Actualité

La relation auteur-éditeur au cœur des débats

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 17 juillet 2008                      Lien  
Des « États généraux de la bande dessinée » ont eu lieu en juin dernier au Festival de la bande dessinée de Lyon. Par ailleurs, la dernière livraison de Jade (Mai 2008) publie un long entretien avec David Vandermeulen où l’auteur belge interpelle les auteurs, incapables, selon lui d’exprimer leur « réalité sociale ». En ces temps de « surproduction », la relation auteur-éditeur est plus que jamais en cause.

Peu avant l’Université d’été d’Angoulême consacrée à la crise (?) de la bande dessinée en France (Cf Angoulême : L’université d’été et le sceptre de la crise), l’association lyonnaise d’auteurs de bande dessinée L’Épicerie séquentielle et Lyon Bande dessinée organisation (LBDO) avaient organisé le 6 juin, les « 1ers états-généraux de la bande dessinée ». [1]

Une manifestation destinée à « permettre aux auteurs d’accéder à des conférences et à des tables rondes sur les différents sujets qui concernent leur activité professionnelle. » Autour de la table, des auteurs, des représentants syndicaux, d’organismes sociaux répartiteurs, des libraires spécialisés en bande dessinée et des représentants des éditeurs.

La relation auteur-éditeur au cœur des débats
Les Etats Généraux de la bande dessinée - 6 juin 2008
Photo : DR

Quatre points ont été principalement débattus :

- Vers plus de transparence sur les activités et les rémunérations de chacun des acteurs de la chaîne du livre (l’auteur peut-il être mieux rétribué dans un marché en expansion ?)
- À la signature du contrat, l’auteur est-il en position de négocier ?
- Les relations entre auteurs : partage des droits, statut des coloristes, vente des planches, etc.
- Est-ce que l’arrivée du livre électronique annonce la fin du livre ?

Questions sans réponse

Dans le compte-rendu de la manifestation dont vous trouverez une version complète en PDF à la fin de cet article, les questions ne trouvent pas forcément de réponse.

Ainsi, sur la rétribution des auteurs, on ne comprend pas les intentions des uns et des autres, principalement, à notre sens, parce que le débat est insuffisamment documenté en amont. Il est clair que si la rétribution des auteurs varie d’un auteur à l’autre, d’un éditeur à l’autre et même d’une nature d’ouvrage à l’autre, on est toujours dans un rapport de force qui consiste à répartir les bénéfices engendrés par la vente d’un livre. Ce rapport de force est juste esquissé ici, notamment à la lumière de la relation entre l’auteur et l’éditeur. Au début de sa carrière, un auteur est forcément une charge pour son éditeur. Quand le succès est là, le rapport de force se modifie et l’éditeur fait souvent valoir qu’il est en droit de récolter les bénéfices sur ces investissements à plus ou moins long terme. On peut lire dans le rapport des estimations de prix de revient. Mais ils ne sont pas indexés à un tirage et ne tiennent pas compte que les premiers titres d’un auteur, qu’il s’appelle Franquin ou Zep, sont souvent édités à perte par un éditeur. Après, le succès venant, il est clair qu’Uderzo, Zep ou Arleston ne sont pas rémunérés au même niveau qu’un débutant.

Vient la question du contrat. En début de carrière, les auteurs se laissent convaincre par l’éditeur du risque qu’il prend à éditer leurs ouvrages. Comment pourrait-il en être autrement lorsque la preuve d’un succès potentiel ne peut être produite ?

L’avocat présent au débat met en avant le cadre juridique existant, et relativement protecteur, du droit d’auteur en France. L’éditeur plaide sa bonne foi : les bénéfices perçus sur les uns permettent de financer les autres. Les auteurs présents ne veulent pas passer non plus pour des oies blanches. Un contrat, ça se lit, ça se discute et des conseils existent (avocats, structures syndicales, etc.) pour s’informer de la conformité du contrat proposé aux usages de la profession.

Mais le rapport problématique avec l’éditeur peut aller bien au-delà de la simple question de rémunération comme l’a montré L’Affaire Vilebrequin qui a vu les auteurs triompher dans le procès qui les opposait à leur éditeur, puis ce dernier gagner contre eux un autre procès à propos de l’exigence de retirer complètement les exemplaires litigieux de la vente. «  Cette décision est très décevante, avait alors commenté la SNAC-Groupement des auteurs de bande dessinée, en ce qu’elle tendrait à démontrer que l’éditeur, pas plus que le diffuseur d’un livre, ne serait réellement capable de récupérer l’intégralité des exemplaires d’un ouvrage si, ceux-ci étant défectueux, il fallait envisager un tel retrait. »

Les Etats Généraux de la bande dessinée - Au centre, Cyril Pedrosa
Photo : DR

Évolutions problématiques

Le contrat régit aussi la relation entre co-auteurs. Mais l’évolution récente du métier met en évidence certaines questions laissées en suspens : quel est le partage normal des droits entre un scénariste et un dessinateur ? quid du statut des coloristes, sont-ils des auteurs à part entière ? Est-ce qu’un scénariste a droit à une rétribution lorsqu’un auteur vend sa planche ? Là, on s’aperçoit que les pratiques sont mal définies et juridiquement peu bordées, en dépit de procès qui établissent parfois une jurisprudence.

Enfin, l’arrivée du livre électronique va modifier considérablement, et les modes de rémunération, et les rapports avec l’éditeur. Car on ne vendra plus des livres, mais des fichiers et les rapports ne se feront plus avec un éditeur, mais avec un diffuseur.

L’impression générale de ce compte rendu est que les sujets abordés étaient trop larges pour être résolus en une journée. Mais ces débats ouvrent des pistes de réflexion qui mériteraient d’être explorées plus profondément et d’être correctement médiatisées.

Heureusement, de plus en plus, ces questions font débat et mettent en évidence la nécessité d’instances de dialogue et d’échange, non pas pour opposer les auteurs et les éditeurs, mais pour rendre plus agréables et plus productives leurs collaborations communes.

Les Etats Généraux de la bande dessinée - A droite, l’éditeur du Lombard Pol Scorteggia
Photo : DR

La réalité sociale de l’auteur

À ce titre, l’entretien accordé par l’auteur belge de bande dessinée David Vandermeulen à la revue Jade (Mai 2008) met davantage encore en perspective le statut de l’auteur. Cet entretien, il faudrait que tous les auteurs de BD le lisent car, tout en faisant un vibrant hommage à la Small Press dont il a été un des acteurs les plus actifs ces dernières années, David Vandermeulen répond, avec une grande acuité et sans langue de bois, à bon nombre de questions abordées lors de l’Université d’Angoulême et lors de ces 1ers États Généraux de Lyon : le rapport à la création, sa difficile rentabilité en tant qu’auteur, la nécessité ou non de faire des concessions à l’éditeur, le prix à la page (on apprend ainsi que Fritz Haber lui a été payé 80 euros la page, bien en dessous d’un tarif syndical », s’il y en avait un), sur la nécessité même de faire ou non ce métier. «  Je me sens comme un OVNI face à la consommation culturelle », dit-il, interrogeant cette propension qu’ont ses contemporains à «  manger de la fiction » sans réflexion.

David Vandermeulen, l’auteur de "Fritz Haber" (Delcourt)
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Même s’il y a des interprétations parfois tendancieuses voire, à notre sens, erronées, David Vandermeulen va néanmoins jusqu’au bout de sa réflexion et exhorte les auteurs à exprimer plus ouvertement leur réalité sociale. Il rapporte, avec le talent qu’on lui connaît, un dialogue avec des libraires qui se rendaient brutalement compte, les yeux ronds, que l’édition indépendante « ne payait pas ». « Vous êtes les premiers auteurs à nous le dire, comment aurions pu le deviner ?  » constataient les ingénus. Si l’anecdote est vraisemblablement controuvée, elle révèle néanmoins une réalité : la surproduction et l’import (notamment les mangas) pèsent aussi sûrement sur la rentabilité de l’auteur de bande dessinée que le chômage sur les salaires, et ce fait n’est que peu exprimé ouvertement. Dès lors, le public est dans la même position que nos bien naïfs vendeurs de livres : « Comment aurions pu le deviner ? »

Jade 630U (Mai 2008)
Editions 6 Pieds sous Terre

Au passage, Vandermeulen émet des doutes quand à la capacité de la SNAC, le syndicat des auteurs de bande dessinée, à représenter toutes les catégories d’auteurs, ses représentants étant « pratiquement tous auteurs ou directeurs de collection dans le mainstream ».

« Ses quelques réflexions au sujet du SNAC sont empreintes d’une certaine ignorance des réalités de notre syndicat (ce qui ne remet pas en cause le reste de son papier) » se défend-t-on du côté de l’organisme syndical, lequel se dit prêt à apporter à l’auteur belge quelques infos supplémentaires si le besoin s’en ressentait. Ce que Vandermeulen évoque au sujet du statut des auteurs belges (notamment ceux qui passent par un organisme de gestion appelé Smart) les intéresse furieusement. Le syndicat envisage se mettre en contact plus rapproché avec lui : « L’homme [nous] paraît être de la même qualité que l’auteur et tout à fait le genre de personnage que [nous aimerions] voir rejoindre notre structure syndicale à terme, quelles que puissent être d’éventuelles divergences de vues », nous fait-on savoir.

Message transmis.

Le compte rendu des Etats Généraux de Lyon (6 juin 2008)
En PDF

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN :

Le site de Jade et des éditions Six Pieds Sous Terre

Le blog de l’Épicerie séquentielle

Le site du SNACBD

[1Les tarifs étaient de 25 euros plein tarif pour la journée, 10 euros pour les étudiants et 23 euros supplémentaires pour le repas de midi (facultatif). Étaient présents des auteurs. dessinateurs, coloristes, scénaristes et des étudiants de l’école Emile Cohl. Environ une trentaine de personnes. 15 intervenants étaient là pour participer aux tables rondes.

 
Participez à la discussion
1 Message :
  • La relation auteur-éditeur au cœur des débats
    18 juillet 2008 09:22, par AMBRE

    Bonjour,

    vous dites à propos de la discussion avec les libraires sur le sujet de la non-rémunération de certains auteurs :

    "Si l’anecdote est vraisemblablement controuvée, elle révèle néanmoins une réalité"

    Cette anecdote est exacte, elle n’a pas été inventée ; J’en ai été le témoin.
    Ce peut être un détail, mais je tenais à le préciser face à la tendance répétée à qualifier certains propos de David Vandermeulen de mensongers.

    Bien à vous.

    Répondre à ce message

CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Didier Pasamonik (L’Agence BD)  
A LIRE AUSSI  
Actualité  
Derniers commentaires  
Agenda BD  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD