En lisant la préface de Michel Le Bris, éminent spécialiste de Stevenson et du roman d’aventures, j’étais un peu surpris par les éloges qu‘il adressait à ce jeune dessinateur quasi inconnu : « Pour l’avoir fréquenté pendant des décennies, écrit-il, jusqu’à faire de lui un compagnon en rêveries, je crois pouvoir dire, simplement [...] en guise d’invite au lecteur : Stevenson aurait aimé ». Je me disais, quand même, Stevenson, LE Stevenson, il y va fort...
Et puis non, ce livre premier du Maître de Ballantrae posé, on se dit : « Une réussite ». Pas seulement parce le souffle de Stevenson, son incroyable capacité à camper les personnages et à nouer des situations aux ressorts formidables qui font penser au meilleur Shakespeare, au plus subtil Dostoïevski, est là, intact, mais aussi parce que le registre graphique utilisé, un crayon au cerne discret, une aquarelle et des encres au ton bien maîtrisé, le découpage des séquences, inventif et souple, rendent parfaitement les atmosphères feutrées de l‘Écosse : entre chien et loup une fois la nuit tombée, dans un brouillard énigmatique et dense en automne, sous le ciel gris de pluie nimbé de lumière au printemps...
Il se fait que j’ai chez moi, sur mon mur, une planche originale de David Balfour [1] que m’a offerte le dessinateur belge Jacques Laudy. Également une adaptation de Stevenson traitée à l’aquarelle et se passant en Écosse. Je compare les palettes graphiques. Il y a en particulier, chez Laudy, un strip où David se rend dans la campagne écossaise. Le paysage du "peintre égaré dans la BD" (dixit Hergé) est légèrement vallonné. Au loin, on distingue les crêtes roses et bleues de ce qui pourrait être les Highlands. Laudy se rendait chaque années en Écosse, chez ses amis les Ross, comme lui facteurs de bagpipes. Inutile de dire qu’il connaissait l’endroit par cœur.
Je feuillette l’album d’Hippolyte et je retrouve, sous un trait plus moderne, les mêmes sentiments : ce mâle affrontement entre des hommes déterminés et taiseux, ce brouillard dans lequel l’âme se perd en un clin d‘œil en rencontrant un être maléfique, et puis cette insularité languissante qui a pris l’habitude d’être battue par les éléments. De mon côté, sans que cela ait évidemment la même portée, j’ose le dire au lecteur : Laudy aurait aimé.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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[1] Une bande desisnée parue dans le Journal de Tintin en 1952.
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