Le Capitalisme à portée de main est bien plus qu’un manuel de survie en milieu économique hostile : c’est un véritable livre de recettes pour finir le plus riche du cimetière. Il décrypte pour le lecteur tous les rouages de l’économie capitaliste et offre de mirifiques conseils pour utiliser à son profit les atours du libéralisme. De quoi se préparer à accueillir au mieux toutes les réformes de "flexibilité" et de "compétitivité" possibles et imaginables.
Cet ouvrage nous vient des États-Unis et a été composé par un "think tank" nommé The Stealth Group. Édité à l’origine en 2015 à Chicago, par Willing Publishing Inc, sa publication en Europe a été soutenue par la First Chicago Bank and Insurance Corporation et par le Global Strategic Hedge Fund & Asset Management. The Stealth Group se présente comme "une organisation non gouvernementale et une fondation pour la promotion et l’amélioration des libertés fondamentales et commerciales, la préservation de la culture, des arts, des sciences et des valeurs civilisationnelles à l’heure de la globalisation".
L’ouvrage est organisé à la manière d’une longue "lettre à un jeune homme (d’affaire)". Il se découpe en six parties - Définitions, Histoire, Conseils, Outils, Alliés et Adversaires - où chaque page constitue un mini-chapitre thématique. Le tout forme donc un petit précis du capitalisme en 99 chapitres, succincts et efficaces. Les grandes notions de l’économie sont définies, mais c’est surtout une somme de conseils qui est distillée au fur et à mesure du livre.
Le capitalisme à portée de main est co-édité en Europe par Hélice Hélas et La 5e Couche, après avoir été traduit par William Henne. Ces deux maisons d’édition, l’une suisse et l’autre belge, n’ont guère l’habitude de faire dans la "bande dessinée pédagogique", et encore moins de promouvoir ou même défendre les valeurs du libéralisme économique. Étrange, non ?
La lecture de quelques pages de ce soi-disant vade mecum capitaliste permet de se faire une idée. Le subterfuge est évident, quoique bien ficelé [1]. Chaque petit chapitre est truffé d’ironie. Tous les ressorts du capitalisme y passent, du paternalisme du XIXe siècle à la financiarisation triomphante née de la dérégulation des années 1980. Le ton est narquois, sarcastique, voire cynique, et le second degré très - presque trop - visible.
La longueur de l’ouvrage le rend assez étouffant, comme peut l’être le système capitaliste libéral avec les "paresseux" et ceux qui ne sont "rien". Tous les chapitres comportent heureusement un contrepoint, sous la forme d’une illustration. Les dessins apportent un éclairage et une distance bienvenus, soit en accentuant l’ironie, soit allégeant le propos.
Nous retrouvons dans beaucoup de ces illustrations le trait de William Henne, mais les références foisonnent et le style varie. Tomi Ungerer par exemple et son affiche "Black power / White power" sont détournés. D’autres dessins vont puiser dans le meilleur et le pire des débuts du XXe siècle : art nouveau, gravure sur bois de la Première Guerre mondiale, caricatures de L’Assiette au beurre... L’iconographie plus récente et symbolique du capitalisme (le clown de McDo, la raideur graphique d’Ikéa) est également présente.
William Henne, très probablement épaulé par Xavier Löwenthal (de La 5e Couche également) et Stéphane Bovon (Hélice Hélas), fournit ici ce que d’autres éditeurs auraient rapidement qualifié d’antimanuel d’économie. Il ne s’agit cependant pas de décortiquer de façon rationnelle et argumentée le capitalisme. La volonté n’est pas de vulgariser le propos d’un Thomas Piketty ou de remettre en avant les théories marxistes.
Le capitalisme à portée de main est plutôt un ouvrage sur le ridicule, voire l’absurde. Ridicule de ceux qui refusent de questionner un système économique, absurdité de ceux qui le placent au-dessus de tout, quitte à culpabiliser les laissez-pour-compte d’une mondialisation présentée comme inéluctable. Le livre ne propose d’ailleurs aucune solution et cherche en fait à épuiser son principe de départ. Il faudrait, pour savoir si la réussite est complète, le mettre en regard de quelques publications sur le "management" et le "marketing".
(par Frédéric HOJLO)
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21 x 21 cm - 208 pages en quadrichromie - couverture cartonnée - parution le 14 septembre 2017 - commander ce livre chez Amazon ou à la FNAC. Les liens que nous mettons ici pour l’achat de l’ouvrage comportent, eux aussi, une certaine dose d’ironie.
Lire également sur ActuaBD, à propos du "traducteur" William Henne :
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La Permutation - William Henne - La Cinquième Couche
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[1] Il peut ainsi susciter toute sorte d’interprétations.
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