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La trace singulière de Bastien Vivès

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 16 juillet 2012                      Lien  
Il n'a l'air de rien, comme cela, égrenant chaque semestre des livres légers, virtuoses, pétris de contemporanéité. Un des rares échos intelligents d'un monde qui vit à l'heure de la TV, de Facebook ou de Twitter. Bastien Vivès vient de publier L'Amour (Coll. Shampooing, chez Delcourt). Et cela ne rime pas vraiment avec toujours.
La trace singulière de Bastien Vivès
Bastien Vivès en mars 2012
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Souvent, des gens peu au fait de la BD me posent la question : " - Il y a quoi comme BD qu’il te semble important de lire en ce moment ? " J’avoue qu’il me faut toujours un temps de réponse et que rarement celle-ci me satisfait car mes lectures quotidiennes se constituent surtout -du fait des travaux que l’on me commande- de relectures de vieux classiques comme par exemple ces pages de Steve Ditko pour les premières histoires de Spider-Man, le Maus de Spiegelman ou encore les aventures d’Astérix. Par ailleurs, les lectures plus récentes (pour ActuaBD par exemple) portent rarement sur des chefs-d’œuvre impérissables, telle est la dure loi de l’information.

Mais en recevant récemment le dernier album commis par Bastien Vivès, L’Amour (Coll. Shampooing, chez Delcourt) je me dis que cet auteur-là devrait être la réponse toute trouvée à ce genre de question. D’abord parce qu’il est d’une lecture simple, sans chichis, abordant des sujets que tout le monde est capable d’appréhender sans qu’aucune référence ne soit nécessaire.

En lisant Les Frustrés dans le Nouvel Obs, Roland Barthes a pu dire de Claire Brétécher était "la meilleure sociologue de l’année 1975."

Il y a de cela chez Vivès. Chez ce jeune homme de moins de trente ans, la plupart du temps, ses histoires tiennent en des dialogues. Ce sont des "notes de blog" qu’il poste régulièrement sur son site perso, Comme Quoi. Elles constituent le meilleur précipité de l’esprit du temps présent où la communication omniprésente (par la télé, le portable, les réseaux sociaux...) accroit l’incompréhension, accentue le mal-être. Transparence, droit à l’égalité, liberté d’expression... sont autant d’évidences qui ne sont pas faciles à assumer pour l’homme moderne. En arpentant ses frontières, en interrogeant les tabous, Vivès donne à réfléchir, ce qui n’est pas un luxe par les temps qui courent.

Reste la question du graphisme qui doit horripiler les ébénistes du dessin. Voici un livre de 190 pages constitué en tout et pour tout d’une trentaine de dessins. Et encore, torchés au Photoshop, copiés / collés. Et pourtant c’est génial. On se surprend à chaque fois à relire le même dessin avec une résonance différente selon le dialogue qui y est attaché. On dirait même qu’il bouge, que ce n’est pas le même. L’œil scrute la différence et ne la trouve pas.

C’est que Vivès a compris que l’essence de la bande dessinée, n’est ni le dessin, ni le fameux blanc inter-iconique sur lequel une génération de commentateurs de la bande dessinée se gargarise depuis des décennies, mais tout simplement le propos.

"Au commencement était le verbe..." dit le texte sacré. Rien n’est moins vrai.

L’Amour par Bastien Vivès - Ed. Delcourt

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Delcourt ✏️ Bastien Vivès
 
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18 Messages :
  • La trace singulière de Bastien Vivès
    16 juillet 2012 11:41, par jony

    L’art n’est il pas justement de poser un propos en dehors de la dictature du discours et du verbe à laquelle on échappe pas et qui nous conditionne à vie ?
    La vraie transgression, pour ma part, ça n’est pas les fausses audaces du discours, mais bien comment montrer d’autres plan de réalités et nous faire sortir du verbe précisément.Au sitcom, je préfère le Cinéma.
    Reste un exercice chez Vivès bien exécuté, une sensibilité certaine, mais une vibration toujours la même, qui passe de la légèreté à une franche lourdeur.

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    • Répondu par klafou le 16 juillet 2012 à  14:12 :

      Moi, son copié-collé j’en ai ras le bol et s’il vous plaît, ne faites pas de cette imposture un chef d’oeuvre, arrêtez le foutage de gueule !

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      • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 16 juillet 2012 à  14:48 :

        Il y a pire que le copié-collé : la fainéantise intellectuelle, l’incapacité à accepter les nouveaux champs exploratoires.

        Il n’y a pas d’imposture puisque le procédé est transparent et désarmant d’évidence.

        Le dessin est à l’économie, certes, mais quel dessin ! Eh oui, chef d’œuvre, s’il vous plaît !

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        • Répondu par Big Ben le 17 juillet 2012 à  01:53 :

          Je n’ai pas d’avis sur ce livre, mais en ce qui concerne son principe, ce que vous appelez le "copié-collé", je rappellerai quand même qu’il n’y a rien de nouveau, cela a été fait il y a bien 20 ans, et avec beaucoup de talent par Lewis Trondheim et son "Dormeur" chez Cornélius. A l’époque, on appelait cela "itération iconique", c’est quand même plus joli comme expression. Je note aussi que chez Bastien Vivès, il s’agit plus d’une facilité technique qu’un principe créateur, puisqu’il n’hésite pas à modifier légèrement les dessins en fonction des dialogues.

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        • Répondu par Fred le 17 juillet 2012 à  07:05 :

          Qu’il fasse 500 pages avec un dessin dupliqué 4000 fois, à la limite je m’en fous un peu, mais dire de façon péremptoire que c’est un dessin chef d’oeuvre, là je tique quand même un peu beaucoup

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 16 juillet 2012 à  14:50 :

      Je n’ai pas ressenti de lourdeur, en ce qui me concerne. Vous ne l’avez manifestement pas lu.

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      • Répondu par jony le 16 juillet 2012 à  15:50 :

        " Je n’ai pas ressenti de lourdeur, en ce qui me concerne. "
        ça oui, je l’avais bien compris et j’ai eu plaisir à lire votre chronique, ce qui m’a donné l’envie de prolonger la discussion comme nous sommes invité à le faire, le tout sans vulgarité en proposant juste une vision un petit peu construite.
        Maintenant, je ne goûte pas trop à votre sophisme .
        Je vous le fais à l’envers :

        J’ai ressenti de la lourdeur, en ce qui me concerne. Vous ne l’avez manisfestement pas lu.

        C’est assez explicite non, voir ridicule ? Conclure sur ma non lecture supposée en s’appuyant sur votre jugement de goût, heureusement que vous n’êtes pas avocat ^^

        Ne vous en déplaise, je l’ai lu. Et oui, le discours dont vous dite que c’est sa force, argument que je respecte et que j’entends, moi, je trouve au contraire que ça en fait précisément sa faiblesse. Miser sur le discours, pour ma part, c’est être terriblement dans l’air de l’efficacité, du mental codifié,et du connu. Un chef d’oeuvre, dans ma grille de lecture, c’est bien autre chose.

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      • Répondu par Mael R. le 16 juillet 2012 à  18:00 :

        J’ai beaucoup aimé l’Amour, le premier album, de Vivès m’ayant vraiment plu (les autres je els ai trouvé sympathique, réussi, mais pas du tout à la mesure de l’enthousiasme général).

        Je suis juste chagriné par votre phrase conclusive ""Au commencement était le verbe..." dit le texte sacré. Rien n’est moins vrai.", bon je suppose qu’il s’agit d’une phrase conclusive sympa, un peu facile et qui ne compte pas faire de théorie mais écarter ainsi d’un coup toute la BD muette...

        Certes le dialogue peut-être une donnée d’une bande dessinée -et est essentiel dans L’Amou- mais comme les cases ou les bulles ce n’est certainement pas une obligation.

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        • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 17 juillet 2012 à  10:32 :

          Héhé, c’est amusant de voir que dès que l’on accole le mot "chef d’œuvre" à Bastien Vivès, on voit arriver une petite clique de détracteurs qui lui vouent la vindicte avec les arguments les plus subtils.

          Quelle Hernani !

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          • Répondu par ChR le 17 juillet 2012 à  12:14 :

            Ah bon, Hernani serait donc du genre féminin ? Comme quoi l’échauffement des esprits (les corps, je ne sais pas) ne donne pas que de bons effets !

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            • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 17 juillet 2012 à  15:48 :

              C’est évidemment à la bataille d’Hernani à quoi je fais allusion.

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          • Répondu par Mael R. le 17 juillet 2012 à  12:21 :

            MMoué, drôle de réponse à mon commentaire qui ne parlait pas du tout de ça (mais sans doute ai-je moi même mal posté mon texte qui se trouve en réponse de quelque chose avec lequel il n’a que peu à voir).

            Pour L’Amour je ne trouve en effet pas que ce soit un chef d=’œuvre, mais chacun à les chefs d’oeuvre qu’il veut. Dans mon cas je trouve que c’est un album de très bonne qualité, très drôle et aux dialogues admirablement ciselé.

            Mais ça ne résoute pas la fausseté de votre phrase conclusive et de la thèse soustendant votre texte comme quoi les dialogues seraient l’essence de la BD. Je sais bien que vous êtes parfaitement au courant que c’est plus riche et subtil que ça et qu’il ne s’agissait que d’une petite facilité pour faire une belle intro et une conclu pirouette mais tout de même...

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            • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 17 juillet 2012 à  15:55 :

              Ah mais je maintiens : TOUT est dans le verbe, autrement dit le langage. Je trouve que Vivès joue très bien et du langage, et du propos. Il renvoie en plus une image éclairante de l’homme d’aujourd’hui.

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              • Répondu par Mael R. le 17 juillet 2012 à  16:26 :

                Dans le langage on est d’accord, la bande dessinée c’est du langage en séquence (bon, graphique, fixde, le blabla habituel), je vous suis. Mais le verbe c’est la parole, donc non, on peut très bien se passer du verbe.

                Enfin bon ce n’est pas bien grave, ce livre est très bon.

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                • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 17 juillet 2012 à  16:33 :

                  Non, pas au sens biblique. Le prologue évangélique va même plus loin : "Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu."

                  On parle bien ici d’une création, au sens le plus large. D’où mon usage du mot "propos".

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  • La trace singulière de Bastien Vivès
    16 juillet 2012 23:37, par Séb.L.

    Ce sont des "notes de blog" qu’il poste régulièrement sur son site perso, Comme Quoi.

    "régulièrement" ? Il faudrait le parcourir un peu, le blog. Depuis octobre 2011 (10 mois !), il n’a publié que 2 notes maximum par mois. Et quasiment jamais des strips tels que celui-là. Et encore, septembre, c’était juste une embellie pour le festiblog, ses derniers vrais strips datant de plus d’an an.

    Déjà, avec l’album précédent, on avait eu droit à la même phrase : "qu’il poste régulièrement". Il se trouve qu’il a autre chose à faire de très prenant, actuellement, mais actualisez un peu vos gimmicks ("Bastien Vivès le blogueur") et vérifiez un peu ce que vous dites.

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  • Bastien Vivès agitateur de commentaires
    17 juillet 2012 13:57, par Laurent Colonnier

    C’est toujours étonnant de voir à quel point l’intelligence et le talent déchaînent les réactions des frustrés, lesquels sont généralement bien plus indulgents envers les besogneux.

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    • Répondu par Alex le 17 juillet 2012 à  20:33 :

      En évitant les noms d’oiseaux- "clique", "frustrés"- (merci pour l’effort) il serait bon de rappeler que tout le monde ne partage pas votre enthousiasme. Accoler "chef-d’oeuvre" à encore une publication de Vivès tourne à l’inflation. C’est pour moi loin d’en être un. Un dessinateur très sûr de lui mais encore très approximatif (que fait une casserole posée sur la table de nuit ?). Je suis de mauvaise foi, bien entendu, mais la forme est encore loin d’être maîtrisée chez Vivès. Ce n’est pas Baudouin quand même ! Et loin, très loin encore d’un Feiffer ou d’une Brétécher- même à leurs débuts. Le propos d’adolescent pré-pubère ne m’interpelle pas, ce dialogue interne(affirmation/négation) n’est pour moi rien d’autre que de la pornographie sociale. Il n’y a aucune perspective, une suite de phrases impromptues qui révèlent par trop la pauvreté du propos. Du blabla voyeuriste. Avec toutes mes excuses pour le dessinateur et ses lecteurs..

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