La saison est déjà balisée pour l’atterrissage des blockbusters : attendez-vous à voir défiler ad nauseam la communication d’Astérix, de Titeuf, de Tintin, de Corto Maltese, de XIII, de Largo Winch, des Equinoxes de Pedrosa, des Chroniques de la lune noire, de la Complainte des Landes perdues, de SuperDupont... Rien que de bien normal, ces best-sellers assurent l’ordinaire des libraires, sont connus et donc rassurants pour le néophyte et, qui plus est, en général de bonne qualité, alors pourquoi de priver ?
Mais il en va comme d’un bon repas, c’est parfois dans les saveurs rares, au moment du fromage ou du dessert, ou parce que l’on tombe tout à coup sur un bon vin, que l’on trouve le couronnement d’un plat, l’émotion qui relève le goût. "Les artistes, toujours à l’affût de sensations nouvelles..." écrivait Moebius dans Tueurs de monde en 1979. Les lecteurs aussi sont des artistes.
Association d’idées et de talents
Ils n’ont pas oublié L’Association dont l’équipée a marqué le tournant des années 2000 : Jean-Christophe Menu, David B, Killoffer, Lewis Trondheim, Emmanuel Guibert et des tas d’autres se sont durablement installés dans nos bibliothèques pour notre plus grand plaisir, et ceci en dépit des soubresauts qui ont marqué l’histoire de ce groupe.
En cette rentrée, l’un des membres de l’actuel aréopage qui pilote le label, François Ayroles, vient avec un album intitulé "L’Amour sans peine". Chez le dessinateur parisien, l’amour est comme le Godot de Beckett : on l’attend. Il est espoir, tourment, faiblesse... Et il nous laisse nous débrouiller avec ça, en riant (à peine) sous cape. D’un rire qui le rassure, sans doute, et le lecteur avec lui.
On reste subjugué par la simplicité et par la justesse de son trait, de ses personnages qui occupent la page blanche tenus par une perspective invisible. Cela permet une narration discursive, claire et fine. Faites un détour par cet auteur remarquable. L’album fait l’objet d’une exposition, du 15 septembre au 17 octobre 2015 à la librairie Mollat à Bordeaux.
L’Association continue son travail de défricheur, avec Bloc-Notes de Tanitoc, une série commencée dans le chant du cygne de J.-C. Menu à L’Association, la revue L’Éprouvette, et qui égrène les états d’âme corrosifs d’un auteur de BD dans plus pure tradition décapante de la revue.
Olivier Schrauwen explore quant à lui sa lignée familiale sur les traces de son grand-père Arsène Schrauwen parti en expédition dans une colonie que l’on comprend être le Congo belge. Nous sommes dans la droite ligne de son album sur le roi des Belges Léopold II dont il avait fait la figure de L’Homme qui se laissait pousser la barbe (Actes Sud). On y retrouve les effluves de la Belgique surréalisante, de James Ensor à Magritte, de Michel de Ghelderode à Achille Chavée.
Après l’apocalypse
"Un seul être nous manque et tout est dépeuplé" disait Alphonse. Est-ce que le départ de J.-C. Menu a dépeuplé l’Association ? Sans doute. On n’y retrouve plus ce grain de folie, cet esprit de rébellion, qui, peut-être, faisait la différence. Menu le perpétue dans son label en publiant ces jours-ci Ictus, de Nitcheva.
Dans la préface, l’éditeur énervé nous balance à la gueule les mots "poète", "révolution", "Rock ’n Roll". C’est à peine s’il n’ajoute pas : "Prends ça, connard !" La rébellion comme argument de vente ? Pourquoi pas ? Encore faut-il voir si l’on ne se trouve pas dans un nouvel avatar du capitalisme masqué, capable comme on sait de toutes les perversions.
L’habile Atrabile
Le label suisse Atrabile continue lui aussi à labourer le champ de notre curiosité en nous livrant avec BlackFace Babylone de Thomas Gosselin "une comédie musicale" sur papier. Et effectivement, sur un scénario échevelé, les images percutent par leur rythme, leurs couleurs syncopées, et une multitude de saynètes-tableaux qui enchante.
Baladi, que l’on avait vu dans une installation au dernier BD-FIL de Lausanne, nous livre un Autoportrait composé d’une suite d’instantanés puisqu’il touche une année de l’artiste, entre novembre 2013 et novembre 2014, sous la forme d’une série de cartes postales illustrées (on appelle cela le "Mail Art") qui, par la même occasion réagit à l’actualité du moment, qui est celle que nous vivons encore aujourd’hui , et les bouleversements de la vie quotidienne.
On ne ratera pas chez cet éditeur la nouvelle édition de Cinq Mille Kilomètres par seconde de Manuelle Fior, omniprésent en cette rentrée que ce soit sous la bannière de la Galerie Martel ou sous le label Futuropolis.
La mise en avant de L’Employé du moi
Il est propret et bien peigné, parfait représentant de l’entreprise, le dernier volume de L’Employé du moi, Hobo Mom de Charles Forsman & Max de radiguès. L’Américain et le Belge ont fait cet album à quatre mains, imaginant le périple d’une jeune femme hobo pérégrinant sur les trains de marchandise de la Union Pacifique. Quelque part entre Jack Kerouac et Tintin en Amérique.
L’album Fante Bukowski de Noah Van Sciver porte lui aussi en lui une fascination pour une certaine Amérique, celle de John Fante et de Charles Bukowski, incarné par un postulant écrivain qui emprunte pour son pseudonyme le patronyme de ses admirations littéraires.
Est-ce que cela suffit pour en faire un écrivain décent, qui intéresse les lecteurs ? C’est toute la question, et elle mérite d’être vidée par la lecture de cet album.
5c en remet une couche
Profitant de la publication chez Cambourakis de Chúc Súc Khόe : carnet d’Asie de Benoit Guillaume, La Cinquième Couche ressort le premier livre de cet auteur, De la fenêtre, le trompe-l’œil, où une subtile bichromie joue des matières pour secréter une indicible poésie.
Ça nous change de Blake et Mortimer, non ?
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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