Souvent, des gens peu au fait de la BD me posent la question : " - Il y a quoi comme BD qu’il te semble important de lire en ce moment ? " J’avoue qu’il me faut toujours un temps de réponse et que rarement celle-ci me satisfait car mes lectures quotidiennes se constituent surtout -du fait des travaux que l’on me commande- de relectures de vieux classiques comme par exemple ces pages de Steve Ditko pour les premières histoires de Spider-Man, le Maus de Spiegelman ou encore les aventures d’Astérix. Par ailleurs, les lectures plus récentes (pour ActuaBD par exemple) portent rarement sur des chefs-d’œuvre impérissables, telle est la dure loi de l’information.
Mais en recevant récemment le dernier album commis par Bastien Vivès, L’Amour (Coll. Shampooing, chez Delcourt) je me dis que cet auteur-là devrait être la réponse toute trouvée à ce genre de question. D’abord parce qu’il est d’une lecture simple, sans chichis, abordant des sujets que tout le monde est capable d’appréhender sans qu’aucune référence ne soit nécessaire.
En lisant Les Frustrés dans le Nouvel Obs, Roland Barthes a pu dire de Claire Brétécher était "la meilleure sociologue de l’année 1975."
Il y a de cela chez Vivès. Chez ce jeune homme de moins de trente ans, la plupart du temps, ses histoires tiennent en des dialogues. Ce sont des "notes de blog" qu’il poste régulièrement sur son site perso, Comme Quoi. Elles constituent le meilleur précipité de l’esprit du temps présent où la communication omniprésente (par la télé, le portable, les réseaux sociaux...) accroit l’incompréhension, accentue le mal-être. Transparence, droit à l’égalité, liberté d’expression... sont autant d’évidences qui ne sont pas faciles à assumer pour l’homme moderne. En arpentant ses frontières, en interrogeant les tabous, Vivès donne à réfléchir, ce qui n’est pas un luxe par les temps qui courent.
Reste la question du graphisme qui doit horripiler les ébénistes du dessin. Voici un livre de 190 pages constitué en tout et pour tout d’une trentaine de dessins. Et encore, torchés au Photoshop, copiés / collés. Et pourtant c’est génial. On se surprend à chaque fois à relire le même dessin avec une résonance différente selon le dialogue qui y est attaché. On dirait même qu’il bouge, que ce n’est pas le même. L’œil scrute la différence et ne la trouve pas.
C’est que Vivès a compris que l’essence de la bande dessinée, n’est ni le dessin, ni le fameux blanc inter-iconique sur lequel une génération de commentateurs de la bande dessinée se gargarise depuis des décennies, mais tout simplement le propos.
"Au commencement était le verbe..." dit le texte sacré. Rien n’est moins vrai.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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