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La malédiction de Blake et Mortimer

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 29 novembre 2009                      Lien  
Entamé par René Sterne, l'album « La malédiction des trente deniers », sur un scénario de Jean Van Hamme, a brusquement été interrompu par la mort brutale du dessinateur le 15 novembre 2006. Sa compagne Chantal De Spiegeleer en reprit courageusement le dessin, aidée par Étienne Schreder aux décors et Laurence Croix pour la couleur. Le premier tome du diptyque séduit sans convaincre.

« Malédiction ! » est une des interjections favorites de Philip Mortimer quand Olrik lui échappe. Il peut en user dès le début de cet album qui s’ouvre sur la spectaculaire évasion de l’ennemi juré de nos héros britanniques. On y retrouve la veine historique des aventures de Blake et Mortimer, celle du Mystère de la Grande Pyramide avec ce zeste de fantastique présent aussi dans L’Énigme de l’Atlantide.

Qu’importe si le prétexte –les fameux trente deniers de Judas- ne se retrouve pas dans les Évangiles. Selon ceux-ci, Judas ayant au mieux rendu cette somme à ses commanditaires (Matthieu), au pire s’en serait servi pour acheter un champ (Luc) et se serait pendu ensuite. Ceux que cela intéresse peuvent même lire en ligne sur le sujet une exégèse d’un théologien émérite qui n’est autre que le pape Benoit XVI !.Qu’importe aussi le fait que cette histoire des trente deniers est un des fantasmes les mieux ancrés de l’antijudaïsme chrétien attribuant l’appât du gain aux Juifs.

La malédiction de Blake et Mortimer
René Sterne. Sa disparition il y a trois ans a interrompu une reprise prometteuse.
Photo : (c) Le Lombard - 2003

Jean Van Hamme s’assoit sur ces incohérences, prêtant même au Professeur Mortimer une connaissance erronée des textes (il mentionne des « Actes des apôtres de Luc » qui n’existent pas) pimentant son récit avec des personnages hauts en couleur comme ce nazi ayant usurpé l’identité d’un rescapé de Mauthausen au patronyme arménien qui fait sortir Olrik de son pénitencier pour opérer ses basses besognes. Le reste n’est que cavalcades sans enjeu. Du grand n’importe quoi.

Heureusement, le dessin de René Sterne est convaincant et, même si parfois les personnages secondaires sont d’un burlesque à la limite du caricatural, on peut sans conteste le classer comme l’un des successeurs les plus honorables de Jacobs, juste derrière Ted Benoit. La reprise de Chantal De Spiegeleer se remarque à peine. L’œil exercé l’aperçoit surtout dans les décors.

Blake & Mortimer par René Sterne. L’une des meilleures reprises du classique belge.
Ed. Blake & Mortimer

Si cet album a tout du pastiche, c’est au scénariste qu’on le doit. Jean Van Hamme s’amuse et espère que son histoire amusera de même le lecteur. Hélas, on ne marche pas trop, même si, incontestablement, le savoir-faire est là, notamment dans le rythme. Le premier tome se termine sur un suspense plutôt tiède. On attend la suite bien sûr, mais sans vraiment de gourmandise. Malédiction !

Chantal De Spiegeleer. Avec courage, elle a continué brillament l’album entamé par son compagnon.
Photo : DR. (c) Ed. Blake & Mortimer 2009.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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17 Messages :
  • La malédiction de Blake et Mortimer
    29 novembre 2009 01:43, par JL

    C’est incroyable ce talent qu’on certaines femmes à assurer ponctuellement le dessin à la place de leur compagnon sur certaines séries ! Hormis Mme De Spiegeleer, je pense à Davine qui a dessiné Spirou en 1939 pendant que son mari Rob-Vel était mobilisé ! Quel talent !

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    • Répondu par Philippe le 29 novembre 2009 à  10:44 :

      C’est vrai que le scénario est vraiment... à la limite de la caricature. Je me demande pourquoi personne chez Dargaud n’a osé accepter le projet de Bravo et de Sfar qui me semblait beaucoup plus dense et riche. Il faudrait sans doute proposer un "Blake et Mortimer vu par..." pour enrichir cette série qui devient vraiment très pauvre d’un point de vue dramatique.
      Le dessin de Sterne est fabuleusement "jacobsien" (période "Pyramide"). Celui de sa veuve est appliqué, et tente d’être respectueux. C’est un bel hommage à Jacobs, puis à Sterne, d’un point de vue graphique. On reconnaît dans les seconds rôles des personnages qu’on croirait issus de Madila Bay ou de "Adler"...
      Mais l’intrigue est vraiment banale, on ne se sent absolument pas emporté par elle. Mais peut-on l’écrire ? J’ai lu quelque part que Jean Van Hamme avait répondu vertement à la critique de Hugues Dayez.
      M. Pasamonik, vous avez raison de souligner les incohérences de cette histoire qui n’honorent pas la réputation de Jean Van Hamme. Jacobs était plus méticuleux dans ses scénarios. Il manque peut-être à Van Hamme un "ami Jacques"...

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      • Répondu par Alex le 29 novembre 2009 à  22:10 :

        Le dessin de Sterne est fabuleusement "jacobsien" (période "Pyramide")

        Jacobsien, oui. En diable ! Mais "Pyramide", non-non-non... "Marque Jaune"

        "on peut sans conteste le classer comme l’un des successeurs les plus honorables de Jacobs, juste derrière Ted Benoit."

        Ted Benoit est un dessinateur très divertissant. Un homme cultivé qui multiplie les références. Ses Ray Banana sont des histoires "à tiroir" absolument délectables. Hélas, Ted Benoit à l’oeil d’un cinéaste, non celui d’un dessinateur. Ses cases sont confuses, et graphiquement hors-balance. Mr Sterne était beaucoup plus doué comme dessinateur de bd.

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    • Répondu par André le 3 décembre 2009 à  07:50 :

      Cher Monsieur,
      Je ne m’étendrai pas ici sur "Blake et Mortimer" dont j’ai, bien sûr toutes les aventures, mais j’ignorais que Madame Rob-Vel avait repris le dessin pendant que son mari était mobilisé. Pourriez-vous me dire à quel moment car je possède 6 des albums Spirou n°s 1 à 10 dont de grands formats bien qu’il y en ait eu peu. Vous imaginez si vous avez piqué ma curiosité au vif. Merci.
      Bonne journée à tous ceux qui liront ce commentaires (et aux autres aussi).
      André.

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  • La malédiction de Blake et Mortimer
    29 novembre 2009 11:54, par Pierre D

    "(il mentionne des « Actes des apôtres de Luc » qui n’existent pas)"

    Bonjour, merci pour cet article !

    Juste ce petit mot pour vous préciser que IL ME SEMBLE BIEN, mais je ne suis pas un spécialiste, que beaucoup d’exégètes et d’historiens de l’église (mais pas tous) attribuent les Actes des Apôtres (ceux du Nouveau Testament) à Luc, i.e au même auteur que l’Evangile de Luc.
    Vrai ou pas, je crois que c’est même assez ancien, et qu’un père de l’aglise comme Origène considère lui-même que les Actes ont été écris par Luc.

    C’est donc une hypothèse courante à propos des Actes des Apôtres, ils auraient été écris par Luc, et c’est vrai que la plupart des linguistes trouvent de grandes similitudes stylistiques entre l’E. selon Luc et les Actes.

    Du coup c’est assez crédible que Mortimer en parle.

    Merci encore !

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    • Répondu par E. Panorthotès le 30 novembre 2009 à  06:53 :

      Bien sûr. Dans ce cas précis (je ne parle pas de l’album, que je n’ai pas lu), la connaissance des textes par M. Van Hamme est moins erronée que n’est insuffisante celle de M. Pasamonik : les Actes des apôtres (qui commencent d’ailleurs par rappeler un texte précédent, prôtos logos, "premier discours") sont assez généralement attribuées à l’évangéliste Luc (opinion traditionnelle) ou au même auteur que l’Evangile selon Luc (opinion moderne).

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  • La malédiction de Blake et Mortimer
    29 novembre 2009 14:21, par Arthur

    Très impatient de la sortie de cet album, j’ai été très peiné du décès de René Sterne.
    J’ai donc attendu, plein d’espoir à l’annonce de la poursuite de son travail par son épouse et là, patatras !!!
    Tout s’effondre : autant le dessin de Sterne était d’une qualité exceptionnelle, parvenant à fondre son style dans celui de Jacobs tout en gardant sa propre patte, autant la suite par Chantal de Spiegeleer me semble maladroite et navrante. Les attitudes des personnages sont figées, les visages peu expressifs et la composition des scènes n’est pas toujours très heureuse.
    Quant à la couverture, je persiste à la trouver franchement mauvaise, tant du point de vue de l’image, du dessin du titre que des couleurs utilisées. Je suis vraiment étonné que l’éditeur (y a-t-il une direction artistique ??) ait laissé passer ça...
    Déçu déçu...

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    • Répondu par Alex le 29 novembre 2009 à  23:15 :

      Quant à la couverture, je persiste à la trouver franchement mauvaise, tant du point de vue de l’image, du dessin du titre que des couleurs utilisées.</quote
      Quant à la couverture, je persiste à la trouver franchement mauvaise, tant du point de vue de l’image, du dessin du titre que des couleurs utilisées.

      Totalement d’accord ! Et j’ai déjà fait des interventions sur le sujet : le dessin est maladroit, la palette de couleurs désengageante et répulsive. On se demande effectivement ce que connaissent les éditeurs de l’oeuvre de Jacobs, de l’alchimie qui faisait le succès de ses créations.

      Visiblement pas grand-chose, le mélodrame -issu de l’opéra, les héros qui se pointent devant vous bras dramatiquement ouverts pour accueuillir leur destin, les références à l’illustration populaire anglaise et américaine (Dime novels et Penny Dreadfuls), tout est gommé !...

      Cette série ne fonctionnait pourtant que sur ces concepts, ceux de la littérature populaire. Un héros de dos en couverture ?! Wow !

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      • Répondu par JYB le 4 décembre 2009 à  16:12 :

        Je ne comprends pas un tel acharnement à dénigrer un album plus que respectable : dessins, scénario, couverture sont d’une qualité tout à fait honorables et nous réconcilient avec la série que Juillard et Sente avaient gravement compromise dans les deux épisodes précédents : dessin et couleurs déplorables , scénarios totalement indigents.
        Le regretté Sterne et sa courageuse compagne en revanche font un beau cadeau aux amateurs de la série il faut espérer que le second épisode avec un nouveau dessinateur, sera à la hauteur de celui ci.
        JYB

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  • La malédiction de Blake et Mortimer
    3 décembre 2009 09:23

    Je ne l’ai pas lu et pourtant je voulais l’acheter !... mais la couv était trop moche !... sérieusement ! Je sais c’est un peu pitoyable de ma part, mais je ne pouvais pas ! Je reconnais que le dessin est très beau, mais je pense que la couverture est une erreur monumentale ! Je n’avais même pas fais la relation avec les deniers de Judas !!!

    Au moins, du temps de Jacobs les couvs étaient clairs : La Marque Jaune=une marque jaune, Le mystère de la grande pyramide=la grande pyramide, Le secret de l’Espadon=l’avion espadon... Mais là, les deniers de Judas=mortimer dans la flotte ??? Qu’est-ce qu’il fait le directeur de collections de chez Dargaud ???

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    • Répondu le 3 décembre 2009 à  13:57 :

      Qu’est-ce qu’il fait le directeur de collections de chez Dargaud ???

      il écrit des scénarios à la place des scénaristes...

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    • Répondu le 3 décembre 2009 à  14:52 :

      Vous préférez lorsque le titre est redondant. Le Nid des Marsupilamis = le Nid des Marsupilamis. L’image ne raconte rien de plus et vous êtes content. C’est statique, basique, pas de mouvement, pas d’interrogation, l’inertie. Un chat est un chat et une pipe est une pipe.
      Je ne partage pas votre opinion. Cette couverture n’est pas laide. Au contraire, elle est plutôt surprenante et intrigante. Par sa composition et par le récit qu’elle propose. On s’interroge : mais comment en sont-ils arrivés là ? Voilà, il y a un dialogue entre le titre, le dessin et le lecteur.

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  • La malédiction de Blake et Mortimer
    3 décembre 2009 14:12

    C’est quand même dramatique de voir les éditeurs réduits à faire de faux vieux albums, c’est quasiment de la contrefaçon, car là aussi c’est la marque qui fait vendre, même si la qualité n’est pas au rendez-vous.
    Plutôt que chercher les classiques de demain (ça demande du temps et de l’argent de développer des séries, de faire confiance aux auteurs, le succès se fait rarement avant le 4ème album), ils préfèrent se fourvoyer dans des combines de margoulins, c’est une fuite en avant, ils peuvent présenter des chiffres positifs à leurs actionnaires à la fin de l’année, mais après moi le déluge est leur mot d’ordre.

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    • Répondu le 3 décembre 2009 à  18:16 :

      Moi, je trouve ça bien de faire revivre de bonnes vieilles séries et de ne pas chercher à les moderniser. Et cela n’empêche à rien la création de nouvelles œuvres modernes, novatrices. Au contraire...

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  • La malédiction de Blake et Mortimer
    3 décembre 2009 20:42, par Vincent

    L’album me plait et je le conseille pour le fun.
    Jean Van Hamme lorgne sans vergogne vers "les Aventuriers de l’arche perdu" et je marche. C’est d’actualité : les historiques du Lombard/Indiana Jones, même combat.
    A ce titre l’interview de JvH dans CASEMATE confirme le coté ludique de son scénario.

    Peut-être pourriez vous nous éclairer sur le nouvrau dessinateur qui officiera sur le T2, puisque Chantal de Spiegeleer jette l’éponge après 3 ans de boulot.

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  • La malédiction de Blake et Mortimer
    8 décembre 2009 14:22, par spil

    Contrairement à ce qui est dit sur ce forum, à titre personnel, j’aime bien cet album. Je trouve le dessin très agréable, respectueux de l’oeuvre d’origine. le scénario n’a rien à envier aux autres albums de la série. J’ai beaucoup de respect pour Madame de Spiegeleer qui a repris dignement et avec succès la suite de son compagnon. J’espère que le dessinateur de la seconde partie de cette histoire aurait la même qualité dans sa réalisation.

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    • Répondu par Sirius le 8 décembre 2009 à  15:30 :

      J’aime aussi cet opus, autant juillard et sentes faisaient n’importe quoi avec BM,
      là, c’est bien mieux reparti, on distingue un poil le changement de style, mais
      globalement ça passe - Dommage pour la couv quand même, elle est assez repoussante et indigne d’ EPJ

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