Déjà, le Grand Prix accordé à Richard Corben ce mercredi en a laissé plus d’un pantois. Quel âge donc ont les votants, se demandent certains, la cinquantaine ? Corben en France, un auteur au zénith dans les années 1970-1980 qui n’a jamais cessé de produire, c’est 1500 à 3000 acheteurs maxi, jusqu’ici. Parmi lesquels la majorité des 1300 professionnels de la BD votants ? « Jean-Pierre Dionnet, sors de ces corps !... »
On pouvait donc légitimement se demander comment allait délibérer le jury de spécialistes de la sélection officielle : libraires, journalistes et autres experts pour décerner les Fauves de cette 45e édition. Alors, où sont les surprises ?
Un Fauve d’or pour un jeune auteur
Dans notre chronique de l’album publiée voici quelques jours, nous disions de Jérémie Moreau qu’il était « à l’unisson de cette génération d’auteurs qui, de Bastien Vivès à Clément Oubrerie, vient du cinéma d’animation et fait des allers-retours permanents entre les deux disciplines. Il en résulte un style de dessin dynamique et coloré, quelquefois cartoonnesque, caractéristique qui séduit notamment le public le plus jeune sevré aux mangas japonais. » Avons-nous là le visage de la nouvelle génération, un style mondialisé au confluent de la bande dessinée européenne, américaine et asiatique. Sans doute.
Il faut dire que le tout jeune auteur est un habitué des podiums d’Angoulême : Prix de la bande dessinée scolaire en 2005 et Prix Jeunes Talents au Festival d’Angoulême de 2012. Le voici maintenant Fauve d’or.
Une présentation sobre et retenue
Après la prestation édifiante de 2016 et le tournant tout en sobriété de la précédente cérémonie de 2017, les festivaliers accrédités à la cérémonie des Fauves guettaient la nouvelle orientation choisie par le Festival ? Détail intrigant : le décor et le dispositif d’animation de cette cérémonie était celui des Rencontres Chaland de Nérac, avec David Prudhomme & François Olislaeger. Ils ont eu droit aux compliments de Cosey.
L’empreinte Beaujean
Dans une atmosphère respectueuse et un tempo fluide sans temps mort, la cérémonie commença comme à l’accoutumée avec l’hommage aux auteurs disparus cette année : Avoine, Stan Barets, Bruna Calegari, Pascal Garray, Annie Goetzinger, Vladimir Grigorieff, Jidéhem, Patrick Jusseaume, Jay Lynch, Salvatore Oliva, Michel Plessix, Pierre Seron, Taborda, Galip Tekin, Jirô Taniguchi, Len Wein et Bernie Wrightson.
Comme pour l’année précédente, Stéphane Beaujean, le directeur artistique du Festival en maître de cérémonie, a tenu à exprimer sa reconnaissance au Grand Prix de l’année précédente, Bernard Cosey : « Un Grand Prix bienveillant, passionnant et très généreux. Nous le remercions pour la merveilleuse année qu’il nous a offerte. »
De la même façon, il eut un mot de consolation pour les sélectionnés qui allaient repartir de cette cérémonie sans récompense : « J’ai une pensée pour les auteurs qui repartiront sans doute déçus de cette cérémonie, sélectionnés sans avoir rien demandé et qui ne seront pas primés. C’est malheureusement votre infortune qui forge la noblesse de cette sélection. »
Cette franchise consista aussi à répondre directement à la brève manifestation qui attendait les invités à l’entrée de la cérémonie mettant l’accent sur la paupérisation des auteurs : « Je voudrais dire aux auteurs que nous ferons de plus en plus d’efforts pour intégrer les besoins de rémunérations dans les préoccupations du festival. Et je me réjouis de la mission de la ministre de la culture confiée à Pierre Lungheretti , le directeur général de la Cité de la bande dessinée, pour réfléchir à la manière de mieux rétribuer les auteurs, car ce sont actuellement les moins rémunérés de la chaine du livre. ». Cette manifestation influa sur une cérémonie qui s’intéressa aussi à la sémantique féministe : auteures, autrices, auteresses…
Fauve d’honneur pour Naoki Urasawa
Après un premier Fauve d’honneur décerné ce jeudi pour Hiro Mashima (Fairy Tail) , un second auteur fut également récompensé en ouverture de cette cérémonie, Naoki Urasawa, également titulaire d’une exposition cette année. « Ce prix spécial récompense un auteur dont l’œuvre touche des millions de lecteurs à travers le monde, a expliqué Beaujean. Surtout qu’il a prêté près de 500 planches originales au festival pour monter l’exposition que nous voulions lui dédier ! » Urasawa expliqua d’où lui venait sa vocation artistique : « Osamu Tezuka a changé ma vie : elle a basculé à la lecture de "Phénix, l’oiseau de feu". J’ai lu toute la série d’une traite sans me rendre compte du temps qui passait, alors que j’avais treize ans. Je suis reconnaissant à la vie de m’avoir fait découvrir son œuvre extraordinaire. Ce fut mon étoile polaire. J’ai suivi ce point de repère et, aujourd’hui, je me retrouve devant vous aujourd’hui, 45 ans plus tard… Je veux continuer à suivre ce point dans le ciel, pour prolonger ce voyage extraordinaire et merveilleux, qui m’a entre autres amené à recevoir ce prix prestigieux. »
Fauve d’Angoulême Prix de la bande dessinée alternative : Bien, Monsieur # 8
Prenant la parole pour co-annoncer le Prix de la bande dessinée alternative, Julie Staebler invita l’assistance à lire le mot diffusé par le CEA (Collectif Artistes Auteurs) approuvé par 250 signataires : « 53% des auteurs gagnent moins que le SMIC, merci d’y réfléchir ! ». Non sans oublier d’honorer le récipiendaire du prix : « La revue fait réfléchir avec intelligence et impertinence : Bien Monsieur, une revue que je vous invite à aller lire ! ». Dans le même état d’esprit, pour la première fois, le prix fut doté d’une somme d’argent : « Nous sommes préoccupés et conscients de la précarisation du statut des auteurs. Bien des structures des précédents prix de la BD alternative ont disparu depuis lors leurs récompenses. C’est pourquoi nous voulons les soutenir, avec ici, pour Bien, Monsieur, un chèque de 1500 €. »
Fauve d’Angoulême Prix du public Cultura : Dans la combi de Thomas Pesquet, Marion Montaigne, Éditions Dargaud
A propos de l’album de Marion Montaigne, voici ce que nous en disait Tristan Martine : « Très documentée et nourrie de ses entretiens avec l’astronaute, Marion Montaigne fait montre d’une belle maturité en amenant sa capacité de vulgarisation à un très haut niveau. Si un album humoristique mérite bien de décrocher la lune cette année, c’est sans conteste celui-ci ! » Bien vu...
Fauve Polar SNCF :
Jean Doux et le mystère de la disquette molle, Philippe Valette, Éditions Delcourt
Là encore, c’est une surprise. « Son dessin marqué par l’esthétique du cinéma d’animation et du jeu vidéo, écrivions-nous lorsque cet album a remporté le Prix Landerneau en novembre 2017, comme son album, paru juste avant Angoulême 2017 et qui figurait dans les nominés du Prix ACBD 2017, se remarquent autant l’un que l’autre. »
Fauve d’Angoulême Prix du Patrimoine :
Je suis Shingo tome 1, Kazuo Umezu, Éditions Le Lézard Noir.
Le petit éditeur à l’effigie reptilienne a eu la bonne idée de republier une œuvre qui prête la parole à un robot pour imaginer un futur harmonieux entre les humains et les machines.
Fauve d’Angoulême Prix de la Série :
Happy Fucking Birthday - Megg, Mogg & Owl, Simon Hanselmann, Éditions Misma
De Happy Fucking Birthday, Frédéric Hojlo écrivait dans nos pages : « Si l’angoisse n’est jamais bien loin, et à ce titre la fin de Megg, Mogg & Owl à Amsterdam était marquante, c’est bien l’humour qui domine. Ce qui demeure d’ailleurs assez inexplicable : qui pourrait, en réalité, supporter le comportement des personnages de Simon Hanselmann ? »
Le jury a aussi distingué :
Fauve d’Angoulême Prix spécial du jury :
Les Amours suspendues, Marion Fayolle, Éditons Magnagni
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
(par Charles-Louis Detournay)
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Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)
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