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Le Roi des Mouches, T2 : l’origine du monde - Par Mezzo & Pirus - Drugstore

Par Charles-Louis Detournay le 2 octobre 2008                      Lien  
Evoquant le manque de repères de {Sa Majesté des Mouches}, et Ces insectes qui tapent contre les vitres lorsqu'elles sont enfermées, cette série baroque et choquante décrit le quotidien âcre d'une petite bourgade en proie aux tristes dérives de la vie sociale moderne. Sordide et captivant!

Le Roi des Mouches est un jeune homme un peu rebelle, un peu magouilleur, un peu obsédé, qui passe le temps dans un environnement où il n’y a pas grand-chose à faire. À ses côtés gravite une cour de sujets bigarrés : la belle Sal, à la sexualité provocante ; Marie, une jeune femme faussement ingénue et ensorcelante ; Ringo, l’as du bowling queutard ; Francis, le nouveau beau-père souffre-douleur ; ou encore Damien, le fantôme qui revient visiter ceux qu’il croisait au quotidien et dont il hante les errances entre plaisirs artificiels et rêveries enfumées, entre sexe et alcool…

Tous ces personnages vont et viennent dans un climat sans complaisance, où chaque intersection de leurs vies provoque des étincelles. Comme des géants dans un monde de fourmis, ils ne peuvent pourtant éviter de se gêner mutuellement, contraints alors de s’affronter pour que leurs personnalités, poussées dans leurs derniers retranchements, explosent à la vue de tous, dans une débauche de fantasmes, tout en étant en définitive qu’un cri de vie.

Le Roi des Mouches, T2 : l'origine du monde - Par Mezzo & Pirus - Drugstore

Après un premier album paru il y a quatre ans chez Albin Michel, voici que Drugstore prolonge cette série atypique aux couvertures hors normes. Si leur simplicité peut induire une lecture aisée et rapide, l’étonnement arrive en ouvrant le livre : avec une structure très régulière, quasi en gaufrier, les auteurs suivent un par un leurs personnages, plaçant au-dessus de chaque case, leurs monologues intérieurs. Peu de dialogue donc, et on comprend vite que les différents chapitres sont autant de points de vue différents que de repères pour pouvoir interrompre sa lecture, car les 64 pages forment un pavé plus qu’imposant.

Loin des Désarmés [1], c’est bien la psychologie et le rapport aux autres qui intéressent Mezzo & Pirus : chaque personnage tente d’échapper à sa triste condition, semblant se débattre dans une prison qu’il se construit soi-même. "Loin de l’enfer, c’est l’autre", les conversations ramènent l’individu à redéfinir ses ambitions, tout en se construisant sur les ruines de ses condisciples de vie.

Si les indications sembleraient placer le cœur de l’intrigue en France, c’est bien un décor américain, stylisé au plus haut degré, qui évolue devant nos yeux. Mezzo nous livre des cases au statisme étudié, pour renforcer le détachement entre les pensées crues des personnages et cette réalité qui leur échappe. On retrouve la vision acide et désabusée de Chris Ware, avec le schéma introspectif de Daniel Clowes dans David Boring. Une part de nous se glisse également dans les personnages, mais d’une manière tellement insidieuse, qu’elle mortifie autant qu’elle séduit.

Ce diptyque promet un grand moment de bande dessinée à un public adulte, certaines scènes et réflexions se révélant assez choquantes. L’anti-conformisme du duo auteurs, leur critique acerbe de la société, surtout américaine, qui avoue néanmoins la fascination qu’elle exerce sur eux, offre un mélange d’haine-amour dont on ne sort pas indemne.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Lire la chronique de Canetor, un autre album de Pirus
Les illustrations sont © Mezzo/Pirus/Drugstore.

[1Diptyque des mêmes auteurs paru chez Zenda, mettant en scène des gangsters américains.

✏️ Mezzo
 
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9 Messages :
  • Ces messieurs Mezzo & Pirus ont fourni un livre où
    2 octobre 2008 14:30, par François Pincemi

    il y a beaucoup de textes, une ambiance très noire, et un dessin travaillé. Un exemple à suivre pour les nombreux jeunes auteurs qui essaient de ratrapper la mode de la bd indé.

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    • Répondu par Jean-Luc Cornette le 3 octobre 2008 à  00:31 :

      ... Chaque fois qu’on lira un article intéressant sur ActuaBD, on sera obligé de se farcir un commentaire réac de Monsieur Pincemi. Il doit bien exister des sites d’un autre siècle où ce monsieur aigri et fier de sa culture limitée et de sa fermeture d’esprit se sentirait plus à l’aise.
      (Je sais, les posts ne sont pas prévus pour les les agressions, mais à partir du moment où ce monsieur répand son amertume et son inculture agressive à longueur de posts, il faut bien lui dire que, ça va, on a compris son message et que cela ne nous ferait pas de mal de nous en passer !)

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      • Répondu le 3 octobre 2008 à  18:11 :

        Je ne trouve pas qu’il soit réac de valoriser le travail (sans vouloir faire de sarkozisme du tout). Le snobisme permet tout les abus y compris la mise en valeur de la médiocrité. L’implication d’un artiste dans son travail (en terme de temps et d’effort aussi) est une garantie de la sincérité de sa démarche. Rien de réac là dedans.

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        • Répondu le 4 octobre 2008 à  00:46 :

          "L’implication d’un artiste dans son travail (en terme de temps et d’effort aussi) est une garantie de la sincérité de sa démarche."

          Rien de garanti là-dedans, cela s’appelle un besogneux -en tout bien tout honneur- mais la sincérité ne se compte pas aux heures passées devant une oeuvre, sinon passez un coup d’éponge sur tout le xxème siècle en matière de création artistique.

          Ceci dit, Mezzo est un dessinateur hors-pair...

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          • Répondu le 5 octobre 2008 à  10:17 :

            c’est moi qui ne signe pas. Si si, l’engagement en terme de temps est une garantie. C’est toute la question de l’artiste fou ou génial... Il consacre sa vie à travailler dans un but qui le dépasse lui même. c’est un engagement de vie. Et une vie, ça fait beaucoup d’heures de travail. On ne s’improvise pas "artiste", on s’engage dans cette voix par nécessité, et seul l’intransigeance peut témoigner de la force de cet engagement. Et si les nombreuses heures de travail vous semblent absurdes ou décalées, peut-être est-ce un fou... Mais peut-être êtes-vous trop orgueilleux pour vous ouvrir à une démarche puissante qui vous dépasse. voilà. Hop !

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        • Répondu par Alex le 4 octobre 2008 à  01:39 :

          Pincemi, vous faites un "thread" en ne signant pas votre message cette fois-ci. C’est assez malhonnête.

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          • Répondu par François Pincemi le 4 octobre 2008 à  18:00 :

            Un peu facile de m’accuser de ne pas signer un post sous prétexte qu’il prend ma défense, je signe tous mes posts, ne vous en déplaise, et je suis assez grand pour défendre mes opinions. Je comprends que l’idée de savoir que je ne suis pas seul à penser de cette façon vous déplaise, mais il en est apparemment ainsi (allez donc demander aux éditeurs classiques ce qu’ils en pensent).

            Par ailleurs, je ne vois pas en quoi le fait d’aimer le beau dessin serait réac. Le beau dessin est il réac à votre opinion ? Et ses amateurs seraient tous réacs ? Limite simpliste, votre raisonnement.

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            • Répondu par Fred Boot le 30 octobre 2008 à  02:25 :

              Cher Mr Pincemi, je pense que les réactions négatives concernent la redondance qui ponctue vos messages. Vous concevez le monde avec d’un côté les méritants (appliqués, à la limite du besogneux, "qui passent du temps" sur leurs planches, de tendance plutôt classique, travailleurs de l’ombre humbles et honnêtes) et de l’autres les fumistes (forcément lus par des bourgeois bohémes, encensés par les "médias", à la mode, qui ne savent pas tenir un crayon, qui ne vénèrent pas les ainés alors qu’ils devraient en prendre de la graine tiens, etc, etc). Tous vos messages relêvent de cette dualité, vous mettez constamment cela sur le tapis quelque soit le sujet. Cette conception manichéenne de la création en devient ridicule voire à la limite insultante pour les auteurs. On ne juge pas l’honnêteté et l’investissement d’un artiste (je ne parle pas ici de la qualité artistique car c’est encore autrechose) au nombre de traits, au nombre de cases par planche, à la qualité figurative de son travail, à son accueil dans les médias et j’en passe. Heureusement, les artistes qui n’entrent dans aucun des deux moules que vous évoquez sont légions. Un jour vous comprendrez peut-être qu’il y a autant de sueur et de risque à tenter des chemins de traverse que de se plier aux règles classiques qui visent à ne surtout pas brusquer le lecteur. L’intelligence pour les auteurs et les lecteurs est de se nourrir de tout pour comprendre les connections entre les domaines et s’élever un tout petit peu. C’est plus important que de fonctionner à une espèce de morale du mérite complétement sclérosée.

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  • Les deux auteurs étaient présents à Saint-Malo 2008.
    Si vous aimez P.K Dick, David Lynch ( de Twin Peaks), Charles Burns, Daniel Clowes etc cette BD est faite pour vous ! Attention, ce n’est pas une imitation ou un ersatz : ils font partie de cette famille, celle des auteurs qui injectent l’inconscient dans le réel pour que le réel soit plus "réel que le réel". Si certains trouvent la recette facile, je les invite à écrire ce type de scénario..Très rapidement on se rend compte qu’il faut avoir une histoire très solide et bien construite pour injecter des distortions !
    en tout cas , au salon de Saint-Malo les dessinateurs qui connaissent Mezzo le qualifie de ... "fou" !Il parait que c’est un maniaque du dessin, qu’il n’est jamais satisfait ( syndrome Franquin ?) et en plus ( c’est un comble) il doute de lui ! En tout cas, en tant que lecteur de BD, je ne doute pas une seconde de ce talent immense ; un grand prix pour cette BD permettrait de le mettre en confiance...
    Cette BD est un chef d’oeuvre, elle deviendra au moins culte, je n’en doute pas un instant !

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