Il est diaboliquement habile pour masquer ses limites, son dessin raide, avec des planches faussement denses et fouillées, jouant des effets de textures qui donnent une impression de maîtrise, manière aussi de masquer la rapidité d’exécution.
Mais là où il excelle vraiment, c’est dans la représentation des marqueurs sexuels. Il n’a pas son pareil pour exprimer la virilité des personnages avec force mâchoires carrées, poses et gestuelles "mâles", sa représentation particulièrement évocatrice des mains et des petits traits autour de la bouche qui renforcent toutes les expressions.
Wolverine profite à plein de toutes ces prouesses graphiques. Pour la sensualité féminine, John Byrne n’est pas en reste. La manière dont ses héroïnes ont traversé les pages de ses histoires reste singulièrement marquante....Tout ces morceaux de bravoures donnent l’impression à un moment donné qu’il est le dessinateur de super-héros ultime. En tout cas les fans en sont convaincus ! Terry Austin l’encreur qui l’a suivi dans l’aventure après qu’ils aient collaborés juste avant sur la série de SF "Star-Lord "(avec déjà, comme nous vous l’évoquions, Chris Claremont au scénario) le complète remarquablement. Oui, on tient-là un trio de rois !
Mais au bout d’un moment, après une suite ininterrompue de disputes et de colères à cause de divergences créatives, Byrne claque la porte. Il reproche à Claremont de n’avoir lu que les X-men scénarisés par Roy Thomas et dessinés par Neal Adams, d’être incapable de donner une victoire franche à l’équipe, mais aussi de ne pas hésiter à tordre le coup à la continuité d’un personnage juste parce qu’il "sentait mieux l’histoire comme ça", attitude qui tapait particulièrement sur les nerfs du dessinateur, sans parler de l’impossibilité de s’entendre sur ce qu’étaient ces personnages, ce qu’ils faisaient, ce qu’ils pensaient, etc...
Byrne donc, fâché, et pas qu’un peu !, avec Claremont, quitte les X-men qui vendaient à peine plus de 100 000 exemplaires (juste au-dessus de la limite d’annulation) pour écrire et dessiner les "Quatre Fantastiques " qu’il vend, maintenant qu’il est une superstar, jusqu’à 250 000 exemplaires par numéro.
Pour Claremont en revanche, le maniement du personnage de Wolverine -devenu depuis un de ses favoris- devient de plus en plus délicat s’il veut rester cohérent avec la série X-Men dans son ensemble. Le côté psychopathe du personnage, toutes lames dehors, lui est de plus en plus inconfortable. Il faut le faire évoluer !
Pour Lug aussi, l’éditeur qui traduit la série en France, ça coince : il est obligé de charcuter allègrement les séquences où le personnage apparaît en prévention des réactions de la Commission de censure de la Loi de 1949 : les planches et parfois les textes où le mutant griffu se laisse aller à sa nature tranchante sont impitoyablement censurées.
Chris Claremont voyageait beaucoup au Japon à cette époque. Il décide, en collaboration avec Frank Miller, de faire une mini-série en quatre numéros sur le personnage, dans laquelle ils aborderont qui il est vraiment et ce qui le motive. Pour Claremont : "Wolverine est clairement un samouraï manqué !"....Mais avec un code de conduite ."Si quelqu’un fait un faux pas en sortant un pistolet ou en menaçant une personne que le mutant griffu protège, il doit s’attendre à en subir les conséquences !"
Mais Wolverine se déclare homme et pas un animal à la fin de la mini-série. Défait et conduit au désespoir, il ne se laisse pas aller à sa nature animale. Il se contrôle et bat ses ennemis : "Il sait qu’il n’atteindra jamais son but de parfaitement se contrôler, commente Claremont. Mais l’essentiel est d’essayer. Il y a une dichotomie entre ce personnage ô combien individualiste, qui vit par ses sens, ses instincts, et la société japonaise structurée qui l’attire. Cela, comme sa romance avec Mariko la Japonaise, ont permis de créer un personnage plus riche, plus évocateur et plus facile à écrire."
La série est un très grand succès. Elle cimente définitivement la place de Wolverine dans l’Olympe des comics. À partir de cet instant crucial, Wolverine devient la figure centrale de la production Marvel, voire des comics dans leur ensemble.
Arrive Paul Smith au crayon sur la série X-men, avec son style vivant et dépouillé, très art déco en somme, qui laisse l’œil respirer... Après un second départ de Dave Cockrum, les ventes montent en flèche. Vraiment. Et ce n’est qu’un début...
En plus de la série principale, mini-séries, épisodes spéciaux et séries dérivées avec les célèbres mutants se multiplient. On veut du Mutant, on veut du Wolverine partout ! Alors la franchise se déploie, souvent au détriment des autres titres...
Pour contrer la toute-puissance commerciale de Marvel avec ses X-men, DC Comics, son principal concurrent sur le territoire américain, lance sa série les "New Teen Titans" avec, comme collaborateurs, des anciens rédacteurs en chef de Marvel. Avec un certain succès. Et en réaction à Wolverine à l’aura de plus en plus hégémonique, DC crée le personnage de Lobo. Les comics connaissent à ce moment là un nouvel âge d’or créatif. Les artistes, en plein effet d’émulation, se surpassent....
Vient ensuite l’âge d’or économique. Et, de plus en plus souvent, ce sont les responsables éditoriaux et le marketing qui ont la main, l’orientation éditoriale, la décision finale. Pourtant, lorsque Claremont avait travaillé au tout-début sur les X-Men et sur Wolverine avec Cockrum, lors de son premier passage sur la série, puis avec Byrne et d’autres, "...C’est parce qu’ il n’y avait aucune personne qui regardait par dessus de nos épaules". La série étant mineure aux yeux de Marvel, il n’y avait aucune pression et aucune attente autre que de sortir le fascicule dans les temps. Ils étaient assez libres d’explorer virtuellement les directions qu’ils avaient choisies. "Résultat : leur production d’alors a encore de l’impact jusqu’à aujourd’hui..."
En dehors de toutes ces considérations, Wolverine continue son petit bonhomme de chemin. Il a bientôt son titre individuel, à l’ambiance différente, cependant. Au rythme d’un épisode tous les quinze jours, c’est John buscema qui le dessine. Il vient, pour ce faire, d’interrompre une longue course sur son personnage fétiche, le Cimmérien Conan. Il fait profiter le mutant griffu de son incroyable maîtrise de la figure humaine, d’autant que c’est Al Williamson qui encre, puis Bill Sienkiewicz. Il y a pire...
Claremont, qui essaie tant bien que mal de garder le contrôle créatif sur les nombreuses séries mutantes, est au scénario. Ce contrôle, il le partage quelque peu avec Louise Simonson, son ancienne responsable éditoriale dont il est très proche et qui a basculé vers le métier de scénariste.
À un moment, l’encombrant Chris Claremont est contraint de partir. Louise Simonson aussi. En conséquence, Byrne revient pour un court passage dessiner Wolverine en compagnie du scénariste Archie Goodwin qu’il avait recruté pour reprendre les X-Men derrière Cockrum parce qu’il appréciait son duo avec l’encreur Terry Austin sur la série "Star-Lord". Le monde est petit...
Mais la nouvelle génération, aux dents aussi longues que les griffes de Wolverine, pointe son museau...
(A Suivre)
(par Pascal AGGABI)
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