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"La Cicatrice" de Ferraris et Chiocca (Rackham) : comment tue un mur

Par Frédéric HOJLO le 16 juillet 2018                      Lien  
Des centaines de kilomètres de mur à travers le monde... Chercher à se retrancher n'est pas sans conséquence, comme le montrent les Italiens Andrea Ferraris et Renato Chiocca dans "La Cicatrice" : certaines zones frontalières deviennent de véritables cimetières.

Le Mexique et les États-Unis sont séparés par une frontière longue de 3 200 km. Du Pacifique au Golfe du Mexique, du désert au Rio Grande, cet espace a cependant toujours été un lieu de passage mais aussi de tensions. L’espagnol est parlé des deux côtés de la « limite ». Les travailleurs latino-américains sont indispensables à l’économie de la première puissance économique mondiale comme les touristes le sont devenus aux revenus mexicains. Les géographes qualifient souvent ce type d’espace d’ « interface » : ce qui se résume à une ligne sur une carte se traduit en réalité par un tissu d’échanges intriqués.

Le mur voulu par Trump n’est pas une nouveauté. Sa construction a débuté il y a une vingtaine d’année, accompagnée de la mise en place de tout un système de surveillance - caméras infrarouges, détecteurs électroniques... - dont l’U.S. Border Patrol demeure l’élément clé. Cette véritable militarisation de la frontière, déjà en place sur des centaines de kilomètres et que l’actuel président américain souhaite généraliser, a conduit à la mort de milliers de personnes qui, en cherchant à contourner le mur, passent par les régions les plus dangereuses.

"La Cicatrice" de Ferraris et Chiocca (Rackham) : comment tue un mur
La Cicatrice © Andrea Ferraris / Renato Chiocca / Rackham 2018

Le dessinateur Andrea Ferraris et le scénariste Renato Chiocca, tous deux italiens, se sont rendus au printemps 2017 dans la région de Nogales. Il y a en réalité deux Nogales : l’une en Arizona, États-Unis, l’autre dans l’État de Sonora, Mexique. Le mur marque ces villes jumelles comme une cicatrice. Le paysage est littéralement coupé par ce mur de métal rouillé. Mais les cicatrices sont aussi celles qui strient les chairs des réfugiés, rescapés des pièges du désert et des violences policières. Ce sont enfin les souvenirs indélébiles de tous ceux qui ont perdu la vie en voulant franchir la frontière : une mémoire que quelques-uns s’échinent à entretenir, comme Alvaro, qui dispose ses croix de bois à proximité des lieux où ont été retrouvées des dépouilles de réfugiés.

Les auteurs ont d’abord reconstitué le meurtre de José Antonio Elena Rodriguez, jeune garçon tué de dix balles dans le dos par un membre l’U.S. Border Patrol en 2012. La première partie de La Cicatrice lui est consacré. Le trait noir charbon d’Andrea Ferraris nous plonge au cœur de cette nuit tragique. Pris entre les aboiements des chiens policiers et les coups de feu aveugles, Toniño a fait les frais d’une politique où les migrations sont gérées comme des actes de guerre. Il aura ensuite fallu trois ans pour que son meurtrier soit inculpé par un juge, la première fois pour « homicide transfrontalier ».

La Cicatrice © Andrea Ferraris / Renato Chiocca / Rackham 2018

Le seconde partie du livre retrace directement le séjour des auteurs dans la région de Nogales. Partis à la rencontre de ceux qui viennent en aide aux réfugiés, ils prennent toute la mesure de ce qui se joue sur la frontière. Des milliers de vie sont en jeu. Il ne s’agit pas, dans cette région, de « gérer des flux », mais de faire le choix entre secourir des femmes et des hommes qui ont tout quitté dans l’espoir de mieux vivre, ou de les laisser errer sans ressource, à la merci de la faim et de la soif, de la canicule, des patrouilles et des bêtes venimeuses qui infestent le désert. Le fusain du dessinateur se fait alors plus léger, les cases disparaissent, nous faisant ressentir la lumière et la chaleur qui écrasent les réfugiés perdus aux confins de l’Amérique.

La Cicatrice, édité par Rackham, livre bref mais intense, s’ouvre par la formation d’une gigantesque vague. Ce raz-de-marée s’abat à la fin de la première partie et l’ouvrage se clôt sur les dégâts provoqués par le tsunami. Les auteurs nous rappellent ainsi que les réfugiés ne forment justement pas une « vague migratoire », mais sont victimes des politiques et des obstacles, dérisoires mais dangereux. Ces murs que certains veulent ériger, oubliant que l’histoire de l’humanité est d’abord celle de ses déplacements.

La Cicatrice © Andrea Ferraris / Renato Chiocca / Rackham 2018

(par Frédéric HOJLO)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782878272222

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