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Le pavillon noir flotte sur Angoulême !

Par Florian Rubis le 27 juin 2011                      Lien  
La Cité internationale de la Bande Dessinée et de l'Image d’Angoulême a hissé bien haut le « Jolly Roger », le drapeau noir décoré d'un crâne, d'un squelette, voire de tibias humains entrecroisés. Son exposition {L’Île aux pirates} propose un traitement du thème de la piraterie qui satisfera à la fois le grand public et les amateurs pointus du neuvième art.

L’Edward Teach alias Barbe-Noire (1680-1718) de la réalité historique, le non moins terrible Long John Silver dans la fiction littéraire, Errol Flynn en Capitaine Blood dans le film de Michael Curtiz (1935) ou le Rackham le Rouge d’Hergé ont enflammé nos imaginations.

Mais ces « salauds sympathiques » qui parlent à l’enfant qui est demeuré en nous, ont brouillé quelque peu notre vision des pirates. Elle hésite à faire la part entre le vrai et un folklore provenant des figures ambiguës héritées des romans d’aventures et leurs illustrations, d’Hollywood, des jeux vidéo et de la bande dessinée.

L’exposition L’Île aux pirates du Musée de la Bande Dessinée d’Angoulême permet de réviser agréablement le sujet, tout en incitant à la lecture de contributeurs remarquables de ce genre important du neuvième art.

Pirates, mais pas vraiment sans foi ni loi

Le pavillon noir flotte sur Angoulême !
Une couverture de "Hawks of the Seas" (1936-1938) de Will Eisner, titre qui serait à l’origine de la vocation de son plus jeune confrère Al Williamson
© 2011 Reprinted with permission Will Eisner Studio Inc

La piraterie s’épanouit sur les mers depuis l’Antiquité. Les anciens Grecs la pratiquaient volontiers. La Méditerranée romaine ne fut pas réellement une Mare Nostrum : les pirates de Sicile négocient avec Spartacus en révolte ou ceux de Cilicie (Sud-Est de la Turquie actuelle) donnent du fil à retordre au grand Pompée. Tandis qu’au XVIe siècle, les frères Barberousse s’opposent au Génois Andrea Doria.

Les écumeurs des océans vivent leur période faste, celle qui intéresse plus spécialement l’exposition angoumoisine, dans les Caraïbes, de la fin du XVe siècle au XIXe siècle. Lorsque la papauté favorise l’Espagne et le Portugal dans le monopole de l’exploitation coloniale du continent américain, la France, l’Angleterre et les futurs Pays-Bas veulent néanmoins s’approprier une part de ses richesses ! Contrairement aux corsaires pourvus d’une lettre de marque de leur souverain pour aborder les navires ennemis contre une part de butin, les pirates, apatrides, ne sont commandés que par leur propre intérêt, et leur capitaine élu, risquant tous la pendaison en cas de capture.

Cette guerre de course, comme l’affrontement entre Musulmans et Chrétiens en Méditerranée, a aussi pris l’aspect d’un conflit religieux. Les Espagnols catholiques luttent contre les corsaires huguenots français de l’amiral Gaspard de Coligny, la flotte des Gueux, en vérité dirigée par des nobles néerlandais protestants en révolte, les « chiens de mer » anglicans d’Élisabeth I ou des pirates issus de minorités contrariées dans leur liberté de culte, en rupture avec l’Angleterre.

Une page de "Hawks of the Seas" de Will Eisner, bande dessinée de pirates réalisée sous pseudonyme
© 2011 Reprinted with permission Will Eisner Studio Inc

Les flibustiers (du hollandais vrijbuiter : « libre butineur », « qui fait son butin librement ») du XVIIe siècle établissent des repaires aux Antilles ou à Madagascar. Leurs embarcations rapides et de plus faible tonnage fondent avec ruse sur l’or des lourds galions espagnols. Leurs équipages hétéroclites (marins déserteurs, exclus de toutes sortes ou esclave noir en fuite, etc.), se composent de purs forbans ou parfois d’idéalistes, souvent regroupés en contre-sociétés, comme la confrérie des Frères de la Côte de l’Île de la Tortue. Ils se réorganisent selon leurs propres codes (voir la tache noire donnée par Pew l’aveugle dans L’Île au trésor). Certains rêvent de fonder des utopies égalitaires !

On a cru l’avoir éradiquée. Mais la piraterie a refait surface de nos jours, au grand dam des armateurs et de la Lloyd’s de Londres, assurant leurs bâtiments, comme au large de la Somalie ou dans le détroit de Malacca.

L’exposition offre, notamment, la possibilité d’une île...
© 2011 Florian Rubis

Île était une fois : la bande dessinée de pirates

Jean-Pierre Mercier, commissaire de l’exposition et conseiller scientifique du musée, commente des planches originales
© 2011 Florian Rubis

La scénographie de l’exposition se répartit sur un espace de 300 m², en trois étapes : l’entrepont d’un bateau pirate, la haute mer figurée, ainsi qu’une île aux trésors bédéphiles, avec son fortin stevensonien. Chacun y trouvera de l’intérêt, enfants et adultes. Ces dames n’étant pas oubliées car, par exemple, de l’existence de femmes combattantes vikings à Mary Read et Ann Bonny, elles furent présentes dans la piraterie, contrairement aux idées reçues ! Ce qui se traduit par une double ration de rhum (comprenez une place de choix) accordée à la dessinatrice Laureline Mattiussi et à sa « piratesse » de L’Île au poulailler.

De nombreuses planches originales d’auteurs vieux loups de mer sont à admirer, sous influence hollywoodienne plus ou moins directe. Une création peu connue des débuts de Will Eisner est ainsi remise en valeur : Hawks of the Seas. Cormoran de Lucien Nortier et Paul Gillon, récemment disparu, ou son Jérémie, qui a fait les riches heures de Pif Gadget, et Le Capitaine Fantôme de Marijac et Cazenave ont été incorporés à l’équipage...

Ambiance...
© 2011 Florian Rubis

Des dessinateurs plus contemporains, mais pas non plus des moussaillons, ont également été recrutés. Parce qu’ils ont revisité le mythe en y apportant une forte contribution personnelle. Citons Christophe Blain, Jason et Vehlmann, un projet en cours inédit des Bramanti, père et fils, une originalité, ou encore Lewis Trondheim et Apollo, sur lesquels l’exposition s’achève.

Au passage, la dimension enfantine ou comique n’a pas été oubliée, avec Pepito de Luciano Bottaro, sur lequel le fonds du musée possède des trésors, Le Vieux Nick de Remacle ou Sardine de l’espace d’Emmanuel Guibert et Joann Sfar. Wafwaf et Capitain Miaou de B-Gnet naviguent même sous des latitudes peu empruntées !

Une approche ludique et didactique discrète mais efficace

Une illustration de N. C. Wyeth
Photo : © 2011 Florian Rubis

La volonté manifeste développée de faire apprendre en s’amusant répond notamment au désir du commissaire de l’exposition, le conseiller scientifique du musée, Jean-Pierre Mercier, grand connaisseur du neuvième art.

On se souvient que Robert Louis Stevenson, rédacteur du roman d’aventures et de piraterie "canonique", L’Île au trésor, et divers illustrateurs dans son sillage tels Howard Pyle ou son disciple Newell Convers Wyeth ont fixé l’archétype du sabreur et buveur de rhum invétéré.

Il fut ensuite repris et popularisé par le cinéma, de Douglas Fairbanks Jr à Pirates (1986) de Roman Polanski, s’appuyant sur un début de story-board dû à Hermann, jusqu’au Johnny Depp de la plus proche bien que moins convaincante série filmique des Pirates des Caraïbes. Des accompagnements audiovisuels ponctuent le parcours, empruntés aux classiques hollywoodiens. Des entretiens d’auteurs BD concernés par l’événement sont en outre visibles.

Les véritables trésors mis en valeur par l’exposition...
© 2011 Florian Rubis

La volonté de faire (re-)découvrir ou (re-)lire ces derniers est manifeste. Elle se traduit jusque dans un sens du détail pas si anecdotique : on pourra ainsi mieux se rendre compte du lien tissé entre deux publications majeures du magazine Pilote : Barbe-Rouge de Jean-Michel Charlier et Victor Hubinon et sa version parodique, la bande des pirates ponctuellement rossés par Astérix et Obélix au cours de leurs aventures. Ce type de subtilité n’étant, paraît-il, plus si évident pour les jeunes lecteurs, l’exposition prend tout son relief en remettant en lumière cela et bien d’autres choses !

(par Florian Rubis)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

En médaillon : détail du squelette de l’île reconstituée de l’exposition © 2011 Florian Rubis

L’Île aux pirates

Cité internationale de la Bande Dessinée et de l’Image

121, rue de Bordeaux 16023 Angoulême

Du 25 juin au 2 octobre 2011

L’exposition sera accompagnée de diverses manifestations, dont un week-end spécial d’ouverture, des ateliers et un cycle de films sur les pirates.

Pour plus de renseignements sur l’exposition et ses activités

Pirates & corsaires dans la bande dessinée - Par Philippe Tomblaine – L’Àpart du Beau (éditeur) – 250 pages, 25 euros

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