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Laurent-Frédéric Bollée ("XIII Mystery") : « Jean Van Hamme a apprécié le parcours terrible et tragique de Billy Stockton »

Par Charles-Louis Detournay le 3 décembre 2013                      Lien  
Le scénariste du nouveau XIII Mystery revient avec nous sur le choix de ce personnage secondaire que XIII rencontra en prison. Une immersion dans une psychologie ébranlée qui constitue un thriller implacable !

Après La Mangouste, Jones, Amos et les autres, on se serait attendu à ce que vous portiez votre choix sur un autre personnage que Billy, plus connu. Pourquoi ce choix ?

Laurent-Frédéric Bollée ("XIII Mystery") : « Jean Van Hamme a apprécié le parcours terrible et tragique de Billy Stockton »Quand j’ai choisi ce personnage, je répondais en fait à quatre critères que je m’étais fixés de manière un peu inconsciente : d’abord qu’il soit issu des huit premiers albums de la série, ce que j’appelle "l’histoire canonique" de XIII ; qu’il m’ait marqué à la lecture ; qu’il ne soit pas un personnage secondaire trop important ; qu’ il évoque en moi des thématiques contemporaines.

Les deux derniers points étaient cruciaux car ils allaient certainement m’apporter une sorte de "liberté" par rapport à un cahier des charges qu’on imagine important avec XIII Mystery. Billy Stockton réunissait toutes les "qualités". Même s’il ne fait que passer dans l’album Toutes les Larmes de l’Enfer, je crois sincèrement qu’il est marquant et que tout le monde, d’une façon ou d’une autre, garde bien en mémoire la scène de l’évasion avec XIII/Rowland dans les conduits d’aération de l’asile de Plain Rock...

Il s’agissait d’évidence d’un jeune fou qui avait tué six personnes au hasard... Cette thématique des tueurs de masse, souvent présente aux États-Unis, trouvait là un écho d’actualité.

Vous prolongez la prise de risque avec la couverture qui représente un Billy aux cheveux longs et sweet rouge, méconnaissable, alors qu’il avait frappé les mémoires en tenue et coupe de prisonnier...

Histoire de se démarquer de l’album d’origine et de procéder à la véritable "recréation" de Billy, il convenait de lui donner une apparence différente de ce qu’on connaissait de lui... Surtout qu’il est évident qu’il a eu les cheveux coupés en arrivant à l’asile pénitentiaire. D’où ce look parfaitement réussi par Steve Cuzor qui, on peut le révéler si tant est qu’on ne l’avait pas encore compris, s’est inspiré du physique de Kurt Cobain pour "donner vie" à Billy. Un excellent choix !

Est-il nécessaire de refaire le lien avec la série-mère pour attraper le lecteur et lui rappeler le contexte ?

Concernant les toutes premières planches, nous voulions vraiment nous attacher à un album de XIII, encore plus que pour les précédents XIII Mystery. Après tout, j’arrive en sixième position dans cette série, il faut essayer de se démarquer ! Les planches 1 à 3 de Billy Stockton sont les planches 47 à 49 de Toutes les Larmes de l’Enfer, qui évidemment n’existaient pas jusqu’à maintenant ! Ça m’a semblé intéressant et original de prolonger un album de la série-mère. Ce qui me permettait aussi, soit dit en passant, de mettre moi-même en scène XIII...

Comment le conseil de lecture a-t-il perçu votre scénario ? Et Comment s’est réalisé le choix de Steve Cuzor ?

Je crois pouvoir dire que Jean Van Hamme a apprécié le parcours terrible et tragique de Billy. On savait donc qu’il avait dégoupillé un jour, restait à savoir comment et pourquoi. On savait aussi qu’il mourait dans Toutes les Larmes de l’Enfer, et qu’il n’avait pas plus de 19 ans.

Une telle jeunesse implique forcément un traumatisme vécu dans la prime enfance, ce qui est aussi une grande constante dans le profil des tueurs violents. Rien d’original : c’est une donnée quasi inévitable. Pour Billy, plusieurs facteurs se combinent, et Jean a tout de suite validé le parcours de cet enfant paumé de l’Amérique, représenté qui est plus est par une sorte de double ambigu qui est un épouvantail dans un champ...

Il m’a juste bien rappelé qu’il ne fallait pas et jamais oublier de "densifier" une histoire et des situations de départ et il m’a un peu forcé à "muscler" mes dialogues. L’Attrape-Coeur de Salinger a été une grande source d’inspiration pour moi dans cet album. Quant à Steve Cuzor, son choix s’est fait par l’éditeur et par Jean qui, si j’ai bien compris, l’avaient repéré assez rapidement après sa performance éblouissante dans O’Boys !

Votre XIII Mystery se révèle être un angoissant thriller psychologique dans lequel on sait que le personnage va finir en prison, mais on se demande toujours à quel moment il va déraper... ou non. Comment avez-vous entretenu cette ambiguïté ?

Je crois qu’en fait, moi aussi, j’ai un peu fait un aller-retour permanent dans la construction de Billy : d’un côté un psychopathe sans pitié et presque repoussant, en tout cas un cinglé loser et pathétique... Et puis aussi un enfant sur qui le sort s’acharne et dont la quête d’amour peut émouvoir... On est constamment sur la corde raide en ce qui le concerne, et même si on ne doit pas avoir de la sympathie pour lui, on peut éprouver quand même une certaine empathie. Sa quête est forcément désespérée et désespérante, mais elle existe et, à ce titre, elle est une source d’explication face à un geste ignoble.

Le réalisme du scénario tient bien entendu à la construction psychologique du personnage de Billy. Comment vous êtes-vous documenté pour relever ce défi ?

Pas de documentation véritable, mais bien, comme dans tout projet construit sur une certaine distance et avec une grande implication, des strates qui se sont superposées les unes aux autres et qui ont abouti à cette fameuse "densification" dont je parlais tout à l’heure. L’inspiration de Salinger a conditionné un personnage rebelle, la présence de l’épouvantail a amené un double fascinant, appuyé par une référence lancinante à Batman qui joue aussi sur le code Bruce Wayne/Chevalier Noir, un drame de l’enfance, une adoption qui se passe mal, la rencontre d’une femme qui sort de l’ordinaire (elle est soldat), ou encore un mariage bourgeois typiquement américain qui accentue encore plus les différences de classe - tout cela a participé à construire cette histoire qui plonge au cœur d’une personnalité pour le moins dérangée...

Aviez-vous un jour pensé réaliser un récit aussi construit autour d’un trouble profond de la personnalité ? Cela doit être assez angoissant de se mettre dans la peau d’un tel personnage... !

Non peut-être pas, mais je dois avouer que je suis dans ma période de "plongée au cœur de l’intime" en ce moment -avec Billy Stockton dans une folie sans retour qui fait peur, et dans Deadline, j’ai tenté de sonder l’âme d’un autre jeune homme torturé et mal dans sa peau, mais cette fois-ci plus du côté des sentiments et des sensations complexes qu’on peut éprouver dans un moment qui nous échappe et qui peut conditionner une vie toute entière. J’ai toujours eu tendance à mettre en scène des personnages principaux loin d’être parfaits !

Comment s’est déroulé votre collaboration avec Steve Cuzor ? A-t-il directement été conquis par votre récit ?

Le fonctionnement des XIII Mystery fait que le scénario est d’abord écrit sous le "haut patronage" de Jean Van Hamme, puis dessiné par un artiste désigné. Par ses autres réalisations, je savais que Steve allait arriver deux ou trois ans après l’écriture du scénario et qu’il serait logique qu’il y apporte à son tour une certaine vision des choses.

Partant d’une base déjà construite, il s’est complètement investi dans le projet et a souvent porté un regard assez neuf sur des scènes-clefs. Il a largement participé à développer un aspect encore plus "dark" de Billy.

Un exemple parmi d’autres : c’est Steve qui a l’idée que Billy, alors âgé de neuf ans et qui recueille la femme soldat pour certes la soigner mais surtout pour la garder pour lui dans une cabane au plus profond d’une forêt, la ligote... Instantanément, avec ce détail, le malaise s’installe car ce n’est pas normal à cet âge-là... et c’est carrément flippant, non ? Donc, oui ! deux auteurs ont bien travaillé ensemble à fond sur ce projet, avec de longues discussions sur une vingtaine de mois, pour le rendre incontestablement meilleur.

Même si votre récit se situe en marge du complot, vous rattachez votre trame aux conditions que Billy aurait imposées à XIII en prison pour le forcer à l’accompagner. Était-ce nécessaire de faire ce lien pour légitimer votre narration ?

J’avoue qu’il y avait bien un but scénaristique, puisque Billy était quand même un personnage très secondaire. Il fallait essayer de trouver un lien nouveau et subtil avec la trame d’origine... Mais pas question de rajouter une couche à je ne sais quel complot ou organisation gigantesque secrète ! Billy est un pauvre type qui, outre le fait de traverser sa vie comme un zombie parfois, tombe un jour sur une simple image, par hasard : un type en chemise dans des toilettes, qui a un tatouage sur l’épaule gauche... Alors, forcément, quand il croise la route de XIII quelques mois plus tard, ça fait tilt ! Ensuite, sous la suggestion avisée de Steve, on se rend compte qu’il y a comme un manque dans les planches 28 et 29 de Toutes les larmes de l’Enfer : XIII ne veut pas que Billy l’accompagne dans sa tentative d’évasion, mais pourtant, quelques cases plus loin, c’est d’accord ! Que s’est-il passé ? Nous avons donc choisi de finir l’album sur deux pages un peu étonnantes, qui sont carrément deux autres planches inédites finalement de Toutes les larmes de l’Enfer... Une sorte de remix, qui fait écho aux trois premières de l’album. La boucle était bouclée.

Quels sont vos autres projets dans votre actualité ?

L’année 2013 a été tellement riche pour moi que je vais forcément essayer de continuer sur cette lancée. D’abord, Philippe Nicloux et moi-même, après Terra Australis, nous enchaînons par un nouveau roman graphique, qui ne fera "que" 200 pages cette fois ! Cela s’appellera Matsumoto City et l’on vous contera notre vision d’un fait divers terrible et très contemporain qui s’est déroulé au Japon en 1994...

De même, avec Christian Rossi : après notre si belle entente sur Deadline, nous discutons sur un nouveau one-shot.

Je vais aussi me lancer avec une joie non dissimulée dans une saga familiale : Les Maîtres-Saintiers. Deux siècles et demi dans la vie d’une dynastie de fondeurs de cloches, avec tous les drames et soubresauts que cela suppose, surtout quand on a sans doute mis le doigt sur une révélation religieuse explosive...

J’ai d’autres projets avec Fabrice Meddour, Olivier Martin, Espé, et je suis toujours désireux et disponible pour me lancer dans des projets d’éditeurs, sur des collections ou adaptations... Du moment que l’on peut aller au plus profond des âmes humaines !

(par Charles-Louis Detournay)

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Sur ActuaBD, XIII Mystery c’est aussi :
- notre chronique de XIII Mystery T5 : Steve Rowland
- XIII : Le Mystery s’épaissit, avec Colonel Amos
- Yann & Henninot (Little Jones) : « Nous avons suivi les codes laissés par Van Hamme et Vance »
- La chronique de Little Jones
- La chronique du d’Irina
- Xavier Dorison : Avec XIII, on m’a confié un temple, j’ai essayé d’y ajouter ma pierre.
- La chronique de La Mangouste
- William Vance : On sent la patte de Jean Van Hamme dans XIII Mystery !

Lire également notre précédente interview de L.F. Bollée : "Je cherche à sonder l’homme avec ses tourments et ses faiblesses" ainsi que celle de S. Cuzor & P. Thirault : "O’Boys est une ballade sur l’humanité, sur la relation entre les gens."

 
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