"LEFT" de Philippe Dupuy (L’Association) : la douleur comme ressource créatrice

Discopathie, hernie, cervicarthrose, névralgie... La simple énumération des maux dont Philippe Dupuy a souffert en 2015 suffit à comprendre l’ampleur de la douleur physique. Il faut y ajouter la souffrance morale, peut-être encore plus intense et lancinante pour un dessinateur. Ces pathologies ont en effet eu pour conséquence une paralysie complète de la main droite, empêchant tout geste, qu’il fût trivial ou créatif.

LEFT © Philippe Dupuy / L’Association 2018

Philippe Dupuy aurait pu simplement attendre d’aller mieux, en silence ou en se plaignant. Cela s’est avéré impossible. Continuer de dessiner était une nécessité. Pour éviter l’ennui, l’angoisse, la dépression. Pour continuer, surtout, à créer. Mais quelle solution trouver quand la main la plus habile ne répond plus ? Il reste l’autre, la gauche, celle que nous oublions le plus souvent mais qui se révélera d’un précieux secours.

Le dessinateur s’est donc résolu à reprendre son art, mais de la main gauche. LEFT, paru à L’Association ce printemps, retrace cette conquête, à la fois lutte contre la maladresse et exploration de nouvelles possibilités. La série de dessins édités dans cet ouvrage, entrecoupés de quelques courts textes poétiques et de collages, laisse deviner le désarroi et la ténacité d’abord, puis la curiosité et le plaisir du dessinateur découvrant de nouvelles façons de s’exprimer.

LEFT © Philippe Dupuy / L’Association 2018

Les dessins de LEFT [1], qui laissent apparaître les reprises et les repentirs, montrent l’ampleur de cette conquête, pourtant ténue et comme exposée au moindre souffle. Timidement, puis avec de plus en plus d’assurance, Philippe Dupuy trace des formes à la fois familières et étrangères, marquées par des figures féminines et marines. De cette exploration naissent des métamorphoses esquissées et des ébauches fantastiques. Tout un monde en suspension, enfanté dans la douleur mais accueilli avec joie : la joie libératrice de celui qui comprend qu’il continue de vivre.

Le trait fragile de Philippe Dupuy, ouvert aux accidents, reflète cet apprentissage. Fin et délicat, au bord de la rupture, il montre les hésitations et les prises de risque. Délivré de la crainte de l’échec et refusant de se laisser dicter une conduite par un corps souffrant, il découvre finalement les possibilités auparavant masquées de cette main gauche délaissée.

Et il nous offre ainsi l’occasion de suivre non seulement son propre processus de convalescence artistique, mais aussi ce que vit tout dessinateur soucieux de se renouveler : une démarche faite de remises en cause, d’imperfections, de tâtonnements mais aussi de petites victoires, de jolies découvertes et de joies simples. Une vie en soi.

LEFT © Philippe Dupuy / L’Association 2018