À l’occasion de la publication de Résurgences, femmes en voie de resociabilisation de Sandrine Revel, son éditeur, Vincent Henry de La Boîte à Bulles avait invité le secrétaire d’état à l’Emploi, Laurent Wauquiez. On ne se posait même pas la question de savoir s’il viendrait, en dépit de grèves sporadiques : En ces temps perturbés, ce passionné de BD n’a pas raté l’occasion prendre un bol d’oxygène en venant nous parler de l’une de ses occupations favorites : la bande dessinée. Rencontre avec un connaisseur.
Il paraît que vous êtes un grand amateur de bandes dessinées. Qu’en est-il exactement ?
Il est rare qu’il se passe une semaine sans que j’aille dans mon magasin de BD acheter dix à vingt albums.
Comme ministre, vous avez le temps d’en lire ?
C’est un temps que je prends. D’abord parce que cela fait du bien, ensuite parce que, pour moi, la BD est un art total. On le voit bien avec ce livre, Résurgences, il y a une émotion qui est traduite par l’image qui est de l’ordre de l’intime sur le parcours de ces femmes et qui aurait été transcrite de façon plus maladroite si cela n’avait pas été une BD. La BD, depuis dix ans, est hallucinemment créative et s’est renouvelée totalement en allant précisément sur le registre de l’intime. Ce que j’adore dans la BD, c’est qu’elle investit tous les domaines, de Sfar aux mangas, de Alan Moore jusqu’à Moebius. L’un de mes moments les plus forts, il y a deux ans, a été ma rencontre avec Moebius au Festival d’Angoulême. Je suis juste un grand, grand fan de BD !
Quel genre de BD ?
Initialement, je restais dans une ligne assez classique. J’adorais les albums de Blueberry que je recouvrais de papier cristal et de scotch pour me les garder toute ma vie ! Progressivement, j’ai découvert les mangas : Akira de Katsuhiro Otomo au début, puis Appleseed et Ghost in The Shell de Masamune Shirow que je trouve être une bande dessinée avec une vraie réflexion sur l’univers de la politique. Et puis, à partir de là, je me suis ouvert à un peu tout. J’adore Alan Moore, Watchmen est un vrai chef d’œuvre.
Alan Moore est très anti-Tory. Ce n’est pas un conservateur…
Quand je lis de la BD, je n’y mets pas de politique. Certaines choses sont sacrées pour moi, la BD l’est. J’essaie de la préserver de la politique !
Est-ce que vos collègues en Conseil des Ministres parlent de BD ?
Non. Il y en a un seul, c’est Bussereau [1], qui est un fan de BD. Mais il est très classique : ce qu’il aime surtout, c’est la BD historique. En ce qui me concerne, j’adore le chien philosophe de Sfar. J’aimerais avoir un chien comme celui-là à mes côtés ! Ce week-end, je lisais Pluto de Naoki Urasawa (Kana) qui est un des mangas du moment les plus réussis et qui explore l’univers de Tezuka sur Astro Boy. Dans la nouvelle génération, il y a Bastien Vivès qui est absolument génial.
Vous êtes à la pointe de l’actualité, tout cela vient de sortir. En tant que ministre, avez –vous essayé de savoir combien d’emplois sont concernés par la bande dessinée ?
On en a parlé au dernier Festival d’Angoulême et notamment sur la question, très importante pour la France, des réseaux de distribution, car l’emploi est autant dans le chef des dessinateurs que dans les réseaux de distribution. On va travailler ensemble avec les maisons d’édition pour voir comment on peut mettre en place un fond qui permette de maintenir un réseau de librairies spécialisées et organiser, si besoin en est, leur transmission pour que cela ne soit pas perdu. Ce qui fait la force de la BD en France, ce sont ces points de vente spécialisés, des magasins de passionnés, qui portent son succès. Pour ce qui concerne les emplois, on a fait une étude qui estime qu’il y a 10.000 emplois qui dépendent de la BD.
Est-ce qu’il y a une réflexion sur les filières ? Les écoles de bande dessinée, par exemple, forment de plus en plus d’auteurs et, par ailleurs, on a le sentiment que ce qu’on appelle la « surproduction » leur fait de moins en moins de place.
Oui, un peu. Mais en même temps, la BD est une expression que l’on a à l’intérieur de soi que l’on peut travailler avec une approche du dessin, une approche du design, ou totalement en dehors de cela. Je ne suis pas sûr qu’il faille la corseter, créer des catégories. Ma seule crainte pour la BD est une espèce de dispersion, une surproduction qui fait que, finalement, certains titres ne sont pas suivis, ou insuffisamment dans la durée. Ma deuxième crainte est l’Internet. J’allume toutes les lampes rouges en disant : « Attention, il est important de continuer à acheter de la BD, que ce soit sur Internet ou en librairie ». Il faut continuer d’acheter car c’est un équilibre qui est fragile pour les auteurs. Si on ne l’achète pas, il n’y aura plus de BD. C’est un art très précieux. Il y a peu de pays qui ont un art de la BD comme nous. Il y a les États-Unis, le Japon, la France et la Belgique. Après, on peut aller en chercher, en ordre dispersé, un peu du côté de l’Espagne et de Italie, souvent intéressantes. Mais elle est anecdotique en Allemagne, quasi inexistante en Russie, etc. La BD est un des fondamentaux de notre culture française.
La richesse de ses créateurs, c’est leur capacité à changer de registre. On le voit bien avec Joann Sfar qui passe de la BD au dessin animé, au film live…
La BD s’y prête bien en effet, parce que, comme je le disais, c’est un art total. J’ai entendu Bastien Vivès dire quelque chose d’assez intéressant quand il évoque la possibilité que la BD soit aussi conçue pour Internet. J’ai été frappé récemment par la possibilité de pouvoir télécharger sur iPhone les premières pages de L’Épervier et de m’apercevoir que l’on pouvait vraiment accéder à une circulation dans l’image qui fait que l’on lit cette BD avec une scénarisation complètement différente.
Propos recueillis par Didier Pasamonik
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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