Fin des années 1990, l’état-major de Dupuis a des sueurs froides. Le duo Tome & Janry abandonne la série régulière de Spirou pour se consacrer au Petit Spirou (dont les ventes sont d’ailleurs bien supérieures) et à leurs projets personnels. La série s’arrête six ans pendant lesquels Lewis Trondheim se frotte au personnage dans une parodie qui ne sera pas reprise par Dupuis et qui deviendra le neuvième Lapinot : L’Accélérateur atomique.
Jean David Morvan et José Luis Munuera reprennent la série régulière et le 47ème album arrive en librairie avec Paris sous Seine (2004) où les auteurs de Nävis tentent le pari d’insuffler une nouvelle dynamique dans l’animation des cases : plus de lyrisme dans la mise en scène, un dessin influencé par le dessin animé à la Walt Disney, quand il ne louche pas du côté du manga. Les auteurs expérimentent, tentent d’ouvrir de nouvelles voies pour raccrocher le personnage à l’évolution du goût des lecteurs, plus familiers que naguère à la télévision, aux jeux vidéo et aux mangas.
Le pas est même franchi avec la publication d’un spirou ado sous la forme d’un manga par le même Jean David Morvan et le dessinateur japonais Hiroyuki Ooshima. (2006), une tentative qui sera cantonnée à la publication d’un supplément à l’hebdomadaire mais qui ne verra jamais le jour en librairie.
Mais le duo est brutalement débarqué en janvier 2007 alors même que les éditions Dupuis, en pleine crise existentielle, connaissent la valse de leurs dirigeants.
Une collection confiée à des auteurs
C’est dans cette période d’incertitudes que, parallèlement, un peu comme si le choix de Morvan & Munuera était une solution d’attente, Dupuis lance la collection « Une Aventure de Spirou et Fantasio par… » Ce sont Les Géants pétrifiés de Yoann & Vehlmann (2006) dont la réussite est si convaincante que les auteurs reprendront la série régulière en 2010. Frank Legall lui succède avec Les Marais du temps (2007), un épisode totalement décalé par rapport à l’esprit de la série, Le Tombeau des Champignac de Yann & Tarrin (2007), un épisode au scénario faiblard en dépit d’un dessin très réussi, l’un des plus fidèles à l’esprit de la période Franquin.
Enfin, paraît le Spirou de Bravo, Le Journal d’un ingénu qui fait un triomphe critique (Grand Prix RTL, Prix jeunesse à Montreuil, Essentiel à Angoulême, et on en passe) et public (les ventes dépassent la série régulière). Cet ouvrage apparaît pour la première fois comme un album saisi par un auteur qui en fait une œuvre personnelle et non pas une continuation appliquée du travail de ses prédécesseurs.
L’album suivant de la série, Le Groom vert de gris habilement illustré par Olivier Schwartz et dont le scénario de Yann (décidé à scénariser la série) fait un peu la polémique en raison de sa vision désinvolte de la Seconde Guerre mondiale, a évidemment du mal à atteindre ce niveau de louanges, mais séduit le public qui recommence à s’intéresser à la geste du Groom. De nouvelles signatures sont annoncées parmi lesquelles Serge Clerc. Une exposition à Lausanne, la Galerie des Illustres, montre une série d’hommages à Spirou par les plus grands auteurs de la BD, la voie de cette collection semble tracée…
Opération réussie pour Dupuis : la série Spirou s’installe en librairie avec deux collections et la certitude d’alimenter les points de vente avec une à deux nouveautés par an. Les commerciaux adorent.
Un ratage
On attendait avec d’autant plus d’intérêt l’album de Lewis Trondheim à ce sujet qu’il avait une revanche à prendre par rapport à sa tentative précédente. Mais à l’arrivée, c’est la déception.
D’abord parce qu’il fait tandem avec Fabrice Parme, un dessinateur (dé-)formé par l’animation et dont l’univers graphique est limité à un pâle décalque du style « fifties » des dessins animés de Friz Freleng (animateur vedette de la Warner, créateur graphique de La Panthère rose) et d’ailleurs complètement asservi à ce genre. Non seulement cet album s’apparente graphiquement à un « Spirou chez les Pierrafeux », mais en plus, il est complètement raté par rapport à l’esprit de la série où le dessin a toujours demandé un minimum d’habileté graphique.
Le scénario de Lewis ne compense pas ce manque de niveau. Certes, l’intrigue n’est pas mal troussée et, comme dialoguiste, Trondheim sait tenir sa plume. Mais, quand même !, dans les premières planches, Spirou rencontre par hasard Fantasio sur le transatlantique où il vient d’être muté et à nouveau par hasard le Comte de Champignac sur le même bateau. Ce n’est plus de la ficelle, à ce stade, c’est du câble ! On ne parle même pas de l’inélégance de l’allusion à l’éviction de Dimitri Kennes (planche 2), l’ancien directeur-général de Dupuis, un private-joke qui a dû se faire gausser quelques responsables de Media-Participations de la rue Moussorgski… Mais le principal grief vient que tout est creux et surtout, mal desservi par le dessin. Ce n’est pas compliqué : quand le trait est juste, ce qui est rare tant les personnages sont mal sentis et grimaçants, c’est qu’il est copié de Franquin. Un ratage complet.
Face à ces pages, on peut considérer qu’on a finalement été très injustes avec Broca et Cauvin dans les années 1980. Je m’en vais les relire, tiens…
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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