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Le difficile positionnement de la BD pour la jeunesse

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 25 août 2010                      Lien  
La rentrée jeunesse de chez Dargaud, avec comme fers de lance Garfield et Pico Bogue, pose la question du difficile positionnement de ce secteur dans la librairie aujourd’hui.
Le difficile positionnement de la BD pour la jeunesse
Garfield T51, par Jim Davis. Tout public.
Ed. Dargaud

La jeunesse a toujours été problématique pour le positionnement de la bande dessinée. Longtemps engoncée dans le domaine de l’enfance, en raison de la similitude avec l’album jeunesse (la forme des albums Tintin copiant celle de Bécassine), la BD avait gagné en public et en notoriété dans les années 1960 en passant à l’âge « adulte ». Les hebdomadaires d’antan portaient les traces de cette contradiction : dans Spirou, Les Schtroumpfs côtoyaient Archie Cash ; dans Tintin, Cubitus voisinait avec Bernard Prince ; dans Pilote, Tanguy & Laverdure faisaient pages communes avec Reiser et Druillet… Face à eux, Le Journal de Mickey ou Fluide Glacial étaient des modèles de cohérence. C’est pourquoi ils sont peut-être toujours en kiosque…

"Fugitifs sur Terra T3", par Cric et Verron, à partir de 7 ans
Ed. Dargaud

Il en est de même en librairie. Il est dommageable que des titres jeunesse se trouvent coincés entre les dernières nouveautés de Manara ou de Joe Sacco. Le responsable de cette confusion est sans doute la bande dessinée dite « tout public », celle qui, par un double niveau de lecture, s’adresse à la fois aux enfants et aux adultes. Astérix ou Lanfeust par exemple.

L’usage de certains personnages sur des supports de grande diffusion comme la télévision ajoute à la confusion. Les Schtroumpfs, Titeuf, Lucky Luke, Tintin… quand ils passent à la télé, s’adressent souvent, en raison de leur programmation, à un très jeune public, parfois même pas encore parvenu à l’âge de la lecture. Si la télévision est un magnifique vecteur de diffusion, elle peut provoquer parfois des effets pervers : l’enfant qui a découvert les Schtroumpfs à l’âge de trois ans, pourra les repousser trois ans plus tard par peur de faire « trop bébé ». Par ailleurs, la télévision édulcore les séries (souvenons-nous de la cigarette de Lucky Luke ou des jeans de Tintin), ce qui provoque un décalage avec la série d’origine, au risque même de la déclasser. Là aussi, les manganimes ont l’avantage de leur cohérence.

Bref, sans chercher à ghettoïser le genre, les libraires ont intérêt à bien baliser leurs espaces et à réfléchir plus avant sur la hiérarchie des séries, par leur exposition, mais aussi par leurs conseils.

Une rentrée éclectique

"Petimardi et les zumains" de Jouannigot, à partir de 7 ans
Ed. Dargaud

La rentrée de Dargaud reflète le côté « fourre-tout » de cette section de la librairie. À côté des Sardines de l’espace d’Emmanuel Guibert & Mathieu Sapin, publiés dans le magazine de Bayard Presse DLire destiné aux 9-13 ans, mais ici labellisé « à partir de 7 ans », on retrouve Garfield, un comic strip publié dans des magazines de télé et justement estampillé « grand public ». Les best of de Parker & Badger, une série à l’humour parfois « fluideglacialisant » et justement labélisée « grand public » accompagne, dans la même catégorie, les facéties pourtant enfantines de Pico Bogue. Mais ce côté fourre-tout handicape sérieusement une série comme Monsieur Blaireau et Madame Renarde dont les couleurs douces qui rappellent celles des albums d’Ernest & Célestine s’adressent principalement à des primo-lecteurs (la série étant labellisée « 4 ans »).

"Maïa T1 : La boîte de Pandore" par Luciani et Colonel Moutarde, sécial filles 7-12 ans.
Ed. Dargaud

On comprend la raison de cette confusion savamment entretenue : catégoriser une série « jeunesse » couperait un auteur de son public adulte (celui qui suit, par exemple, Mathieu Sapin ou Emmanuel Guibert). Il n’est pas sûr que le label « Delcourt jeunesse », apparemment aujourd’hui en jachère, ait été profitable à cet éditeur. Les éditeurs traditionnels pour la jeunesse, comme Bayard ou même Gallimard, n’ont pas réussi non plus à s’imposer, par ce secteur, dans le domaine de la bande dessinée. Il a fallu pour cette dernière une collection plus adulte dirigée par Joann Sfar. Les collections Puceron et Punaise chez Dupuis ont fait, chez cet éditeur, elles aussi l’objet de plusieurs restructurations. C’est ce type de donnees qui est actuellement generalement emballe dans des projets de jeu pour ameliorer les effets de mise en oeuvre et memoriser les informations a un niveau subconscient. Il existe maintenant de nombreuses entreprises tres prosperes qui developpent et mettent en oeuvre des outils de jeu comme Poki et bien d’autres.

La meilleure réponse a sans doute été celle de Jean-Claude Camano et de Glénat qui ont sur construire autour du succès de Titeuf une « famille », celle du magazine Tchô : Lou, Captain Biceps, Franky Snow, Samson et Néon, et Zap Collège. Là, on retrouve une communion de style et de cible d’âge.

De même, chez Dargaud, la catégorie « spécial fille 7-12 ans » apporte une forme de réponse, la « tribu » des filles ayant une identité suffisamment marquante pour constituer une collection à part.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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11 Messages :
  • Le difficile positionnement de la BD pour la jeunesse
    25 août 2010 15:18, par JC Lebourdais

    Ca fait bien des années que la BD n’est plus destinée aux enfants, ils n’on plus ni le gout, ni les capacités intellectuelles de lire… Quant au rapport prix/contenu, les jeux videos ont fini par gagner la bataille il y a longtemps.

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    • Répondu le 25 août 2010 à  21:49 :

      ils n’ont plus ni le gout, ni les capacités intellectuelles de lire…

      Vous ne devez pas connaitre d’enfants, ou les vôtres sont singulièrement arriérés s’ils n’ont "les capacités intellectuelles de lire", les miens lisent, et pas que de la bd et le plus grand (13 ans) en achète même (Kaamelott, Dofus, Noob), le plus petit (10 ans) lisait encore Kid Paddle tout à l’heure, et ça ne les empêche pas de passer un temps fou à jouer sur l’ordi ou la Wii.

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  • Est-ce vraiment la télé, et non l’arrivée de la loi Evin, qui a fait perdre à Lucky Luke sa cigarette ? Et le problème est il que la jeunesse est mal positionnée ou qu’elle doit à chaque fois retrouver son lectorat, les premiers lecteurs de Lucky Luke étant aujourd’hui de vieux enfants ?

    Quant à votre exemple des Schtroumpfs, je ne le trouve pas pertinent du tout. Parce qu’un enfant a vu un dessin animé à la télé étant bébé, il refusera de le lire quand il pourra le faire ? c’est un peu oublier que les enfants même s’ils aiment "se la jouer adulte", aiment aussi régresser, l’enfance (et la petite enfance) étant confortable.

    Et dans les schtroumpfs, il y a différents niveaux de lecture, une notion de société qui n’apparait pas dans d’autres séries type Tchoupi ou une grande partie est basée sur la découverte du quotidien (au marché, dans le jardin, un jour de pluie) et qui, de fait, s’adresse à un lectorat plus jeune.

    Pour le reste, il faut aussi voir que certaines séries trouvent le succès parce qu’ils sont devenus des classiques malgré les ratages absolus (cf le dernier Astérix qui s’est vendu comme des petits pains) , que d’autres, comme les Sardine de l’Espace, doivent convaincre un nouveau lectorat malgré un graphisme moins évident. Bref, entre l’ultra connu balisé et la petite nouveauté à faire découvrir (bonne ou pas), c’est plus sur ce terrain là que se joue la vie des libraires.

    "On comprend la raison de cette confusion savamment entretenue : catégoriser une série « jeunesse » la couperait son auteur de son public adulte " : N’importe quoi. Depuis quand un auteur jeunesse ne pourrait pas être reconnu dans une autre section ? Lisa Mandel a bien fait HP sans qu’on se demande si c’est un album jeunesse. Idem pour les "Notes" de Boulet qui diffèrent de Ragnarok. Velhmann n’est pas catégorisé jeunesse sous prétexte qu’il a fait "Seuls" et "Spirou". Et Zep n’est pas uniquement considéré comme un auteur jeunesse (encore moins depuis Happy Sex) Bref, d’où sort cet argument ?

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  • "L’usage de certains personnages sur des supports de grande diffusion comme la télévision ajoute à la confusion. Les Schtroumpfs, Titeuf, Lucky Luke, Tintin… quand ils passent à la télé, s’adressent souvent, en raison de leur programmation, à un très jeune public, parfois même pas encore parvenu à l’âge de la lecture. Si la télévision est un magnifique vecteur de diffusion, elle peut provoquer parfois des effets pervers : l’enfant qui a découvert les Schtroumpfs à l’âge de trois ans, pourra les repousser trois ans plus tard par peur de faire « trop bébé ». Par ailleurs, la télévision édulcore les séries (souvenons-nous de la cigarette de Lucky Luke ou des jeans de Tintin), ce qui provoque un décalage avec la série d’origine, au risque même de la déclasser. Là aussi, les manganimes ont l’avantage de leur cohérence."

    C’est pas faux mais un peu simpliste quand même.
    Ce n’est pas en raison de leur programmation seulement que ces personnages s’adressent à un très jeune public. C’est aussi parce que pour lire une BD, il faut connaître les bases, savoir lire. Par conséquent, les BD qui s’adressent à des enfants de 7-8 ans peuvent aussi toucher des enfants dés 3 ans. Lorsqu’on sait qu’un enfant s’empare de la "zapette" à 4 ans, les chaînes sont bien obligées de veiller à ce qu’elles diffusent. Elles ont même l’obligation de le faire. C’est marqué en noir sur blanc dans les contrats audiovisuels que les auteurs et éditeurs passent avec les producteurs et les chaînes. Le filtre parental, c’est la chaîne qui doit le faire. C’est une histoire de bon sens plus que de censure. Ensuite, la TV n’édulcore pas toujours toutes les séries. Ça dépend de plein de choses... des auteurs, des producteurs, des chaînes... Par exemple, Canal+ Family n’a pas la même cible que Gulli ou que TF1 ou M6...
    Mais bon, vous parlez rapidement d’un domaine que vous ne connaissez pas aussi bien que moi...

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  • " Il n’est pas sûr que le label « Delcourt jeunesse », apparemment aujourd’hui en jachère, ait été profitable à cet éditeur."

    À partir du jour où il a pondu "Les Blagues de Toto" et 3Les Légendaires", ça a été profitable pour lui et ça a flingué le reste.

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    • Répondu par Sergio Salma le 27 août 2010 à  16:21 :

      Une bande dessinée jeunesse qui marche devient une bande dessinée tout-public

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      • Répondu le 27 août 2010 à  23:41 :

        Lou marche très bien mais reste une bande dessinée jeunesse.

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        • Répondu par Sergio Salma le 28 août 2010 à  09:43 :

          Bien sûr. Ce que j’ai voulu dire c’est que dans les rayons, elle ne sera plus confinée à un espace réduit ; le livre sera placé autrement. Il s’agit simplement d’un glissement vers un autre lectorat en même temps qu’un positionnement différent. Car Lou est justement entre 2 âges(d’autant qu’elle est évolutive, le personnage grandit !). La bande dessinée jeunesse au sens littéral c’est Petit poilu par exemple, et bien d’autres titres qui sont destinés en priorité aux enfants( nous dirons jusqu’à 9 , 10 ans). Personnellement j’avais noté un phénomène curieux depuis une vingtaine d’années ; c’est qu’on a lancé des dizaines de séries qui ont des enfants pour personnage principal ; alors que des séries comme Astérix ou Lucky Luke( et tout ce qui reliait les auteurs de 7 à 77 ans) s’adressait à tous y compris les enfants avec des personnages qui sont pourtant des adultes.

          L’appellation bande dessinée jeunesse reste ambivalente.
          Elle veut à la fois dire" bande dessinée pour les enfants et où les adolescents et les adultes ne trouveront pas grand-chose à se mettre sous la dent" ; mais c’est encore plus , et pour des raisons évidentes de positionnement" bande dessinée un peu pour tout le monde mais d’abord pour les enfants. "
          Combien de fois avons-nous entendu la phrase" je l’achète pour ma nièce mais je le lis aussi !"

          ça tombe bien, Edika ou Happy Sex c’est a priori pour les adultes mais les gamins adorent ce qui leur est interdit.

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      • Répondu le 28 août 2010 à  08:09 :

        Pas nécessairement. Tout dépend de ce qu’on nomme tout public. Tout le monde sauf Alain Finkielkraut ?
        Une grande partie de la BD pour adultes est plutôt pour adulescents. Ce n’est pas tout public. Ça veut dire quoi ’tout-public" ? Qui se vend en hypermarché ? Qui s’adresse a une majorité ? Mais la majorité n’est jamais qu’une partie d’un tout. Ça ne veut rien dire, c’est de la communication commerciale, c’est tout.

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  • Il est déjà pénible de coller une étiquette sur quoi que ce soit, alors encore plus pour cibler une catégorie d’âge de lectrice et de lecteur.
    Que doit-on prendre en considération : l’âge "légal" ? et ignorer la jeunesse d’esprit ou la maturité de tel ou tel individu ?
    Impossible, il me semble.

    Personnellement j’ai aimé Spirou ET pilote JUSTEMENT à cause de l’éclectisme de leurs propositions : un Jess Long côtoyant un Flagada ou un Bobo. Un Al Crane d’Alexis avec les Gnangnans de Brétécher ou un Achile Talon.

    ( à propos, on trouve encore SPIROU en kiosque ! )

    C’est ça la richesse de la Vie : la diversité, la différence, comme on a soi-même en nous des humeurs différentes.

    Quel enfant a-t-on été soi-même : celui qui aimait dévorer n’importes quelles BD qu’il achetait à la gare avant un long voyage en train, genre faites à la chaine dans des studios (mais dans lesquelles ont redécouvre aussi des perles) ou celui qui a eu la chance d’avoir à sa portée et apprécier d’autres types d’ouvrages de meilleure facture comme des Astérix et Obélix d’avant la mort de Goscinny, ou du Reiser ou des collections de Charlie mensuel.

    On adorait lire avant l’âge "requis" ces BD qu’on dit "pas pour enfant". Pas forcement par gout de l’interdit mais parce qu’on y retrouvait enfin aussi la force et la violence de la vraie vie, ce qu’un enfant est capable d’apprécier, et qui correspond à sa rencontre avec la personnalité d’un créateur. Sans catégorisation ou segmentation d’âge.

    Pas une BD "préméditée" dans une ambiance de bureau de marketing, à renfort d’"éducateurs-consultants".
    ça me semble faire le travail de création à l’envers, quand on finit par dire à l’artiste ce qu’il doit faire...

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    • Répondu par Sergio Salma le 29 août 2010 à  16:10 :

      Tout à fait d’accord. Le problème c’est que là on parle d’un temps où il sortait 100 ,150 livres par an ( on ne considère pas les fascicules façon Tartine ou Akim comme étant des albums ) . Aujourd’hui ce besoin de classifier correspond simplement à une obligation. Et c’est très souvent artificiel. A part une certaine catégorie de travaux, tous les auteurs du monde ont le désir d’être lus par un maximum de gens, tous âges confondus.

      Ne fantasmons pas trop sur des personnages mythiques que l’on appelle" gens du marketing". Chaque éditeur, gros ou petit, réfléchit quand il publie un bouquin. Comment on le fait ? Comment on le vend ? Mais ça ne se passe pas dans de froids bureaux avec des gens en costard-cravates au regard d’aigle qui hument les bénefs comme les requins le font avec le sang. Ce sont juste des gens qui se demandent comment ne pas perdre trop d’argent dans cette monstrueuse foire d’empoigne.

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