Comics

La très véridique et formidable histoire de Wolverine (4e et dernière partie) - Les derniers secrets

Par Pascal AGGABI le 21 juillet 2014                      Lien  
Dave Cockrum n'aimait pas vraiment Wolverine.Pour mémoire on rappelle que s'il était resté sur le titre "Uncanny X-men", en accord avec le scénariste Chris Claremont, il s'en serait débarrassé, même s'il l'a nié plus tard. On va mieux comprendre aujourd'hui pourquoi.

Comme toujours, il vaut mieux commencer par le début. Pour situer, les années 1970 commencent à peine : Dave Cockrum, aspirant-artiste de comics, est engagé comme assistant par le dessinateur -et surtout encreur- Murphy Anderson. Anderson encre Superman et Superboy (la version adolescente de Superman), sans compter bien d’autres titres pour l’éditeur DC comics. Pressé, il a besoin d’un second encreur pour travailler les arrière-plans. Chaperonné par un Anderson patient et attentif, Cockrum peaufine ses gammes. Les mois passent. Au bout d’un moment, Murphy Anderson glisse à Cockrum que le titre "La Légion des Super-Héros" est disponible...

"La Légion des Super-Héros" est une sorte de club de jeunes aventuriers, avec bien sûr des super-pouvoirs. Ils luttent pour la préservation de la paix et de la liberté dans le monde au trentième siècle. Cette série vivote en fin de fascicule comme bande de complément dans la revue consacrée aux aventures du jeune Kryptonien Superboy. Elle apparaît dans le magazine de façon irrégulière, elle meurt lentement. C’était arrivé à un point où l’équipe éditoriale ne trouvait pas de dessinateur qui voulait s’en occuper ! Alors Cockrum fonce tout excité dans le bureau du responsable éditorial du titre : Murray Boltinoff, et il obtient le travail... parce qu’il n’y avait personne d’autre... Chance ! Murphy, qui s’occupe de l’encrage, est chargé de contrôler la qualité du travail.

Après avoir pris ses marques, Cockrum rénove la série. Sa passion pour le design le démange ! Parce qu’il pense que cela améliora le dessin, il redessine les costumes de certains membres et en invente de nouveaux. Il repense aussi les vaisseaux spatiaux, les bâtiments ou encore les créatures extraterrestres... Résultat : La Légion paraît maintenant de façon mensuelle ! Le titre de départ, "Superboy", devient "Superboy et La Légion des Super-Héros". Le super-ado, déclassé, devient juste un membre comme un autre dans le groupe !

Encouragé par ces premiers succès, Cockrum propose au responsable éditorial Murray Boltinoff, pas très chaud à l’idée de tout ces changements mais qui laisse plus ou moins faire, quatre nouveaux légionnaires. On le sait, Cockrum adore aussi créer des personnages. Une seule proposition est retenue. Pas découragé pour autant, Cockrum fait maintenant pression et propose de faire une série dérivée de "La Légion des Super-Héros" : "The Outsiders", des prétendants à la légion qui jouent du coude. Une nouvelle équipe de héros qui à évidemment une rivale -c’est dans la logique : elle s’appelle "The Devastator" ou "The Strangers" suivant les versions données par Cockrum. L’idée n’est pas plus retenue que la précédente par Boltinoff. Elle reste à l’état de projet. Seule deux planches de personnages représentant les membres de chaque équipes ennemies seront dessinées. Oui, mais voilà.....

Ces planches sont parmi les nombreuses images que Cockrum avait montrées à Roy Thomas lequel, rédacteur en chef de Marvel comics, qui annonce un jour au scénariste Len Wein, au cours d’un déjeuner, "qu’il était temps d’avoir un héros canadien !"

Sur la planche avec le groupe "The Devastator", il y avait un personnage "à l’aspect de renard, dixit Cockrum, viscéralement animal, bestial et sauvage " appelé... Wolverine ! Deux ans avant que Roy ne suggère à Len : "« Que diriez-vous d’un mutant canadien appelé Wolverine ? » ironisera Cockrum. Je suppose que Roy a juste oublié entretemps que je lui avais montré mon Wolverine... J’étais un peu vexé par tout ça, mais il m’a semblé un peu vain de porter réclamations. Je n’ai pas aimé Wolverine pendant une longue période pour cette raison !..."

La très véridique et formidable histoire de Wolverine (4e et dernière partie) - Les derniers secrets
Le Wolverine de Cockrum pour les "Devastators", derrière à gauche de la femme vampire avec un fouet censée être sa soeur. Le dessin est daté 1972 et le Wolverine de Marvel apparaîtra dans Hulk en 1974. Il y a aussi Tyr.
(c) Marvel Comics

Le Wolverine imaginé par Cockrum a mauvais caractère mais n’a pas de griffes ; il a plutôt des crocs saillants et acérés. Roy Thomas dira plus tard (pour se défendre ?) qu’il avait d’abord pensé à un personnage appelé : "Captain Canuck, Capitaine Canada, ou des choses de ce genre." À chacun de se faire son idée...

Forcément, l’histoire ne s’arrête pas là. Dave Cockrum entre-temps avait quitté DC comics, pour une peu reluisante affaire de dessin non restitué. À l’époque, l’éditeur DC ne rendait pas les planches au contraire de Marvel. DC détruisait les originaux... Pour la petite histoire, c’est Neal Adams -toujours lui- découvrant le préposé à la sinistre tâche taillader méthodiquement les dessins afin de les rendre inutilisables qui s’est interposé. Fâché, il a vigoureusement apostrophé l’employé en question, l’a sommé d’arrêter immédiatement ses basses œuvres sous peine de conséquences désagréables, s’est précipité dans le bureau de Carmine Infantino, le directeur de publication de DC et lui a singulièrement suggéré "de ne plus faire ça et de rendre les originaux aux auteurs !" "- Oui, oui on va faire ça !" a enchaîné Infantino pas très à l’aise... Et ainsi fut-il fait. Les artistes ont récupéré leurs originaux. Grâce aux ventes de certains d’entre eux aux collectionneurs, ils ont pu tous plus ou moins doubler leurs revenus annuels. Merci qui ?

Donc Cockrum demande à l’éditorial un dessin. Il veut récupérer la double page qui met en scène le célèbre mariage entre Bouncing Boy et Duo Damsel dans Superboy 200. Murray Boltinoff, le responsable, était d’accord mais pas Carmine Infantino qui a refusé. Dépité, Cockrum est parti proposer ses services à Marvel, qui accepta. Malgré tout, Cockrum veut continuer à faire Captain Marvel Junior en bande de complément dans" Shazam "pour DC, tout en travaillant pour Marvel dans le même temps. Julie Schwartz de DC et Roy Thomas de Marvel, les rédacteurs en chef respectifs des deux entreprises, étaient d’accord, mais toujours pas Carmine Infantino, donc Cockrum a fini par travailler exclusivement pour Marvel.

Dave Cockrum est maintenant solidement implanté dans la Maison des idées. Il en est à la fin de son premier passage sur la série X-men qu’il a contribué, on l’a vu, à relancer et qu’il compte désormais quitter, épuisé. Les X-men, de leur côté, vivent une aventure spatiale. À un moment, ils se trouvent opposés à la garde impériale d’un lointain système solaire.

Les X-men affrontent La Garde impériale Shi’ar. Au centre de la double page, un personnage en jaune et noir intrigant... C’est Fang ! L’éditeur DC a voulu à son tour faire affronter à sa "Légion des Super-Héros" une équipe inspirée par les X-men. Mais il a renoncé pour ne pas accentuer les tensions entre les deux maisons. Le personnage en rouge et bleu avec une cape et une crête à droite qui tend bras et poing est Gladiator.
(c) Marvel Comics

Cette garde impériale Shi’ar est un hommage-parodie de "La Légion des Super-Héros" de DC. Cockrum s’est appliqué à représenter une version "parallèle" des costumes et pouvoirs appartenant à des personnages de La Légion. Certainement des designs qu’il aurait utilisés s’il n’avait pas quitté la série, si Murray Boltinoff l’avait laissé faire...

Parmi les membres de cette garde impériale, se trouve un personnage appelé Fang qui, soudain, rappelle quelque chose... C’est le Wolverine inventé par Cockrum que ce dernier à recyclé et à qui il donne une nouvelle chance de briller.

Ironiquement, l’histoire reflète la situation des deux conceptions de Wolverine. Avec Fang d’un côté, un sosie -voire un précurseur - de Wolverine par Cockrum, face au mutant griffu dans une bataille directe mano a mano qui s’est produite, surtout en coulisse des planches dessinées... Fang a été vaincu et, tandis que dans la vraie vie, il avait perdu son nom de code pour le mutant canadien dans les méandres des soubresauts éditoriaux, il a été contraint de lui donner son costume aussi ! Wolverine avait besoin de quelque chose à porter, son propre costume ayant été brûlé par un autre membre de la garde !

Ce costume volé par le mutant canadien est en fait la nouvelle version imaginée par Cockrum pour lui : il voulait "s’approprier" le personnage. Il avait fini par convaincre ses collaborateurs de la qualité de ce costume après de nombreux essais. John Byrne, qui succéda très vite à Cockrum sur le titre, redonnera rapidement à Wolverine son vêtement original bleu et jaune. Il n’était pas très fan de cette version, et il ne voulait pas s’enquiquiner à dessiner toutes ces griffes...

Des années plus tard, Wolverine finira par tuer Fang lors du second passage de Cockrum sur la série. Fang était contaminé par des créatures façon "Alien le film", et s’était transformé en monstre de leur espèce. La boucle était bouclée...

Wolverine a piqué son costume à Fang, c’était en principe définitif. Mais Byrne s’inspirera quand même de la palette de couleurs pour refaire sa version bien plus tard.
(c) Marvel Comics

On continue les révélations. On peut facilement reconnaître les équivalents de "La Garde Impériale Shi’ar" qui correspondent aux membres de "La Légion des Super-Héros" de DC : Gladiator pour Superboy (le nom Gladiator est un hommage au roman de Philip Wylie qui a inspiré Siegel et Shuster pour Supeman), Hobglobin pour Chameleon Boy, Impulse pour Wildfire... L’illustre Fang, le "sosie" de Wolverine, était, quant à lui, censé être une version Marvel recyclée de... Timber Wolf, un membre de La Légion originelle qui a connu quelques avatars dans sa vie tourmentée de héros. Ça sonne comme une évidence.

On croyait Timber Wolf mort depuis six mois. Mais en fait, il avait été kidnappé par le méchant Tyr, souvenez-vous : c’était le seul personnage retenu du groupe "The Devastators ’’, les ennemis de la série dérivée de La Légion "The Outsiders" proposée sans succès par Cockrum . C’est le personnage rougeaud avec une crête et un poing en forme d’arme sur l’image proposée plus haut... Le fielleux Tyr, donc, devenu tout à coup très méchant, a fait quelques misères au pauvre Timber Wolf qui, au cours de sa captivité, a accentué son apparence et ses capacités bestiales. Le designer Cockrum a mis son grain de sel pour rationaliser tout ça. Enfin triomphant, Timber Wolf revient dans l’équipe de La Légion... Il rappelle à son tour quelque chose de Wolverine...

Qui est le beau chevelu accueilli par Superboy, Wolverine ? Non : Timber Wolf !
(c) Marvel Comics

Avec le temps, Timber Wolf, à qui Wolverine ressemblera beaucoup physiquement, finira par posséder en retour beaucoup de caractéristiques propres à la superstar griffue. Au départ il était fort, rapide et agile. Mais avec le sérum qui l’a changé en homme-loup, il a gagné des griffes au bout des doigts, des sens améliorés, et un facteur de guérison. Il est aussi souvent sujet à des accès de fureur sauvage...

Cockrum fut aussi le premier artiste à représenter Wolverine sans son masque. La coiffure distinctive avec les "cornes" sur le côté, faisant écho à la forme du masque, était tout à fait l’idée de Cockrum. Elle est devenue une marque de fabrique du personnage. Cockrum voulait lui donner une face de dément. Et cette coiffure typique de sa manière lui plaisait vraiment beaucoup.

La tête de Wolverine donc : sur la base de la coiffure de Timber Wolf avec les favoris du Fang/Wolverine d’origine. Simple.
(c) Marvel Comics

Quand il eut à dessiner les X-men, et Wolverine en particulier, dans un épisode de Iron Fist avant son arrivée sur le titre mutant, John Byrne avait proposé sa version du canadien sans le masque à Chris Claremont. Il pensait qu’il n’avait jamais été vu ainsi. Claremont lui annonça goguenard : "- Trop tard Cockrum l’a déjà fait !" Byrne utilisa finalement ce visage, en le remaniant quelque peu, pour faire celui du personnage Dents-de-Sabre. Dents-de-Sabre qui serait le père de Wolverine, ou le demi-frère !... Et que le mutant griffu tuera aussi, joli palmarès pour un héros ! C’est l’adamantium du squelette de Dents-de-Sabre qui servira à reconstituer les os métalliques de Wolverine sans que le pouvoir auto-guérisseur de ce dernier ne les rejette...

La suggestion originale pour le visage de Wolverine par Byrne. A l’époque il est censé avoir dix-neuf ans. Avec un tel aspect, Wolverine aurait eu le même succès ?
(c) Marvel Comics

Revenons à Cockrum. On ne le crédite jamais dans la création de Wolverine, le personnage-phare des comics. À l’examen de tout ces faits, on est quand même obligé de reconnaître ce qu’il lui doit. À l’heure où il s’agit d’énumérer les auteurs qui comptent d’une manière ou d’une autre dans un média, il est toujours bon de rendre à César ce qui lui revient. Cockrum nous a quitté très malade et s’est trouvé réduit à vendre des dessins auxquels il tenait énormément pour boucler de dures fins de mois et se soigner.

Comme dernier gros secret de Wolverine, on peut signaler que Len Wein et Dave Cockrum avaient pensé à l’origine en faire un bébé carcajou mutant transformé en humanoïde par le Maître de l’Évolution, l’expert ès génétique de la mythologie Marvel.

L’idée était venue aux auteurs parce qu’il y avait des remarques sur l’histoire. "À un moment, quelqu’un a évalué Wolverine en disant : « Je ne suis même pas sûr qu’il soit humain », ou quelque chose comme ça !" précisera Cockrum. L’idée a été abandonnée parce qu’Archie Goodwin avait eut la même pour le personnage de Spider-Woman et surtout, parce que Stan Lee avait trouvé le concept particulièrement répugnant.

Plus tard, Wein niera cette intention première. Avec un Wolverine marié, père, amant, etc., on devine aisément les situations douteuses que peuvent inévitablement induire une telle origine, si elle avait été adoptée....Mais finalement, avec cette recherche frénétique de rebondissements et les révélations permanente qui animent les comics, on ne sait jamais !...

Un Wolverine avec des cheveux blancs... Curieux, mais la légende est en marche...
(c) Marvel Comics

Pour conclure, "Days of Future Past" est l’autre grande histoire fondatrice de la mythologie X-men avec" la saga du Phénix Noir ". Cet arc narratif majeur qui connaît une adaptation cinématographique ces jours-ci, a redéfini la bande dessinée de super-héros et imposé un peu plus Wolverine comme un personnage-phare, ouvert la voie à des décennies de continuité et façonné définitivement une certaine forme de sourde ambiance psycho-sociale.

On parle d’un arc majeur. C’est John Byrne qui a totalement pensé l’histoire. Elle lui est venue d’un coup, claire et précise, dans ses moindres détails. À ce moment là, il avait les faveurs du responsable éditorial du titre, Roger Stern, et donc quasiment carte blanche. Ensuite, avec l’arrivée au poste de responsable de Louise Simonson, proche de Claremont, les pôles d’influences se sont inversés. Byrne finit par partir. Pour "Days of Future Past", au départ, "il voulait montrer à Chris Claremont qu’il avait tort et que les Sentinelles ne sont pas des "méchants de pacotilles". Deuxièmement, donner enfin aux X-Men une victoire claire et nette. Une chose qu’ils n’avaient pas connue tant que Chris était à l’écriture. Seulement voilà : quelques années plus tard, Byrne s’est rendu compte que son histoire si rondement menée était fortement inspirée de l’épisode de la série Doctor Who "The Day of the Daleks” qu’il avait vu quatre ans auparavant. Il l’avait reproduite inconsciemment : "C’est ainsi que j’ai appris à toujours me méfier des grandes idées qui vous viennent apparemment de nulle part avec un scénario presque entièrement formé..." se justifiera-t-il. Par ailleurs, il a reconnu récemment que s’il avait été influencé inconsciemment par l’épisode de "Doctor Who " pour l’arc narratif "Days of Future Past ", il l’avait été fortement, et tout à fait consciemment, par la série britannique "The Quatermass Conclusion" dont il venait de lire la novélisation.

Cet épisode mythique est aussi celui qui creuse définitivement le fossé entre Byrne et Claremont. Ce dernier a modifié sensiblement avec ses textes l’histoire que Byrne racontait dans les images. Les X-Men ont à nouveau échoué, Claremont a bidouillé la cohérence spatio-temporelle de manière suspecte et floue. Il a imposé des curiosités narratives. C’est à ce moment que Byrne furibard a demandé - et obtenu - l’approbation finale du script. Le cours des événements le poussera finalement à partir. Mais l’ascension du personnage Wolverine vers les sommets ne faisait que commencer...

FIN (provisoire)





Les costumes de Wolverine au fil du temps. Versions comics, animation, et cinéma. Un vendeur de panoplies d’Halloween a eu la bonne idée de rassembler tous les costumes de Wolverine à travers les époques créatives. Un bon système de datation...
(c) Marvel Comics

(par Pascal AGGABI)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN :

En médaillon : Une huile de Wolverine par Christopher Evens (c) Marvel Comics.

LIRE LES PARTIES PRÉCÉDENTES :

- 1e partie
- 2e partie
- 3e partie

 
Participez à la discussion
8 Messages :
CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Pascal AGGABI  
A LIRE AUSSI  
Comics  
Derniers commentaires  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD