses chroniques, "un an sans bande dessinée" : "Des œuvres injustement dissimulées derrière de grosses machines commerciales auraient peut-être la chance de toucher un public qui aurait aussi le temps et les moyens de se les approprier. La concurrence du calendrier n’aurait plus de raison d’être, et on laisserait le temps aux lecteurs de faire fonctionner le bouche-à-oreilles..." C’est cela, oui. On pourrait demander aussi aux propriétaires d’oublier leur loyer pendant un an et au nourrisson d’arrêter de geindre dans le même temps. Il y a d’un côté ceux qui gèrent et de l’autre, des discours populistes d’opinionistes sans responsabilité, ni enjeu.

Dans une chronique plus récente, le même se décrivait ainsi parcourant les allées de Japan Expo : "Je m’étonnais du gigantisme de l’évènement, des investissements et efforts consentis par certains acteurs avec notamment plusieurs stands spectaculaires..." Notre gros lourd a cent ans. Tous ces jeux vidéo qu’il ne comprend pas, ces animes qu’il n’a pas vus, ces goodies qui ne lui font aucun bien, ces mangas publiés de façon pléthorique et qu’il n’a apparemment aucun plaisir à lire,... Tout cela, c’est trop pour lui. "Est-ce que Japan Expo n’est pas devenu "trop gros" ?" concluait-il. C’est plutôt lui qui ne comprend plus rien au film.

Cette péroraison de la "surproduction", on ne la que trop entendue. Elle est contenue dans chaque rapport de Gilles Ratier (monsieur "encore plus"), chaque année depuis plus de 15 ans. Elle fait fi de l’esprit pionnier qui habite chaque créateur, chaque éditeur, chaque libraire qui arrive sur le marché avec l’idée d’y faire sa place au soleil et pour qui rien n’est donné, tout est difficile. Ce sont des étrangleurs d’espoir, des étouffeurs de rêve.

Retrouver l’esprit pionnier

Depuis que je suis dans ce métier, je n’ai vu aucun auteur -fut-il le plus grand- trouver que sa pratique était facile. Relisez les propos de Hergé, de Goscinny, de Franquin, d’Uderzo, de Will Eisner, de Peyo, de Morris, de Pratt... Leur vie a été un combat, toujours conduit avec passion. Mais aussi avec dignité.

Hélas, il y aura toujours des gens qui auront l’indécence de rapporter que Morris était pingre, oubliant qu’il a vu de près la misère à New York, pour trouver Uderzo insolemment riche, alors qu’il a été tricard chez tous les éditeurs pour raison syndicale en plein démarrage de son parcours professionnel. On mettra en relief les faiblesses politiques d’un Hergé, alors qu’il a bâti sa carrière dans le doute le plus absolu. Or, pour ces grands anciens, leur œuvre est issue d’une époque qui a connu des horreurs bien pires que celles que nous vivons aujourd’hui. Jamais leur travail n’a concédé à la morosité ambiante.

L’autofiction nous a légué des enfants gâtés et la critique de bande dessinée des imbéciles. Oubliez-les et retrouvez l’esprit pionnier de nos pères !

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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13 Messages :
  • Je suis flatté : "gros lourd", "blogueur (...) fatigué" ; "opinionistes sans responsabilité, ni enjeu" ; "(...)qui ne comprend plus rien au film".
    Sans nul doute c’est la consécration, merci !

    Sinon, quitte à se lire, autant le faire correctement : je ne pronais pas "un an sans bd" mais imaginais, limité par mes moyens intellectuels ça va de soit, ce qu’il se passerait "si", dans une démarche ludique et sans aucune prétention.

    En outre, le billet sur Japan Expo ne pointe pas la surproduction, il est un ressenti subjectif du gigantisme de l’évènement mis en perspective avec mes expériences précédentes.

    Tu écris : "Tous ces jeux vidéo qu’il ne comprend pas, ces animes qu’il n’a pas vus, ces goodies qui ne lui font aucun bien, ces mangas publiés de façon pléthorique et qu’il n’a apparemment aucun plaisir à lire,... Tout cela, c’est trop pour lui. "Est-ce que Japan Expo n’est pas devenu "trop gros" ?" concluait-il. C’est plutôt lui qui ne comprend plus rien au film."
    Où vois-tu dans mon billet que je n’aime pas ça ? Que je n’y prends aucun plaisir ? Sur quoi t’appuies-tu pour dire que je ne les comprends pas ? Me connais-tu suffisamment pour porter ce type de jugement d’une condescendance admirable ? Crois-tu que je sois à ce point inconséquent pour ne pas prendre ma responsabilité (si, si, elle existe) à chaque mot écrit sur mon blog ? Que cherches-tu derrière ce genre de provocation puérile ?

    Je suis perplexe. Flatté aussi. Qu’un si brillant esprit comme le tien s’abaisse au niveau du mien, c’est quelque chose. Il m’est toujours utile de recevoir une leçon de quelqu’un pour qui j’ai de l’estime et avec qui j’ai eu, dans un temps révolu certes, une relation à mes yeux précieuse et cordiale.

    A part ça, des belles trouvailles au niveau des lectures, récemment ?

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  • Retrouver l’esprit pionnier c’est peut être donner un coup de pied dans la fourmilière.Faire sortir la BD de ses systématismes, aujourd’hui une vraie cage, et lui donner un bon bol d’air frais. C’est peut être aussi ne plus dire que la figure de proue de la profession est le libraire-pourquoi pas l’éditeur !!- mais bien l’auteur.Parce que si le premier gère et le second digère ,le dernier(!)lui déguste !

    Il devient aujourd’hui impératif de se montrer créatif pour lui redonner du pouvoir d’achat à ce créateur et,accessoirement de se préoccuper de celui du lecteur.ça n’a l’air de rien comme ça mais quand même...Finalement la surproduction a bon dos,la pesanteur n’est pas toujours où on croit..Retrouver l’esprit pionnier c’est peut être pour la BD retrouver ce chemin de traverse qui lui allait si bien.

    La légitimation institutionnelle:c’est bon pour ceux qui vivent assis sur leurs rentes...

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    • Répondu par Sergio SALMA le 14 juillet 2012 à  21:29 :

      En quoi la bande dessinée est -elle une cage ? C’est quoi au fait LA bande dessinée ? On ne comprend pas. Qui a dit ( à part Filipetti dans un discours maladroit) que le libraire et l’éditeur sont les figures de proue ? Si on pousse le raisonnement ce ne sont ni les uns ni les autres, ce sont les personnages qui attirent les lecteurs. Pour répondre à la question de l’article, il est là l’esprit pionnier, il est là partout, chez ceux qui veulent encore et toujours publier. A quelque niveau que ce soit. Il faut être encore plus dingue aujourd’hui pour avoir cette envie. Mais confortable ça ne l’a jamais été ; ce serait quand même bien de le rappeler.

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      • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 14 juillet 2012 à  22:27 :

        J’ajoute que l’esprit pionnier n’est pas que le fait des auteurs : il est aussi celui des éditeurs (je suppose que c’est ce qu’a voulu dire la ministre, et que ce n’est donc pas une maladresse), des distributeurs, des libraires, des développeurs multimédias, des animateurs culturels (enseignants, responsables de mairie, journalistes...) et -last but not least- des lecteurs.

        Il faut arrêter de dénier à tous ces acteurs qui constituent ce que j’appelle "le métier" aient, eux aussi, du talent.

        C’est le talent combiné de tous ces gens avec celui des auteurs qui fait qu’une génération d’artistes atteint des sommets.

        C’est une autre dérive de notre temps individualiste : celui de croire que l’on peut tout faire tout seul avec l’aide de je ne sais quelle pensée magique, du genre "les nouvelles technologies".

        L’esprit pionnier est surtout le fait d’une aventure collective où le lecteur (l’acheteur) joue pleinement son rôle.

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        • Répondu le 15 juillet 2012 à  19:19 :

          J’ai le droit de rire un coup ?

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          • Répondu par la plume occulte le 16 juillet 2012 à  13:12 :

            Il n’est pas question de denier que ces différent acteurs puissent avoir du talent.Le problème est qu’ils viennent tous du même moule.Ce qui fait que la génération d’artistes objet de promotion et qui atteint des sommets-eux- même souvent formatés au même moule- sont ceux qui "servent la cause".Comme quoi en ces temps individualistes,les actions collectives peuvent aussi avoir leurs dérives.

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            • Répondu le 17 juillet 2012 à  13:10 :

              Ha si si si, dans mon cas il s’agissait effectivement de dénier toute compétence à 95% des éditeurs de bande dessinée. A croire qu’on récolte ceux dont les éditeurs généralistes n’ont pas voulu ! Après ça n’engage que moi, hein.

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              • Répondu par la plume occulte le 18 juillet 2012 à  10:36 :

                Disons qu’une véritable révolution culturelle voire idéologique ,ce qui au fond est la même chose, s’avère aujourd’hui indispensable.On quitte les rails et le train train,et on regarde les choses en face pour les éditeurs:là,on saisit les choses à bras le corps et on se montre innovant ,on casse les codes.L’uniforme offre d’aujourd’hui est excluante pour beaucoup, qui se foutent du carton et du papier épais et, sont plutôt attirés par la compagnie de personnages, d’histoires,de contenu.Quitte à jeter le contenant ensuite.

                A-t-on idée de la quantité de ventes potentielles à côté desquelles on passe à cause de cette uniformisation de l’offre ?

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      • Répondu par la plume occulte le 16 juillet 2012 à  12:58 :

        Ce n’est pas la bande dessinée qui est une cage mais ses "systématismes "constitués de différentes boites . Boites que l’on peut voir ’entre autres’comme les différents maillons de la chaîne du livre et de l’animation culturelle ,et qu’elle traîne aujourd’hui comme un boulet.

        En son temps l’excellent Christian Godard parlait rageusement de tout cela comme d’une" pente":dans ces conditions, avec une lourde chaîne et un boulet, c’est ce dernier qui impose la direction et la cadence.........

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        • Répondu par Guerlain le 18 juillet 2012 à  10:44 :

          une pente, ça se remonte on ça se dévale.
          En fait, il y a deux types d’éditeurs : ceux qui font un job et vendent de la bande dessinée comme ils vendraient des shampoing, et ceux qui, malgré la pression financière, continuent de promouvoir une certaine passion. Paradoxalement, des éditeurs comme Boudjellal ou Delcourt ont longtemps gardé cette passion (c’est moins évident maintenant que Mourad passe plus de temps à râler sur les instance dirigeantes du rugby et que Delcourt s’est cru auteur... peut-être le complexe Guy Vidal) en publiant des projets économiquement hasardeux, comme les intégrales du Spirit ou Little Nemo parce qu’ils les pensaient nécessaires.
          Un Claude St Vincent confessait ne pas beaucoup s’intéresser à la bande dessinée et travaillait surtout d’un point de vue économique. Pas grand chose de pionnier là-dedans.
          La bande dessinée franco-belge est prisonnière de systématismes : systématisme d’un format aberrant, systématisme d’un "sur-dessin" qui se détourne de la finalité première d’une bande dessinée ; la lecture (on moquait Morris pour son côté Ranxerox, mais quelle efficacité et quelle force d’évocation dans son dessin... loin du surplus de détails et de la double-page trop chiadée... j’ai tenté de relire le dernier loup d’oz de Lidwine, les planches sont tellement surchargées que la lecture en devient pénible), systématisme d’intégrer un projet dans la jungle des droits dérivés (spin off, animation, goodies...), systématisme de la déclinaison par genre et collection dédiée, systématisme d’une vision à court terme, prisonière des chiffres de vente et des retours
          l’esprit pionnier est plus valorisé dans un terrain vierge comme le fut la bande dessinée jusqu’aux années 80. Cet esprit pionnier n’est plus guère écouté et favorisé, parce que la bande dessinée est devenue une affaire sérieuse. Un Moebius qui débarquerait maintenant ne trouverait plus un Pilote ou un Metal Hurlant pourt lui servir de terrain de jeu. Un Arzach ne trouverait plus preneur, et il serait fermenent encouragé à s’atteler au prochain Blueberry, pendant qu’un autre travaillerait au spin off sur McClure et qu’un troisième en lancerait un autre sur Chihuaha Pearl

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          • Répondu le 18 juillet 2012 à  20:01 :

            Un Arzach ne trouverait plus preneur, et il serait fermenent encouragé à s’atteler au prochain Blueberry, pendant qu’un autre travaillerait au spin off sur McClure et qu’un troisième en lancerait un autre sur Chihuaha Pearl

            Ou il devrait monter sa boite comme Midam pour avoir sa liberté.

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            • Répondu par jimi le 19 juillet 2012 à  09:52 :

              Une petite déviation :

              aux USA et Canada , beaucoup d’auteurs "s’autopublient" ...
              ( sans parler de la vitrine du net ) , pourquoi là bas pour certains ( pas tous) ça marche pour eux ( je n’ai pas d’exemple concret et puis lorsque ça marche ensuite ils signent chez de gros éditeurs j’imagine ) ????????

              Est ce une alternative ici impossible ?

              Puisque l’on a l’exemple de Midam ( qui au vu de sa célébrité a certainement pu se permettre de monter sa boite , prendre son indépendance )...

              Un dossier prochainement sur l’autopublication ???
              avec des chiffres , ce que celà coute , les démarches , et la face obscure de ce genre de projet ???
              merci ...

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              • Répondu le 19 juillet 2012 à  14:26 :

                Il n’y a pas qu’en Amérique, en Belgique aussi des auteurs s’auto-publient et pas des moindres, David Dethuin a sorti une dizaine de livres auto-édités, et ça marche bien.

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