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"La Technique du périnée" ou les frasques d’une génération pas si fantasmée

Par Charles-Louis Detournay le 21 mai 2014                      Lien  
Traiter de la jouissance et de la masturbation, principalement masculine, et sans éjaculation, est-ce donc le nouveau délire de Ruppert & Mulot ? Oui, c'est la thématique de leur album, mais on y parle également d'art... et surtout de relation.

Artiste en recherche de nouvelle inspiration, JH a comblé son vide amoureux en rencontrant une fille via l’appli de rencontres OKCupid. Elle s’appelle Sarah, mais il n’en sait pas davantage. Régulièrement et presque frénétiquement, ils se connectent sur Skype et se font jouir respectivement, de chaque côté de leur écran.

Ces échanges, brefs et solitaires, finissent par obséder JH, qui essaie de convaincre Sarah de dîner avec lui, ce qu’elle réprouve. S’instaure alors entre eux un étrange jeu de séduction qui ne dit pas son nom, mais qui va amener JH à relever le défi sexuel -ou d’abstinence sexuelle- que lui lance Sarah : tenter de dompter son périnée pour atteindre le nirvana sexuel selon elle, la jouissance masculine sans éjaculation, ce qui permet à l’homme d’atteindre les orgasmes à répétition !

"La Technique du périnée" ou les frasques d'une génération pas si fantasmée
La banalisation du sexe intervient sans tabou lors d’une discussion de travail

Un jeu de dupes, sans tabou

Dès les premières pages, on ressent toute l’addiction que provoque la nouvelle gageure de Rupper & Mulot. Sans voyeurisme, la présentation de l’acte sexuel se laisse deviner de manière artistique, avant de débouler dans le quotidien des personnages. Dès lors, impossible de ne pas s’intéresser à un sujet universel, présenté d’une manière crue et revendiquée.

Ces personnages, précisément, semblent ne pas ressentir de vergogne en abordant le “péché de chair.” Il n’est bien entendu pas question de reproduction, mais bien d’acte sexuel, réalisé pour le plaisir, que l’on soit hétéro ou homosexuel(le). Pourtant, ce n’est pas tant l’acte qui sidère, mais bien la liberté prise pour en parler. Le lecteur doit rapidement se positionner face au récit : est-il en marge d’un monde moderne qui utilise tous les ressources communicationnelles pour épancher ses besoins instinctifs ? Ou les auteurs ont-ils voulu pousser au paroxysme une évolution multimédia pour dénoncer ses possibles abus. Le doute s’installe...

La jouissance sexuelle n’est plus le but de la rencontre, mais inversément, la rencontre devient l’objectif, dépassant la jouissance.

Dérive de l’internet

Bien entendu, ce jeu du "Fuis-moi, je te suis. Suis-moi, je te fuis" est dominé par ces moyens de communication. Applis de rencontre sexuelle sans lendemain, communication virtuelle, obligation d’être ultra-joignable et désespoir de ne plus satisfaire ces besoins instantanés. Certaines pages mettent en exergue le besoin (la nécessité ?) de l’anonymat sur le Net et ses dérives. Par le biais d’une planche répétitive les auteurs démontrent les facilités à falsifier sa vie, ce qui amène à se demander quel doit être le but d’une rencontre, et ce que l’on veut lui consacrer.

Cette séquence trouve un écho dans une autre saynète où le héros imagine une discussion où il ne se trouve pas. Son acte manqué le taraude... Toujours cette question de la vérité des sentiments, se mettre à nu ou se protéger des autres...

En dévoilant ainsi ces dérives du monde actuel, Ruppert & Mulot nous invitent à une réflexion sur notre relation à l’autre, mais surtout à nous-même, à comprendre les attentes profondes qui dépassent nos besoins instantanés.

Les possibilités sexuelles deviennent illimitées...
En tant que moyen ou objectif ?

Par le métier du héros, l’Art prend également ici une place importante : car il concrétise les pensées du personnage, mais aussi parce qu’il démontre qu’une addiction peut prendre totalement le pas sur la vie d’un individu, en fragilisant chaque élément de ce qu’il veut construire.

Cette métaphore du risque prend progressivement tout son sens lorsque le personnage mise toute sa vie du moment sur cette relation hypothétique. On comprend alors mieux le lien avec cette “technique du périnée”, ce besoin de se retenir pour espérer profiter pleinement d’un moment que l’on n’atteindra peut-être jamais, au lieu de profiter de chaque moment de la vie à sa juste valeur.

Les deux auteurs ont invité Bastien Vivès, leur compère de La Grand Odalisque, à venir réaliser les filles fantasmées du songe sexué de leur héros

Ce conte moderne qui imbrique (et parfois oppose) une libéralisation des pratiques sexuelles et les rencontres possibles grâce à l’hyperconnexion des réseaux propose une passionnante réflexion sur la solitude et sur la réalité de notre relation à l’autre. En plus d’étonner le lecteur au fur et à mesure que les pages se tournent, ce voyage initiatique aporte des réflexions intéressantes sur la quotidien et sur l’ordre de de nos priorités. Une réflexion qui ne va sans doute pas révolutionner notre façon de vivre, mais qui l’influence suffisamment pour y poser un regard plus décalé.

À la limite du conceptuel, La Technique du périnée demeure cependant passionnant et addictif de bout en bout. Sans l’ombre d’une vulgarité, les auteurs s’attaquent à l’ultra-sexualisation de notre société, principalement dans l’usage des techniques modernes de communication. Jouant avec les codes narratifs, le livre évoque la solitude de ces moments de plaisir et ce que cela implique dans la recherche de l’autre. Que cela soit dans la thématique, le traitement ou le découpage, La Technique du périnée est une grande réussite !

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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8 Messages :
  • Je note que pour parler du sujet, les auteurs, contrairement à leur habitude, dessinent ici les visages de leurs personnages. Peut-être que leurs personnages justement ne deviennent plus des concepts, parfois simplement identifiés par leur fonction dans l’histoire. Un peu comme lorsque Ruppert et Mulot se représentent, nous savons ici affaire au "réel" et le passage au virtuel s’en trouve d’autant plus marqué.

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    • Répondu par fuck la médiocrité le 25 mai 2014 à  01:49 :

      Ruppert et Mulo sont à l’image des gens que j’ai pu fréquenter aux Beaux-Arts.
      C’est les gens qui ont les plus grandes difficultés à tenir un crayon et à faire preuve de talent graphique, qui s’engouffre dans le "concept"...
      Le "concept" c’est quand on est conscient qu’on est mauvais mais comme un bon escroc, on vend du vent au public.

      Il suffit que Télérama et la petite bande d’Ayatollah de la BD s’y mettent à glorifier ce "vide", pour être "HYPE".
      Et en attendant on crache sur Uderzo...

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      • Répondu par Pirlouit le 26 mai 2014 à  19:07 :

        Télérama ne suffit pas ! Il y a aussi un logo Les Inrockuptibles sur l’album, qui est également en ligne (lisible gratuit, page à page) sur le site du Monde....

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  • Leur dessin est quand même d’une grande médiocrité, très amateur, sans charme, le fait qu’ils doivent avoir recours au talent de Bastien Vivès pour dessiner des filles un peu sexy et d’ailleurs un aveu de faiblesse.

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    • Répondu par Joe le 22 mai 2014 à  14:28 :

      Merci de votre intervention, cher Juge du Beau Dessin Bien Fait.

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      • Répondu par Oncle Francois le 23 mai 2014 à  11:02 :

        Rassurez vous, Monsieur Joe (hey ! comme c’est original dirait Hendrix. Arf arf !°), il est inutile d’être Juge du Beau Dessin Bien fait pour trouver cela plutôt moche. Ruppert et Mulot sont à la mode, je me demande bien pourquoi...

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    • Répondu par Emilie le 25 mai 2014 à  10:16 :

      très drôle .(

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  • Depuis que les auteurs et éditeurs d’Aire Libre ont migré chez Futuropolis, cette collection est devenu n’importe quoi. Voir Dupuis publier ces choses même pas dignes de Warum ou la boite à bulles (c’est dire) laisse pantois. Y-a-t-il encore un éditeur chez Dupuis ?

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