Le Roi des Mouches est un jeune homme un peu rebelle, un peu magouilleur, un peu obsédé, qui passe le temps dans un environnement où il n’y a pas grand-chose à faire. À ses côtés gravite une cour de sujets bigarrés : la belle Sal, à la sexualité provocante ; Marie, une jeune femme faussement ingénue et ensorcelante ; Ringo, l’as du bowling queutard ; Francis, le nouveau beau-père souffre-douleur ; ou encore Damien, le fantôme qui revient visiter ceux qu’il croisait au quotidien et dont il hante les errances entre plaisirs artificiels et rêveries enfumées, entre sexe et alcool…
Tous ces personnages vont et viennent dans un climat sans complaisance, où chaque intersection de leurs vies provoque des étincelles. Comme des géants dans un monde de fourmis, ils ne peuvent pourtant éviter de se gêner mutuellement, contraints alors de s’affronter pour que leurs personnalités, poussées dans leurs derniers retranchements, explosent à la vue de tous, dans une débauche de fantasmes, tout en étant en définitive qu’un cri de vie.
Après un premier album paru il y a quatre ans chez Albin Michel, voici que Drugstore prolonge cette série atypique aux couvertures hors normes. Si leur simplicité peut induire une lecture aisée et rapide, l’étonnement arrive en ouvrant le livre : avec une structure très régulière, quasi en gaufrier, les auteurs suivent un par un leurs personnages, plaçant au-dessus de chaque case, leurs monologues intérieurs. Peu de dialogue donc, et on comprend vite que les différents chapitres sont autant de points de vue différents que de repères pour pouvoir interrompre sa lecture, car les 64 pages forment un pavé plus qu’imposant.
Loin des Désarmés [1], c’est bien la psychologie et le rapport aux autres qui intéressent Mezzo & Pirus : chaque personnage tente d’échapper à sa triste condition, semblant se débattre dans une prison qu’il se construit soi-même. "Loin de l’enfer, c’est l’autre", les conversations ramènent l’individu à redéfinir ses ambitions, tout en se construisant sur les ruines de ses condisciples de vie.
Si les indications sembleraient placer le cœur de l’intrigue en France, c’est bien un décor américain, stylisé au plus haut degré, qui évolue devant nos yeux. Mezzo nous livre des cases au statisme étudié, pour renforcer le détachement entre les pensées crues des personnages et cette réalité qui leur échappe. On retrouve la vision acide et désabusée de Chris Ware, avec le schéma introspectif de Daniel Clowes dans David Boring. Une part de nous se glisse également dans les personnages, mais d’une manière tellement insidieuse, qu’elle mortifie autant qu’elle séduit.
Ce diptyque promet un grand moment de bande dessinée à un public adulte, certaines scènes et réflexions se révélant assez choquantes. L’anti-conformisme du duo auteurs, leur critique acerbe de la société, surtout américaine, qui avoue néanmoins la fascination qu’elle exerce sur eux, offre un mélange d’haine-amour dont on ne sort pas indemne.
(par Charles-Louis Detournay)
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Les illustrations sont © Mezzo/Pirus/Drugstore.
[1] Diptyque des mêmes auteurs paru chez Zenda, mettant en scène des gangsters américains.
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