On aurait pu penser que le développement des nouvelles technologies, et notamment le tsunami des smartphones, provoquerait une vague de créations de petites structures d’édition de bandes dessinées numériques. Il n’en est rien. L’immense majorité des auteurs se contentent aujourd’hui d’un blog consultable gratuitement qui leur ouvre de plus en plus souvent, il faut le reconnaître, les portes des éditeurs historiques.
Même si le problème de la rentabilité est toujours au cœur des débats, on peut s’étonner de cette frilosité. Les faibles coûts de production, de diffusion et de distribution, n’ont que peu séduit jusqu’à présent, et les initiatives se comptent sur les doigts d’une main. Nous vous avions précédemment parlé des Autres gens, la bédénovela créée en mars dernier par Thomas Cadène qui flirte aujourd’hui avec les 150 épisodes et 60 auteurs (et continue d’être un véritable laboratoire graphique), et de Caramba publishing, qui élargit sa production aux ebooks d’études thématiques et à l’édition papier, auquel on peut ajouter BDnum, qui propose une application gratuite pour visualiser certains blogbds sur son iPhone. La courte liste s’allonge désormais avec la création de No Pixel Included, une structure basée à Montréal.
Ces Québécois se sont lancés dans la publication de strips de quatre cases sur iPhone (et bientôt iPad). Des créations originales qui proposent de découvrir avec le sourire la face cachée de l’industrie du jeu vidéo.
On l’aura compris en voyant le graphisme de ces bandes, on est dans un autre univers que celui des Autres gens. Le dessin n’est qu’un support et le propos est plutôt de gratouiller là où ça fait mal, de montrer aux joueurs l’envers du décor, les coulisses de la création d’un jeu vidéo. Et le moins que l’on puisse est que ce n’est pas joli joli. Non respect des délais/des collègues/du client/des consommateurs, manœuvres, hypocrisie, stratégies, cynisme, on se trouve ici à mi-chemin entre Caméra Café et Dallas. Le graphisme n’est d’ailleurs pas si anodin que cela. Les personnages au physique interchangeable et au nom absent (leur fonction leur sert de patronyme, sauf pour un certain… Mark Etting) soulignent bien la déshumanisation des entreprises du secteur.
C’est drôle et l’on rit parfois jaune en reconnaissant des situations vécues à son bureau. Tout ça sonne juste, malgré la caricature. Pas étonnant puisque les membres de No Pixel Included sont des professionnels du secteur du jeu vidéo et notamment Vannara Ty, l’auteur des strips, qui y travaille depuis une quinzaine d’années. On leur souhaite juste de ne pas avoir subi toutes les avanies qu’ils réservent à leurs personnages (vous avez la possibilité de lire quelques strips gratuits sur le blog de No Pixel Included. Ou sinon, c’est 0,79 euros pour 15 strips sur l’Appstore.).
Dans la catégorie petites structures constituées avec un investissement financier plus conséquent, on trouve une société comme Foolstrip, qui a essuyé les plâtres de la diffusion de bandes dessinées en ligne dès septembre 2007. Malgré quelques coups d’éclat comme la publication du Blog de Franquin (qu’on hésite à qualifier de buzz magnifique ou d’album maudit) et l’obtention de la diffusion des aventures de Rahan numérisées, l’autoproclamée « 1ère maison d’édition en ligne » semble marquer le pas.
Signes de ralentissement que ne montre pas Manolosanctis, champion du crowdsourcing BD sur Internet (BD jugées et promues par une communauté d’internautes). Le site annonce avoir atteint les 10 000 membres, et l’éditeur lance au format papier à un rythme de plus en plus soutenu les BD plébiscitées par son public. Après à peine un an d’existence, Manolosanctis a remporté un certain nombre de ses paris et occupe un espace grandissant sur la toile ainsi que dans les librairies.
On pourrait dire la même chose de Sandawe, champion du crowdfunding BD sur Internet (BD financées par une communauté d’internautes). Après quelques ajustements au printemps (réduction du budget de financement des projets, expliquée en détail ici), trois premiers albums ont vu leur budget bouclé et un autre est déjà à plus de 50% de la somme demandée. En tout, 135 000 euros ont été récoltés, et les projets dans les tiroirs sont nombreux. Six mois auront suffi pour installer la marque au nom bizarre (comment ? Vous ne savez pas ce qu’est le sandawe ?) dans le paysage BD du net.
A cette énumération, on pourrait également ajouter l’initiative originale d’Ego comme X qui met à disposition sur son site une sélection de son catalogue. Les albums, épuisés, hors commerce et même disponibles en librairie peuvent être lus, entièrement et gratuitement, en ligne (nous parlons ici de livres de Fabrice Neaud, Simon Hureau ou Joe Pinelli). On peut d’ailleurs citer une autre initiative qui a fait grincer des dents dans le Landerneau des libraires.
On le voit, la liste est courte. Toutes ses jeunes structures ne souffrent pas d’une concurrence exacerbée et chacun se positionne avec une réussite certaine sur son créneau. On hésite encore à parler de réelle rentabilité, mais dans cette période où les choses commencent à se décanter, réussir à être dans le bon wagon est déjà un succès. Même si certains gros éditeurs fourbissent leurs armes (certains projets de création originale pour le numérique commencent à remonter aux oreilles des journalistes, comme celui de Marc-Antoine Mathieu pour Delcourt par exemple), il y a encore la place pour des projets audacieux bien que de taille modeste. Pourquoi ne pas en profiter ?
(par Thierry Lemaire)
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