C’était au temps où le monde était gouverné par De Gaulle, Nixon et Mao Tsé Toung, où nos aînés avaient foi dans le nucléaire tout puissant et le pétrole quasi gratuit et se languissaient à la vue de Brigitte Bardot, choisissaient entre les Beatles et les Rolling Stones, regardaient sur l’ORTF (en noir et blanc) les shows yéyés de Jean-Christophe Averty. Un autre monde.
La révolution était dans l’air. Goscinny se faisait humilier à Pilote et s’essayait à une sorte d’autogestion éditoriale qui allait droit vers l’échec, Tintin et Spirou entamaient leur déclin et Pif Gadget avaient des ventes aussi bondissantes que ses pois sauteurs mexicains ou les scores électoraux du Parti Communiste. Chacun voulait être dans le coup, voulait « faire jeune », à commencer par Jean-Paul Sartre.
Les éditions Casterman, ébahies par le succès d’Astérix qui décollait vraiment dans ces années-là, cherchaient la potion magique qui allait « moderniser » leur catalogue. Ils n’avaient pas encore découvert Hugo Pratt.
Passe Jean Yanne, ludion des médias, nouvelle star du grand comme du petit écran. Tout ce qu’il touche vaut de l’or. On lui commande une BD. C’est Topin dont le trait est « psychédélique » et « pop » comme du Pellaert [1] qui s’y colle.
Il avait tapé dans l’œil des éditeurs de la maison tournaisienne avec ses quelques pages publiées dans des journaux catholiques. C’est un pur débutant. Yanne et Topin n’ont, l’un et l’autre, quasi aucune expérience dans la BD. Cela donne cet OVNI, décousu au possible, truffé de jeux de mots improbables et de références aujourd’hui quasi cryptiques, mais passionnantes si l’on veut bien s’y pencher : parodies de publicités et des médias, caricatures d’hommes politiques, allusions à la situation économique (notamment à la dévaluation qui avait suivi Mai 68), à la mode, aux films de SF, à une BD comme Astérix même…
La notoriété de Jean Yanne fait la différence. La BD est pré-publiée dans Télé 7 Jours, le plus fort tirage de la presse hebdomadaire d’alors. L’album se vend à près de 150.000 exemplaires, un succès sans lendemain –l’expérience s’arrêtant au deuxième titre car, irrité par l’anticléricalisme de Jean Yanne, Louis-Robert Casterman milita pour l’avortement… de cette collection. Exit Les dossiers du B.I.D.E., car tel était leur nom. Les deux seuls volumes publiés figurent dans cette intégrale.
Topin quitte alors la BD pour faire carrière dans le cinéma et la télévision. On lui doit notamment la création du Commissaire Navarro qui fut des années durant la potion magique des soirées de TF1. « C’est la BD qui m’a permis de connaître les techniques du cinéma » déclara-t-il plus tard à ActuaBD.
À la faveur des fêtes, la Langouste s’invite sous le sapin. La nostalgie aussi.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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