Car la BD est devenue le nouvel enjeu dans la guerre du livre numérique que se livrent les géants de la distribution et de l’édition aux États-Unis. L’éditeur de Superman apporte en effet 100 titres majeurs de son catalogue à la bibliothèque de ce nouveau support de lecture.
Boycott
À peine l’accord entre Amazon et DC Comics est-il annoncé que Barnes & Nobles, la première chaîne américaine de librairie vient d’annoncer qu’elle retirait de ses rayons la sélection de bandes dessinées que DC Comics offre en version numérique en exclusivité pendant quatre mois sur le Fire d’Amazon à compter du 15 novembre.
La sélection comprend des ouvrages en grande partie jamais offerts sous forme numérique dont Watchmen, Batman : Arkham City et d’autres titres vedettes du second éditeur de bandes dessinées en Amérique du nord.
Pour Barnes & Nobles, ne pas être en mesure de proposer à ses clients ces titres dans leur version numérique, serait briser la promesse qui leur est faite d’offrir un choix de tous les livres disponibles sur le marché, en tout temps et dans tous ses points de ventes incluant sa propre tablette, le Nook. En conséquence l’entreprise a procédé au retrait des titres en question tant que durera l’exclusivité.
Autre point de l’entente qui risque de faire des vagues : les titres de la sélection sont offerts à 9,99 $ quand la version papier se détaille, dans le cas de Watchmen, à 17,99 $, autrement dit une réduction de presque 50%.
Stratégie et tactiques
Ce n’est pas la première fois qu’Amazon propose un livre numérique à 9,99 $. Lorsque l’entreprise lançait la première version du Kindle en novembre 2007 et développait le nouveau marché du livre numérique, elle avait imposé ce prix pour les nouveaux romans contre l’avis des grands éditeurs américains qui y voyaient une menace directe à la vente de leurs exemplaires en papier. Cette partie constitue encore aujourd’hui plus de 85% de son chiffre d’affaire.
En réponse à ces prix qu’ils jugeaient beaucoup trop bas, les grands éditeurs américains avaient mis en place le principe d’agence qui leur permettait de fixer eux-mêmes le prix au détail, le distributeur recevant un pourcentage des ventes (autour de 30%). Ce système s’appliqua à la plateforme iTune au moment de la sortie du iPad en janvier 2010. Sur cette nouvelle plateforme et sur l’application iBook d’Apple, les livres numériques n’étaient plus affichés à 9,99 $ mais plutôt entre 12,99$ et 14,99$, un tarif proche du prix de l’édition papier.
Toujours en janvier 2010, les éditeurs américains forcèrent Amazon à adopter ce nouveau système de rémunération. Le détaillant finit par capituler devant la menace, en cas de refus, de recevoir les titres plusieurs mois après leur lancement. À ce jour, seuls les six plus grands éditeurs américains utilisent le modèle d’agence, les autres continuant de vendre selon le principe du prix de gros (wholesale pricing model).
À l’issue des quatre mois d’exclusivité, il est peu probable que DC Comics adopte à son tour le modèle d’agence d’autant que depuis le mois d’août, les recours collectifs se multiplient incriminant Apple et les grands éditeurs américains pour collusion et pratique anticoncurrentielle visant à maintenir le prix du livre numérique artificiellement élevé. Il est envisageable que l’éditeur entérine une différence de prix entre la version numérique et la version papier dans l’espoir d’aller y chercher un nouveau lectorat.
La tablette multimédia d’Amazon était attendue depuis la sortie du iPad d’Apple. Jusqu’à présent, le géant de Seattle s’était concentré sur la fabrication de lecteurs dont les principales fonctions étaient la lecture de texte en noir et blanc et l’approvisionnement en livres numériques via son site Internet.
Mais avec le iPad, l’iTune et le modèle d’agence, Apple a remis en cause l’hégémonie d’Amazon sur le livre numérique. Avec le Fire, Amazon n’affronte pas le iPad directement mais tente plutôt d’ouvrir un nouveau front sur ce marché très concurrentiel en offrant un produit de type tablette par ses fonctions (courrier électronique, navigation internet, lecture multimédia) mais au prix et au format d’un lecteur électronique (respectivement 199$ US et 7 pouces de hauteur). Si le iPad était devenu au fil des mois la tablette de référence pour les amateurs de bande dessinée numérique, le Fire risque de changer les choses grâce à son prix attractif d’abord, mais aussi et surtout par sa stratégie de distribution.
Amazon se positionne très clairement sur le marché de la bande dessinée numérique et veut comme par le passé imposer ses prix au reste du marché. DC Comics a accepté de jouer le jeu pour une période de quatre mois rompant avec le dogme du prix unique. Quelle sera sa politique à l’issue de cette période ? Que feront Marvel et les autres éditeurs de bande dessinée américains ? Laisseront-ils Amazon instaurer un prix plus bas pour la bande dessinée numérique ? Toutes les options sont ouvertes et le succès ou l’échec du comics numérique auprès du public joueront un rôle déterminant dans la suite des événements.
(par Mathias Kind)
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