Disons-le tout net : le travail de Rob-Vel ne vaut pas celui de ses successeurs : le facétieux Jijé et le fabuleux Franquin, mais il est le témoignage d’une époque et cet ouvrage rend justice à celui qui a été l’un des rares auteurs dans l’entre-deux guerres à tenter de rivaliser avec les grands auteurs de la bande dessinée américaine dont Rob-Vel est, on l’apprend dans cette ouvrage, un véritable disciple.
Ayant l’idée en 1937 de créer un journal pour la jeunesse pour compléter sa gamme de magazines, Jean Dupuis imagina un personnage-titre pour l’animer. L’idée fut acceptée à l’unanimité par le conseil de direction de l’entreprise et une rotative Koenig et Bauer de quatre groupes et quatre couleurs est acquise pour l’imprimer. [1]
"Un jour, un de nous, je ne sais plus qui, proposa ce titre : Spirou !... C’est à dire le nom wallon du gentil et sautillant petit animal qu’est l’écureuil... Alors, adoptons ce titre : Spirou ! Vive Spirou !" Tels sont les souvenirs de Jean Dupuis que l’on retrouve au détour d’une page manuscrite de ses mémoires inédits, écrits à Londres lors de son exil entre 1941 et 1944. Derrière le nom, il en décrit le pitch, celui d’un enfant de huit à dix ans un peu gaffeur.
Au moment de chercher un dessinateur, à l’instigation de son fils Charles, son choix se porte sur Robert Velter, le dessinateur du personnage-titre du Journal de Toto, un magazine jeunesse édité par le groupe du Petit Parisien, un quotidien alors très populaire dans lequel il dessinait le personnage de Subito sous le pseudonyme de Bozz. Or, il se fait que la propre épouse du dessinateur, Blanche Dumoulin, travaillait pour l’hebdomadaire des Dupuis, Le Moustique.
La qualité de Rob-Vel ? Son "style américain". Il faut dire qu’il avait fait son écolage pendant deux ans à New York, dans l’atelier de Martin Branner, le créateur de Bicot, qu’il avait rencontré par hasard sur un transatlantique. C’est Rob-Vel qui transforme le gamin de 8-10 ans imaginé par Jean Dupuis en un groom.
Le dossier introductif de l’ouvrage, remarquablement documenté, raconte le parcours de Rob-Vel et notamment son compagnonnage avec son épouse liégeoise, et un certain Luc Lafnet qui collaborèrent l’un et l’autre sur ces premières pages de Spirou.
La série commence par des gags en une planche au "Moustic Hôtel" dont l’ancrage belge est assumé : on y voit les charbonnages wallons, le bourgmestre de Bruxelles Adolphe Max, héros de la Guerre de 1914, Albert 1er, le "roi-chevalier", le jardin zoologique d’Anvers, les soldats du camp de Beverloo, le marché d’Outre-Meuse à Liège,... Mais très vite les histoires se rallongent et débordent de l’hôtel. Un tour du monde s’organise et les sujets deviennent de moins en moins "locaux", signe que la diffusion de l’hebdomadaire s’étend.
Nous ne résumerons pas les 312 pages de ce fort volume aux aventures échevelées et burlesques qui frisent parfois le fantastique, et dont les thèmes ne sont pas loin de ceux de Tintin. Les clichés sont bien de leur temps : colonialistes dans la description des Noirs, antisémites dans la représentation des Juifs (dans une séquence qui ne semble pas dessinée par Rob-Vel et qui date de 1940), finalement assez conservateurs et bourgeois, comme l’était la presse catholique de l’époque.
Ce document remarquable mérite néanmoins de figurer dans nos bibliothèques.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Spirou par Rob-Vel, l’intégrale 1938-1943. Ed. Dupuis. Introduction de Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault
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Lire l’article sur la Véritable Histoire du Journal de Spirou.
[1] Jean Dupuis, Souvenir du jubilé professionnel de Monsieur Jean Dupuis, maître-imprimeur et éditeur, Marcinelle, 6 mai 1948.
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