À Bologne, tous les vendeurs de droit vous le disent : la Chine est devenue le premier client de l’édition jeunesse, livres pour enfants comme bandes dessinées, mais c’est ce dernier segment est particulièrement important dans le chiffre d’affaires global, ce qui, à l’échelle de la Chine, ouvre des perspectives intéressantes.
La BD chinoise : une portion marginale du marché français
Un auteur qui débute en 2018 ne peut plus s’abstraire de cette réalité : non seulement le marché de la bande dessinée est devenu mondial, mais la création l’est devenue également. De plus en plus, les styles convergent, les univers et es codes graphiques se conjuguent : les Japonais avaient emprunté leurs grands yeux à Walt Disney qui lui-même avait beaucoup puisé dans le patrimoine culturel européen. On a vu des auteurs comme Jijé, Franquin, Hubinon ou Morris ou un scénariste comme René Goscinny se construire sur des modèles américains. Plus tard, de sont des créateurs américains comme Frank Miller, Paul Pope ou Edmond Baudoin qui se sont trouvés profondément influencés par la bande dessinée japonaise.
Depuis longtemps, dans ce concert mondial, la Chine intrigue et inquiète en même temps. La présence chinoise, même si elle reste marginale, est chez nous de plus en plus marquante. On avait vu naguère des auteurs comme Benjamin percer avec succès en France. Sans trop de lendemains. On a vu un label comme Urban Comics, lancer une collection « Urban China » avec un certain volontarisme et une joint-venture avait même été construite entre Dargaud-Lombard et un opérateur chinois, comicsfan.
Aujourd’hui, la BD chinoise occupe une part minime du marché français (30 titres sur près de 5000 publiés, dont la moitié du fait d’Urban Comics), mais de nouvelles stratégies sont en train de s’élaborer pour faire progresser ce chiffre.
Une grande communauté d’amateurs de BD
Car en Chine, en revanche, les choses commencent à prendre un tour étonnant pour la bande dessinée. À Bologne, la revue professionnelle China Publishers mettait le focus sur la bande dessinée en titrant : « The Golden Age of Comics Strips in China » (L’âge d’or de la bande dessinée en Chine) insistant sur la progression exceptionnelle de ce genre éditorial dans l’Empire du milieu.
La revue fait état d’un post publié en mai 2016 par un collectionneur de BD chinois, M. Zhao Gang, qui venait de découvrir au Musée National d’Art de Chine l’une des premières grandes BD historiques de son pays, datant d’avant l’arrivée du Communisme. Étonné par la qualité de sa réalisation et surtout par l’ignorance générale de l’histoire de la BD dans son pays, il fit remarquer sur son blog perso que « lorsqu’on parle de bande dessinée en Chine, on pense toujours à des publications bas de gamme produites à la chaîne. Ce que je viens de voir aujourd’hui a changé complètement ma perception du médium. » Ce simple post a été lu des centaines de milliers de fois et partagé plusieurs dizaines de milliers de fois… Pour la première fois, une communauté importante d’amateurs de bande dessinée prenait conscience de son importance en Chine. [1]
La même revue donne des chiffres : la BD (à laquelle on assimile le dessin d’humour et les livres illustrés) représente 25% du marché. Dans le top 100 des meilleures ventes de 2017, 10% ressortent de ce genre en ce qui concerne les livres vendus en librairie et… 43% sur les librairies en ligne !
La bande dessinée européenne en pôle-position
En raison d’un rejet culturel des autres bandes dessinées asiatiques (les importations japonaises et coréennes font l’objet de sérieuses restrictions), la bande dessinée européenne tire son épingle du jeu.
Tintin est un classique à succès en Chine, mais savez-vous qu’on y publie aussi, avec des fortunes diverses, Blacksad, Blueberry, Le Photographe ou Corto Maltese et des auteurs comme Moebius, Bastien Vivès, Davodeau, Manara, Gustave Doré même ?
Paradoxalement, ce ne sont pas nos titres les plus « commerciaux » qui marchent là-bas. Trop formatés, ils ne correspondent pas aux attentes des Chinois. Les auteurs les plus expérimentaux en revanche, comme Marc-Antoine Mathieu par exemple, intéressent un public non négligeable dont les chiffres de vente rivalisent avec ceux de la France.
Les plus grands éditeurs de BD francophones sont actifs dans ce pays (Média-Participations y a un bureau, la société Hachette a recruté l’éditrice Ge-Fei-Xu pour développer son marché en Chine). Mais les petits éditeurs alternatifs y ont aussi toutes leurs chances. Sauront-ils trouver le chemin ?
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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55e Foire du livre de jeunesse de Bologne. du 26 au 29 mars 2018.
LE SITE INTERNET
[1] Yu Yang, The Golden Age of Comics Strips in China, China Publishers, Special Report, Bologna 2018.