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La bande dessinée, une arme politique ? (2/2) : Duel entre deux gauches

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 10 mars 2009                      Lien  
Au moment de sa création, l’équipe d’Hara Kiri s’était fait une spécialité de dénoncer le pouvoir politique. Indépendant de tout parti, son discours était plutôt libertaire même si, chez Reiser par exemple, il pouvait se montrer écolo avant même l’invention du mot « écologie. » Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Au contraire, deux gauches s’opposent férocement et la bande dessinée leur sert de plaidoyer.
La bande dessinée, une arme politique ? (2/2) : Duel entre deux gauches
L’Affaire des Affaires
Ed. Dargaud

« On nous crie : « Plus de frontières ! Vive l’Internationale ! » Je ne demande pas mieux. La grande industrie et la Haute Banque ne se gênant pas pour effacer les frontières économiques, au détriment de l’épargne et du travail nationaux. » Cette profession de foi n’a pas été prononcée au Forum de Davos ou dans une officine alter-mondialiste, mais par le citoyen Clovis Hugues lors des élections législatives françaises de… 1893 ! [1] C’est dire si les problèmes que nous connaissons aujourd’hui (crise financière, puis crise économique et sociale) ne datent pas d’hier.

Journaliste d’investigation

C’est dire aussi si l’ouvrage de Denis Robert, Yan Lindingre et Laurent Astier, L’affaire des affaires se trouve sur un terrain labouré de toute éternité. C’est un grand livre, et qui devrait faire date. D’abord parce qu’il est brillamment mis en images par Laurent Astier, dessinateur rapide et juste, infiniment doué. Ensuite parce que Lindingre sait raconter une histoire, la ponctuer de dialogues percutants, et convaincre autant que faire se peut. Enfin, parce que la matière première de ce livre est la vie d’un homme et pas n’importe lequel : Denis Robert, journaliste d’investigation et principal détonateur de la fameuse « Affaire Clearstream ». [2]

De quoi s’agit-il ? Clearstream est une banque de compensation luxembourgeoise sur laquelle enquêtait ce grand-reporter. Grâce à un informateur, il avait pu recueillir un certain nombre de témoignages qui le convainquent que cette banque procédait à du blanchiment d’argent. D’une manière plus générale, Robert dénonce le principe des paradis fiscaux, devenus selon lui le refuge de trafics les plus inavouables. Or, on constatera que ces derniers mois, un bon nombre de responsables politiques ont tenu le même langage, parfois au plus haut sommet de l’état. Il n’est pas jusqu’à Jean-Marie Messier, le patron déchu de Vivendi, qui ne brise pas une lance contre ces « trous noirs de la finance internationale », responsables selon lui de la crise financière.

L’Affaire des Affaires
Editions Dargaud

Une seconde affaire Clearstream

Denis Robert serait-il un justicier ? Un Don Quichotte en tout cas. Car évidemment, les banques mises en cause ne se laissent pas faire et attaquent l’auteur en justice. Pourtant relu par un juriste, un de ses ouvrages a été récemment condamné pour diffamation envers la banque Clearstream. Certaines déclarations de Denis Robert à la presse lui avaient également valu des jugements défavorables qui le laissèrent sur la paille. La vie de journaliste d’investigation est décidément périlleuse. Un comité de défense s’organisa en avril 2007 au sein duquel figuraient certains auteurs de bande dessinée.

Dans la fameuse chronique critiquant Jean Sarkozy, Siné visait l’article de philippe Val sur Denis Robert
DR

Et voici qu’à cette première affaire vient s’en greffer une deuxième : Des faux listings de Clearstream circulaient sur lesquels apparaissaient le nom d’un candidat à la présidence de la République, un certain Nicolas Sarkozy alors en plein affrontement avec le Premier ministre Dominique de Villepin, son rival. Pour le malheur de Denis Robert, ce second développement va prendre une dimension gigantesque. Il ne se passera pas un jour sans que le mot « Clearstream » ne fasse la une des journaux. Jusqu’à l’écœurement. D’où un redoublement des actions de la société luxembourgeoise qui, en toute objectivité, n’a rien à voir avec ces forgeries et peut légitimement se sentir diffamée.

Accablé par les procès, Denis Robert jeta l’éponge, il y a plusieurs mois, faisant une déclaration publique dans laquelle il s’engageait à ne plus évoquer jamais Clearstream. Et voici que cette bande dessinée se publie aujourd’hui : L’affaire des affaires (Éditions Dargaud)…

Avocat-scénariste

Dans Carla et Carlito, Malka kärchérise
12 Bis / Fayard

Pour compléter le tableau, il faut aussi rappeler le lien entre l’affaire Denis Robert-Clearstream et l’affaire Val-Siné. Siné justifiait que la raison majeure de la vindicte de Val contre lui venait de ce qu’il avait mis en cause son rédac-chef au sujet d’un article où Val attaquait les enquêtes de Denis Robert, lesquelles, selon lui, accusaient sans preuve. Ses conclusions, soutenait-il, relèvent de la rumeur. D’où les procédures de la banque luxembourgeoise Clearstream, la bande russe Menatep et la Société Générale du Luxembourg à l’encontre de l’enquêteur. Val ajoutait que la rumeur faisait le lit des pires fantasmes citant maladroitement en exemple le faux antisémite des Protocoles des sages de Sion. Un amalgame qui avait déplu à Siné.

Cas aggravant selon l’ « enragé », l’avocat de Charlie Hebdo, Richard Malka, est aussi celui de Clearstream ! Or il se fait, et nous avions été parmi les premiers à le signaler à nos lecteurs, qu’il est aussi un scénariste de bande dessinée réputé, auteur de la série Cicéron (Éditions Glénat) mais surtout, avec Riss & Cohen de la fameuse enquête La Face kärchée de Sarkozy (Éditions Vents d’Ouest et 12bis/Fayard). Malka agit là aussi de façon politicienne. Sarkozy est ridiculisé plus qu’à son tour. À en croire son auteur, le portrait est quasi-réaliste, tant le personnage est caricatural.

L’Ordre de Cicéron T.2
Ed. Glénat

À travers « L’Ordre de Cicéron » dont le troisième tome devrait paraître prochainement, Malka répond imperceptiblement à la remarque faite par Siné : on peut être l’avocat d’une grande banque internationale et en même temps celui de Charlie Hebdo, de la même façon que Me Vergès défendait aussi bien le nazi Klaus Barbie et que le terroriste révolutionnaire Carlos : Dans L’Ordre de Cicéron, Steiner défend devant la cour celui qui devrait être son pire ennemi puisqu’il lui a spolié son cabinet et l’a envoyé à Auschwitz. Un avocat ne défend pas un homme, il défend la justice. « Sans défense, il n’y a point de débat » disait Cicéron. Et ce débat est nécessaire pour que la justice soit rendue. Denis Robert et Siné en appellent à l’opinion ; Malka en appelle à la justice. Vieux débat, en vérité.

Deux gauches

On est tenté de croire que la frontière est claire entre le « vieux » et le « nouveau » Charlie Hebdo, entre le Charlie que tente de s’annexer une gauche libertaire qui se retrouve dans Siné Hebdo et une gauche sociale-démocrate qu’incarne le Charlie de Philippe Val. Mais ce n’est pas si simple car, comme le dit si bien Denis Robert, « les lignes ont bougé ». Après la chute du Communisme, le Capitalisme est en crise. La bande dessinée, avec son art consommé de la synthèse, sa façon de raconter simplement les choses compliquées, est devenue semble-t-il le refuge du débat idéologique. Il est vrai qu’il est plus agréable et plus commode de lire une BD qu’un essai politique. C’est ce qui lui donne son prix pour autant que l’on prenne soin de replacer les auteurs dans leur contexte. C’est ce que nous faisons ici.

(A Suivre – Prochain article : Destination Gaza )

Lire le précédent article :

La bande dessinée, une arme politique ? (1/2)

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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