Cette réaction est dommageable à plus d’un titre : d’abord, elle retire une légitimité aux immigrés qui vivent dans nos pays, en rejetant leurs racines, indispensables pourtant à l’expression de leur identité ; ensuite, elle nous enlève à nous, Occidentaux, la possibilité d’accéder à la richesse de ces civilisations, parfois éradiquées de la surface de la terre en raison de conceptions préconçues d’une incommensurable et criminelle bêtise, et de comprendre un peu mieux ceux aux côtés desquels nous vivons aujourd’hui. Alors même que, dans nos banlieues, les voitures brûlent parce que des idées sont agitées par des slogans provocateurs indignes de la République, il est important de réintroduire, dans nos relations avec les générations issues de la colonisation, un dialogue qui ne fait l’économie ni du respect, ni de la complexité.
C’est ce que réussit parfaitement Jacques Ferrandez dans ses Carnets d’Orient. Ce n’est pas seulement un travail d’historien dont l’exposition à Charleroi, Le Remords de l’Homme blanc, avait mesuré toute la profondeur, c’est aussi un éblouissant travail de synthèse qui restitue avec une confondante justesse une période complexe, les années cinquante et soixante, dans un conflit - la Guerre d’Algérie - où les justes n’étaient pas forcément dans le camp des opprimés et les salauds dans le camp des oppresseurs. La ficelle est usée depuis Shakespeare mais elle reste efficace : c’est une histoire d’amour entre un jeune officier français et une algérienne qui est le fil rouge d’un récit qui met bien en relief les enjeux du conflit, sa mécanique politique faite de lâcheté, d’opportunisme, d’obscurs desseins, mais aussi d’idées généreuses d’humanisme, de compassion et, accessoirement ose-t-on écrire, d’amour.
Plus que jamais, Les Carnets d’Orient, dont ce volume constitue le 8ème titre, constituent une référence de choix qui devrait être recommandée dans les écoles.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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