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La lente agonie de la presse satirique et de l’édition turque

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 29 septembre 2018                      Lien  
Les deux derniers des grands journaux satiriques turcs Uykusuz et LeMan sont au plus mal. Mais pas eux seulement : toute l’édition turque est affectée par la situation économique du pays. Où comment l’économie est en train d’étouffer la liberté d’expression en Turquie aussi sûrement que le pouvoir en place.

La presse satirique turque a une longue tradition, depuis le XIXe siècle. En dépit des interdictions, elle réussit à persister durant tout le XXe siècle, même sous la dictature militaire, jusqu’à devenir florissante dans les années 1970-1980. Il y a trois ans encore, au moment du massacre de Charlie Hebdo, cette presse courageuse, qui avait affiché, une semaine après les attentats, une couverture noire barrée de la mention « Je suis Charlie », en français dans le texte, et ceci sous un gouvernement islamo-conservateur, vendait quelque 200 000 d’exemplaires toutes les semaines, une situation relativement enviable qui faisait vivre des dizaines de dessinateurs et de caricaturistes.

Hélas, la radicalisation du pouvoir turc allait réduire petit à petit cette liberté relative. Sur les quatre titres présents en 2015 : Uykusuz, LeMan, Penguen et Gırgır, deux ont disparu en 2017, en raison de procès faits par les autorités turques, toujours sur des questions religieuses : Penguen d’abord, assigné en justice à plusieurs reprises, Gırgır ensuite, qui n’était déjà plus que l’ombre du grand journal satirique de ses débuts (il faut dire que son propriétaire, acheteur de la licence, n’avait rien à voir avec ses fondateurs), intimidé par une injonction judiciaire pour avoir dessiné une caricature de Moïse.

La lente agonie de la presse satirique et de l'édition turque
La dernière livraison de la revue LeMan

Les deux survivants n’allaient pas beaucoup mieux. Tant LeMan qu’Uykusuz sont sous le coup de procès des autorités pour avoir critiqué le gouvernement de Recep Tayyip Erdoğan. En outre, la presse satirique n’a plus la cote : les consommateurs ont de plus en plus de mal d’acheter ouvertement une feuille critique avec le pouvoir, quand ce n’est pas le kiosque qui planque cette publication politiquement incorrecte. À cela s’ajoute que le principal distributeur de la presse turque est passé sous l’influence des proches du parti du président. Bref, la situation n’était pas joyeuse.

La dernière livraison de la revue Uykusuz

Crise économique

Mais le danger le plus mortel ne vient pas de là. Elle est directement la conséquence de la situation actuelle de l’économie turque. Il y a quelques années, le principal fabricant turc de papier avait dû fermer ses portes : mondialisation oblige, la plupart des journaux turcs achetaient leur papier à l’étranger parce qu’il était moins cher. La seule usine nationale n’était plus compétitive.

S’ajoute à cela la chute vertigineuse de la livre turque qui a perdu 40% de sa valeur en quelques mois, affichant un taux de 7 livres pour un euro. Ceci sans compter une inflation repartie à la hausse et qui a atteint quasiment 18% en taux annuel en août dernier, le chiffre le plus élevé depuis 15 ans.

La grande caricaturiste turque Ramize Erer montre "Le Petit LeMan" la réponse ironique du journal satirique turc au renchérissement du coût du papier.
Photo DR

Résultat : le prix du papier a plus que doublé et la presse n’est plus du tout compétitive. Cela arrange bien le pouvoir qui mise sur une télévision qu’il contrôle presque totalement, tandis qu’Internet est soigneusement filtré de tous ses réseaux sociaux séditieux.

La conséquence, c’est que les journaux satiriques turcs ne peuvent plus payer leurs créateurs. En raison de cela, les meilleurs talents quittent le journal et tentent de survivre notamment en se faisant publier à l’étranger. L’équipe d’Uykusuz envisage nettement d’arrêter la publication, tandis que celle de LeMan, par une dernière bravade, a réduit de moitié le format de sa publication en espérant que le public, fidèle et militant, continue d’acheter la revue. Si ces deux journaux venaient à disparaître, la longue tradition de la presse satirique turque viendrait à s’éteindre.

« Sic transit gloria mundi  » dirait Jules qui a vécu une partie de sa jeunesse sur les bords du Bosphore.

Bayan Yanı, la seule revue au monde dont la rédaction est principalement composée de femmes.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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