L’affaire est vieille comme la censure. Les milieux conservateurs et religieux ont toujours eu des problèmes avec la représentation de la sexualité. En particulier au XIXe siècle, quand l’image à commencé à se diffuser à grande échelle. À la suite de la Révolution Française, l’imagerie anticléricale n’a jamais hésité à utiliser la pornographie contre les curés. On les montrait lutinant les nonnes ou les bourgeoises dans le confessionnal. Les concepteurs républicains de la Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse prolongèrent cette prévention car l’image restait associée à l’éducation. Résultat : répressive pour l’image, cette loi a oublié de légiférer correctement sur les textes. Les mois qui suivirent furent un des grands moments de la littérature pornographique française.
Avec le temps, les mœurs se sont libérées et, à partir des années 1970, la représentation de la sexualité brava tous les interdits jusqu’à neutraliser l’outil de censure que constituait la Loi de 1949 pour la protection de la jeunesse. Mais, depuis 2000, des associations, catholiques notamment, attaquent en justice éditeurs et libraires pour tenter de revenir à la situation quo ante, suscitant même de l’autocensure de la part des éditeurs. Mais ici, ce n’est pas de littérature pornographique qu’il s’agit, mais simplement un manuel -parfaitement anodin- d’éducation à la sexualité.
Une "école efficace"
Il faut dire que les croisades contre le Mariage pour tous et contre l’enseignement des ABCD de l’égalité à l’école sont passées par là, avec un certain succès. La réaction a le vent en poupe et la bande dessinée est une des premières visées. Une association, SOS Education, qui prône une "école efficace", a lancé une pétition qui a réuni à ce jour quelque 39 000 signatures et qui demande l’interdiction de cette exposition : "En effet, proclame leur communiqué, à l’heure où les savoirs fondamentaux, lire, écrire et compter sont de moins en moins maîtrisés, est-il réellement judicieux de prélever encore une demi-journée sur le temps d’apprentissage des élèves pour aller leur faire humer des effluves de pieds ou d’aisselles, leur faire appuyer sur une pédale permettant de dresser un « zizi piquet » qui éjacule, ou leur enseigner la masturbation ?"
Bien entendu, ce n’est absolument pas l’esprit de ce qui est montré au visiteur : "C’est une exposition que nous avions faite en 2007 dont le contenu n’a pas du tout changé, se défend Maud Gouy, la commissaire de l’exposition. Elle s’appuie sur le “Guide du zizi sexuel” d’Hélène Bruller et Zep (Glénat), ouvrage qui date de 2001. La société a changé, en effet, il y a des polémiques très fortes de part et d’autre, mais l’exposition est identiquement la même. Nous avons le dessin de Zep qui porte le propos de façon, à mon avis, super intéressante, parce que dédramatisante, parce que joyeuse, parce que délurée. Sans humour, on ne peut pas parler à des enfants de la puberté, de la sexualité. Pour nous, c’était vraiment le must. Nous avions collaboré avec Zep et Hélène Bruller pour développer les éléments, travailler les contenus de façon à ne jamais choquer les enfants. Zep nous a fait des propositions de personnages qui sont des jeunes adultes qui sont dessinés nus pour parler de la sexualité ou de la puberté. Jamais il n’y a d’enfants nus montrés dans l’exposition, ni rien de grotesque ou de grossier. Il y a eu 2000 personnes qui sont venues aujourd’hui à la Cité des Sciences. Elles ont bien plus eu l’air de s’amuser, de partager des moments ensemble sur un sujet dont il n’est pas toujours facile de parler. Comme pour toutes nos expositions, nous avons travaillé avec un comité scientifique -parce qu’à la Cité des Sciences nous ne sommes spécialistes d’aucun sujet- des experts de l’enfance et de l’adolescence pour justement savoir ce que nous allions leur dire : à neuf ans, ce sont des enfants, à quatorze ans aussi. Nous accueillons beaucoup de groupes scolaires, nous avons envie qu’ils viennent, pas de leur faire peur. Nous n’avons jamais eu de plainte d’aucune sorte."
La précédente édition avait rassemblé 334 000 visiteurs en douze mois. Elle était allée ensuite en Belgique, en Suisse, au Portugal, était revenue en France à Villeneuve d’Ascq au Forum des sciences puis dans d’autres musées régionaux.
Comment expliquer qu’entre cette pétition et la précédente, le nombre de signataires se soit multiplié par dix ? "Les réseaux sociaux ont amplifié la parole", avance prudemment Maud Gouy. Nous pensons que la libération de la parole réactionnaire est pour beaucoup dans cette avancée.
Mais une recrudescence des activismes ne doit pas nous faire perdre de vue les objectifs d’une exposition pédagogique et ludique comme celle-ci :" 60% des garçons et 30% de filles de moins de onze ans ont vu des films pornographiques, nous dit Maud Gouy. il vaut mieux qu’ils viennent voir une exposition de qualité qui répond à leurs questions sur les problématiques autour de la puberté et de la sexualité avec les dessins de Zep et jamais de vraies images, justement pour ne pas choquer, pour que le dessin laisse aux enfants la place à l’imaginaire, mais cela, sur ActuaBD.com, vous le savez mieux que moi. "
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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