Rappelons-le, comme chaque année, à l’intention des numérologues distraits ou malintentionnés : Gilles Ratier, aidé depuis quelques temps par ses amis de l’Association des journalistes et des critiques de bande dessinée (mais pas seulement eux), est bibliothécaire de profession.
À ce titre, et de façon bénévole, il comptabilise depuis 12 ans la production de la bande dessinée dans l’espace francophone européen. Cet indicateur permet depuis tout ce temps de mesurer l’activité éditoriale mais ne constitue pas une étude de marché, seulement une tendance. Nous aurons les vrais chiffres du marché lorsque les officines d’analyse sectorielle de type Ipsos ou GfK produiront leurs chiffres en début 2012.
Mais l’ACBD qui compte dans ses rangs Fabrice Piault, journaliste auprès de l’hebdomadaire professionnel Livres-Hebdo, lequel dispose d’éléments statistiques tangibles publiés par cet hebdomadaire de référence pour les librairies et les bibliothèques, fournit des chiffres indicatifs des parts de marché, ce qui permet d’en tirer quelques enseignements.
Quelles sont les tendances cette année ?
Une augmentation de la production. "Encore !" disent la plupart des observateurs, Gilles Ratier en tête. Les éditeurs (310 en 2011), de plus en plus nombreux, ne sont pas effrayés par l’évolution du secteur. Ils continuent de publier chaque année encore plus. Mais il sont de plus en plus à se partager un gâteau relativement stable : 3876 nouveautés cette année, soit seulement 65 titres de plus que l’année dernière, moins de 2% !
Là où cela devient relativement ahurissant, c’est le nombre de nouveaux auteurs arrivés sur le marché. Ratier compte ceux qui sont publiés : 1749 , soit une progression de près de +25,2% en deux ans qui n’a rien en commun avec les possibilités du marché. Cela veut dire que si, pour le consommateur, c’est un gage de choix et de diversité, pour les auteurs, la concurrence devient de plus en plus féroce.
Il serait intéressant à ce stade de distinguer deux types d’éditeurs et/ou d’auteurs (lesquels se confondent parfois) : les acteurs professionnels qui vivent de leur métier et les acteurs occasionnels qui ont un autre job à côté. Mais il est possible que ce distinguo ne soit pas pertinent : un bon nombre de titres publiés viennent d’éditeurs généralistes (par exemple : Gallimard ou Actes Sud) pour lesquels la BD n’est qu’une partie de leur activité ; bon nombre d’auteurs, par ailleurs, sont profs ou produisent des travaux publicitaires qui les nourrissent sans que cela puisse jeter un discrédit sur leur talent.
Une redistribution des cartes dans les parts de marché : Delcourt/Soleil affiche cette année sa production la plus basse depuis six ans et Flammarion/Casterman depuis sept ans (Tintin a dû leur prendre les mains) ! En revanche, le nombre de titres croît nettement chez Média-Participations qui profite sans doute de l’espace laissé par Delcourt et Casterman, puisque la production de leurs nouveautés a plus que doublé en six ans, tandis qu’elle a augmenté de 61% chez Glénat qui a décidé, en outre, de se recentrer sur le marché français. La surproduction, s’il y en a une, c’est eux !
Mais, si l’on en croit les chiffres Ipsos produits par Livres-Hebdo et Gilles Ratier, cela ne se traduit pas dans la réalité des parts de marché : Média-Participations a perdu 8 points depuis 2004 (mais il reste néanmoins leader avec 30,4%) ; Delcourt-Soleil ont progressé de 4 points sur la même période avec 16,5% de PDM ; Glénat en a perdu plus de 5 avec 15,1% de PDM et Casterman 1 avec 7,9%.
Cela s’est fait en faveur des nouveaux outsiders : Bamboo (3,4%), Kurokawa (groupe Editis, 2,8%), Panini 2,6% et quelques autres comme Ki-Oon, 12bis, Futuropolis ou Ankama qui tutoient les 1% de parts de marché.
Les parts de production de nouveautés entre la bande dessinée, les mangas et les comics sont relativement stables (seuls les comics frémissent un peu), constituant 47,4% des nouveautés.
Les titres patrimoniaux des catalogues (rééditions de classiques, intégrales, etc.) font une progression régulière mais remarquable : 300% en 10 ans. Cela traduit d’une part une maturation du marché qui se réfugie dans des valeurs sûres et une volonté des éditeurs de favoriser les titres du catalogue qui font de la marge, puisque ces ouvrages sont amortis depuis longtemps.
Mais c’est peut-être le signe d’une clientèle qui a notablement vieilli et d’un lectorat qui ne se renouvèle pas.
Quant au marché de la BD numérique, il apparaît à peine sur le radar. Le "switch" du livre sur l’écran ne se fera pas pour 2012.
À moins d’une apocalypse ?...
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En médaillon, Gilles Ratier.
Photos : D. pasamonik (L’Agence BD)
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