Chose promise, chose due ! Six mois après la publication de leur premier volume de l’intégrale de Félix (judicieusement intitulé « tome 5 »), les Editions de l’Elan livrent la suite des aventures du journaliste-détective épuisées depuis quarante ans (Ed. Deligne) et âprement recherchées par les collectionneurs. On y retrouve six titres chronologiquement parus dans Héroïc-Albums de mars à octobre 1952. Mystères et ambiance polar sont de nouveau au rendez-vous avec L’Étrange Mister Queen, Un Squelette très riche, Pop-corn et les diamants, Un Mystérieux Colis, Une Combine au poil et L’Île du diable.
Daniel Depessemier, l’éditeur des Éditions de l’élan, contextualise l’esprit de ces récits qui ont gardé toute leur fraîcheur : « Maurice Tillieux était du genre à se saisir d’une référence tout en la transformant : « L’idée de ce film (ou de ce polar) est bonne, mais je l’aurais tourné autrement... » disait-il. Nous avons donc à nouveau consacré quelques pages à évoquer ces références qui, pour la plupart, datent d’avant-guerre, lorsque Tillieux était adolescent. Parmi ces influences, on retrouve quelques grands noms, comme par exemple Maurice Leblanc et Jean Ray qui ont influencé Tillieux. »
La diversité des enquêtes permet de redécouvrir ces aventures de Félix avec beaucoup de plaisir : on passe des sombres décors de la banlieue parisienne chers à Léo Malet à des ambiances plus exotiques tels que le Mexique, l’Océan Atlantique ou la Nouvelle-Angleterre, sans oublier ce lugubre passage au sein des Catacombes parisiennes. Le talent de Tillieux ne se distingue pas uniquement par l’esprit du roman noir, mais également par sa mise en scène. Il composait avec les aplats, les trames et les cadrages souvent très innovants, imposés par l’économie d’un journal à faible tirage.
Ce second recueil se distingue également par la richesse des personnages secondaires : l’étrange Mister Queen (qui donne son titre au récit) laisse une image persistante au lecteur, tandis le faux flegmatique détective Pop-corn propose un des plus savoureux personnages de la série, un formidable tandem en contre-emploi avec Félix. Le dossier rappelle d’ailleurs au lecteur que Tillieux a repris ce personnage en 1954 pour composer pendant dix ans le Monsieur Balourd qui va égayer les publications de l’Association belge pour les Accidents de Travail. Et impossible bien entendu d’omettre l’humour grinçant distillé par les trois compères, y compris dans les Programmes non-stop qui sont tous reproduits dans cette intégrale.
Désormais, Daniel Depessemier n’est plus le seul à écrire les articles qui introduisent chaque recueil. Il reçoit l’aide d’Étienne Borgers, spécialiste des romans noirs, et bien connu des amateurs de Walthéry car il a écrit trois scénarios de Natacha ainsi que celui de la série L’Aviatrice (Paquet).
« Étienne, François Walthéry et moi sommes de la même génération et nous nous côtoyons depuis longtemps : nous nous sommes d’ailleurs connus pendant notre service militaire !, explique Daniel Depessemier. Étienne Borgers a également beaucoup apprécié Félix, et nous avons de régulières discussions concernant le polar et les références. Comme Tillieux était un amateur de polar, j’ai demandé à Étienne d’écrire des articles sur cette passion commune. Attention, il s’agit une nouvelle fois d’un simple dossier purement didactique, et pas d’une anthologie. Les éléments présentés sont d’ailleurs autant issus de nos deux collections que de celles d’autres passionnés. »
« Félix était précurseur, la première bande dessinée de série noire, en Europe francophone !, rappelle Daniel Depessemier. Car Tillieux osait : il était très audacieux pour l’époque ! Charles Dupuis a d’ailleurs dû faire un bond dans son fauteuil en le voyant arriver et lui a demandé de se tempérer. Et malgré cela, les deux premiers Gil Jourdan ont été interdits en France pendant une dizaine d’années. Dans ce second recueil, après un dossier qui présente chaque histoire de Félix et diverses anecdotes, un deuxième dossier est écrit par Étienne Borgers et est donc consacré à la censure pendant les années cinquante, l’époque de notre enfance et lorsque paraissait Félix dans Héroïc-Albums. »
« Nous avons connu les classes primaires des années 1950 dans lesquelles il était interdit d’apporter des bandes dessinées. Un de mes amis avait ainsi acheté le Spirou spécial du moment sur le chemin de l’école, de peur qu’il ne soit épuisé en cours de journée. Mais notre professeur (dont les yeux allaient partout pendant la dictée) l’a aperçu dans son cartable ! Offusqué, il s’est saisi de l’objet du délit, et est allé le déchirer sur l’estrade devant les yeux ébahis des élèves, avant de le jeter à la poubelle : « Pas de ça ici ! ». Un comportement paradoxal car nous apprenions plein de choses à la lecture de Spirou, notamment grâce à l’Oncle Paul. »
Après l’effet de surprise de premier recueil, l’innovation du dossier sur la censure apporte encore un intérêt complémentaire aux introductions de cette intégrale. Cet article s’intéresse bien entendu à la bande dessinée, notamment avec des exemples de censures sur Félix, tout en contextualisant globalement le sujet sur la presse et les visions orientées des spécialistes de l’époque. On se félicite déjà de retrouver dans les prochains recueils les deux parties d’une seconde et plus longue étude d’Étienne Borgers intitulée « Félix et les Polars », et qui reviendra sur les multiples sources d’influences de Tillieux.
Les deux mille cinq cents exemplaires du premier volume de cette intégrale aux Editions de l’Elan étant déjà épuisés, il y a fort à parier que le tirage de ce second volume s’écoule également rapidement. Les amateurs ne devront pas trop tarder avant de manifester leur intérêt.
(par Charles-Louis Detournay)
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Intégrale Félix : Tome 6 - Par Maurice Tillieux - Editions de l’Elan
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Concernant cette intégrale de Félix, lire également L’heureux retour de Félix de Maurice Tillieux, juste à temps pour les fêtes !
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