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La justice belge a tranché : "Tintin au Congo" n’est pas raciste

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 11 février 2012                      Lien  
La décision a fini par tomber. Après cinq années de procédure, suite à la plainte de M. Bienvenu Mbuto Mondondo, un citoyen congolais résidant en Belgique soutenu par le CRAN, le Tribunal de Première instance de Bruxelles a décidé de débouter les plaignants de leurs demandes en déclarant que Casterman et Moulinsart ne s'étaient pas rendues coupables d'infraction à loi belge de 1981 visant à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie.

L’affaire avait fait grand bruit : en août 2007, un citoyen congolais, M. Bienvenu Mbutu Mondondo, sortait les tintinophiles de leur torpeur estivale en portant plainte contre Tintin au Congo, une œuvre créée en 1930-1931, à la suite d’un signalement du même genre en Angleterre qui avait obligé certaines bibliothèques à classer l’album dans une section pour adulte, imitée en cela par l’Afrique du Sud.
Les motivations des uns et des autres étaient frappées de suspicion car l’édition anglaise, pourvue d’un avertissement au contraire de l’édition francophone, était déjà présente sur le marché depuis 1991 sans qu’aucune plainte ait été portée. Dès août 2007, nous formulions l’hypothèse que l’annonce de la sortie des films de Tintin par Spielberg était la principale motivation de ces plaintes.

Rencontré le 31 août 2007 par ActuaBD.com, M. Bienvenu Mbuto Mondondo expliquait ses motivations : un racisme latent anti-congolais en Belgique créant de la ségrégation et surtout un lien politique : " Cette dernière année au Congo a eu lieu un évènement historique : c’était la première fois qu’il y avait des élections libres au Congo après 46 ans. Mais la façon dont ça s’est passé et la manière avec laquelle elle nous a été imposée ont bien montré le lien direct avec l’ancien pays colonisateur. Quand il y a eu le procès contre Tintin au Congo en Angleterre, nous avons compris qu’il y avait un lien entre la façon dont les hommes politiques belges se sont impliqués dans cette élection et ce qui est écrit dans cette bande dessinée. "

Le professeur Joël Kotek, politologue à l’Université belge ULB, argumentait de son côté : "... sa démarche (et pas sa demande) est totalement légitime et ne tient en rien du “politically correct”. Le “politically correct” belge existe [...] : il consiste à s’émouvoir des crimes et exactions commis par tous les autres états et, notamment de la France. On se désole, à juste titre d’ailleurs, du sort des tirailleurs maghrébins. On insiste sur Vichy et les guerres coloniales françaises, tout en évitant ce qui touche à la Belgique. Les travaux historiques sur le Congo belge se comptent sur le doigt d’une seule main. On en est réduit à lire des ouvrages anglo-saxons qui ont souvent tendance à pousser le bouchon beaucoup trop loin ; certains n’ont pas hésité à traiter Léopold II de roi génocidaire ! Pour ma part, j’attends toujours une grande synthèse historique sur l’expérience coloniale belge."

La justice belge a tranché : "Tintin au Congo" n'est pas raciste
Bienvenu Mbuto Mondondo en août 2007
Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)

L’affaire prit de l’ampleur, suscita des imitations en Suisse et en France où le CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires de France) et son président Patrick Lozès s’associent au plaignant limitant sa demande à ce que l’éditeur publie un avertissement. L’affaire fut même portée devant l’Assemblée Nationale française, le ministre Frédéric Mitterrand répondant sèchement que « ...l’album d’Hergé ne révèle ni virulence idéologique ni caractère haineux. Les limites consenties par le cadre législatif français au principe de liberté d’expression sont définies de manière stricte et ne sauraient justifier une systématisation des demandes d’interdiction. Une telle évolution serait contraire tant à l’esprit qu’à la lettre de la loi du 13 juillet 1990 tendant à réprimer les actes racistes, antisémites ou xénophobes. Le cas spécifique des publications à destination de la jeunesse, réglementé par la loi de 1949 qui confère des compétences en la matière à l’autorité administrative, n’autorise pas davantage à banaliser la censure. L’application de ces dispositions appelle une extrême vigilance et un discernement particulier, afin de parvenir à combiner en toute rigueur la préservation de la liberté de création, les sanctions aux atteintes à la dignité humaine et le respect de la pluralité des identités. »

Cette affaire, au-delà des procédures multiples et variées, est d’abord celle d’une prise de conscience autant douloureuse que délicate juridiquement : elle pouvait ouvrir à ce que ce type de plainte porte sur n’importe quelle œuvre, de La Bible à Robinson Crusoé... C’est ce qui explique les nombreuses tergiversations procédurales, chacun y allant de son plaidoyer.

La décision du Tribunal de Bruxelles estimant cette demande "non fondée" considérant que, vu le contexte de l’époque, il n’y avait pas d’intention discriminatoire de la part d’Hergé, met un terme à cette polémique.

Le droit triomphe puisqu’un citoyen a pu interpeler la justice et a obtenu sa réponse. On notera que, dans sa grande sagesse, le tribunal a également débouté les Éditions Casterman et la SA Moulinsart qui réclamaient chacune 15.000 euros pour procédure téméraire et vexatoire. Mais on suppose que les dépens (frais d’avocats...) restent à la charge des plaignants. Nous ignorons s’ils ont fait appel de la décision.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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