David Smith, un jeune sculpteur proche de la trentaine, est en pleine période dépressive. Après avoir connu le succès, sa carrière semble désormais au point mort. Calé au fond d’un bar, il voit surgir son oncle Harry, ou plutôt celui qui en a pris l’apparence. En réalité, ce personnage n’est autre que la Mort, venue lui proposer un curieux marché : 200 jours de répit pour réaliser toutes les œuvres qu’il souhaite. Ainsi David pourra sculpter tout ce qu’il veut et peut-être redevenir célèbre, connaître la gloire la plus ultime avant… de mourir !
Tout en usant de ces pouvoirs qui lui permettent de modeler n’importe quelle matière à mains nues, David pense pouvoir enfin accomplir ses rêves d’artiste, puisque pour lui l’art est sa seule raison de vivre ! Cela dit, 200 jours, c’est finalement bien court lorsqu’on ne réussit pas vraiment à convaincre, que l’on perd ce temps précieux en atermoiements et qu’au bout du 11e jour,... on rencontre l’amour !
Elle a pour nom Meg et est également une artiste, qui rêve de faire du théâtre et du cinéma. Elle est aussi en proie à des doutes et des difficultés. Elle deviendra pour David une muse au cours de ces derniers jours qui lui restent à vivre. Nuit après nuit, le jeune homme à la recherche de son quart d’heure de gloire va façonner le paysage new-yorkais et en faire sa propre œuvre d’art. La démarche ne va évidemment pas sans risques...
À partir de cette trame fantastique, l’auteur de l’Art Invisible (et plus récemment de Faire de la BD édité également chez Delcourt) nous offre un récit dense et riche de multiples entrées.
Révélé par ses ouvrages théoriques, Scott McCloud recycle avec brio le mythe de Faust, objet de tous les fantasmes, révélateur de toutes les frustrations. Ce roman graphique épais (près de 500 pages) et foisonnant dépasse très vite le cadre d’une amourette ou d’une simple fable philosophique. Les mésaventures de David (dont McCloud ne dissimule pas en fin d’ouvrage la part d’autobiographie...) nous interpellent sur autant de questions existentielles : Qu’est ce que réussir sa vie ? Comment savourer chaque seconde lorsqu’il ne vous reste que quelques jours à vivre ? Quelle trace laisser de son passage ? Comment déclarer sa flamme à l’être aimé ? Comment concilier une relation amoureuse avec une passion dévorante ? Des sujets qui sont traités ici avec autant de pudeur que d’émotion, autant d’acuité que de vitalité.
Loin de faire la leçon, le théoricien de l’art séquentiel en profite pour jeter un regard sans complaisance sur le monde de l’art, son marché et sa perversion par l’argent, tout en révélant une belle efficacité dans la description d’une ville grouillante mais humaine.
Avant d’être une histoire fantastique, (voire de super-héros : après tout David révèle des aptitudes hors normes !), ce récit fleuve est à la fois intimiste, touchant, et presque politique ! À partir d’un découpage précis et parfaitement maîtrisé, des cadrages ingénieux et vertigineux, baignés dans des nuances bleutées et lumineuses, ce questionnement sur la place de l’œuvre et de l’artiste dans notre société prend des allures de récit haletant et émouvant !
L’auteur travaillait sur cette histoire depuis plusieurs années, il en a réécrit plusieurs versions. À l’aube de la cinquantaine, l’essayiste américain est récemment venu au dernier Salon du livre nous présenter une œuvre incontestablement marquée par la maturité et de la sagesse.
Avec cet ouvrage, il révèle ses capacités narratives qui le placent parmi les grands du roman graphique. Après Taniguchi et Elle s’appelait Tomoji, Ben Hatke avec Zita, la fille de l’espace ou Walter Hill, pour Balles perdues, les Éditions Rue de Sèvres installent encore davantage, avec Scott McCloud leur catalogue dans le paysage éditorial de la BD francophone.
(par Patrice Gentilhomme)
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