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Le retour de Superman : Forcément super ?

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) François Peneaud le 12 juillet 2006                      Lien  
Un Golem, un Messie, un Surhomme... Certainement un mythe contemporain, à la fois fondateur du genre super-héros et symbole de l'hyper-puissance américaine. Lancé le 1er juin 1938 par Jerry Siegel et Joe Shuster et vendu pour une poignée de dollars à DC Comics, Superman fait l'objet ces jours-ci d'une adaptation au cinéma qui s'affiche comme le film le plus cher de l'histoire.
Le retour de Superman : Forcément super ?
Une des affiches du film
© Warner Bros

Nous connaissons tous ce Clark Kent un peu gauche que personne ne reconnaît sous les traits de Superman. « À l’origine, explique l’historien des comics Jean-Paul Jennequin, les pouvoirs de Superman restent des capacités humaines surmultipliées [...] Ces pouvoirs sont expliqués par [son] origine extra-terrestre : juste avant l’explosion d’une planète où l’humanité avait connu un niveau de développement bien supérieur à celui de la Terre, le savant Jor-L a sauvé son enfant nouveau-né de la catastrophe en le plaçant dans une fusée de son invention. » [1] On voit bien tout ce que cette « naissance » emprunte au mythe de Moïse. L’homme qui ne ment jamais, sauf quand il doit décliner sa double identité, mesure 1m92 et pèse 102 kilos. Il a soif d’idéal, de vérité et de justice. Il mène une croisade contre le crime.

En 1941, les premiers dessins animés par les frères Fleischer
© Warner Bros

Au vu du succès immédiat du personnage, toute l’industrie de la bande dessinée américaine s’est engouffrée dans ce modèle, au point de rejeter dans l’ombre des grands classiques des comic-strips comme Flash Gordon ou Tarzan, consacrant un mode de parution devenu canonique : le comic book [2].

Adapté très tôt en dessins animés (17 courts métrages entre 1941 et 1943, par Dave & Max Fleischer), il fut aussi le premier super-héros à arriver au cinéma dès 1978, récoltant plus de 300 millions de dollars de recette pour 55 millions d’investissement. Les créateurs, Siegel & Shuster, ayant vendu à D.C. Comics leur personnage sans possibilité de droit de suite, ne touchèrent rien de ce pactole et de ceux qui suivirent. Ils eurent tout juste droit à une rente de quelques dizaines de milliers de dollars par an dans leurs vieux jours au milieu des années 70, après une bataille légale qui vit de grosses pointures comme Neal Adams, alors une star des comics, s’engager très fermement du côté des créateurs. Une aumône.

Brandon Routh dans le rôle de Superman 2006
© Warner Bros

Au menu de cet excellent film, trois fois nominé aux oscars, produit par Alexander Salkin et Pierre Spengler (voir notre interview), une recette qui fait mouche : un scénariste de rêve, Mario Puzzo, l’auteur du Parrain, des acteurs-culte dans les seconds rôles : Marlon Brando, Gene Hackman... et bien sûr, dans le rôle-titre, un parfait inconnu aux yeux bleus et à la mâchoire carrée, Christopher Reeve. Le scénario oscille avec grâce entre le premier et le second degré. La magie est intacte.

Le réalisateur Bryan Singer
© Warner Bros

Trois autres films ont suivi, le dernier en 1987, engrangeant des scores de plus en plus médiocres, toujours avec Christopher Reeve dans le rôle de Clark Kent. Comme dans le comic-book en 1938, Superman avait ouvert la voie pour une exploitation intensive des super-héros : Batman, X-Men, Spider-Man, Daredevil, Hulk... Inutile de dire que son grand retour est attendu et que cette réalisation, produite par la Warner Bros, à laquelle appartient également DC, jouit cette fois d’un budget qui se situerait entre 260 millions (chiffre officiel) et 400 millions de dollars, soit plus que Spider-Man ou encore Titanic, ce qui en fait le film le plus cher de l’histoire du cinéma. La caméra a été confiée à Bryan Singer, le propre réalisateur des deux premiers X-Men, qui ont eu le succès que l’on sait. Les premiers résultats du film au box-office américain sont paradoxaux : sorti aux USA le mercredi 28 juin, le film a réalisé 142 millions de dollars de recette au 9 juillet, ce qui signifie qu’il a fait mieux (à période égale) que Batman Begins, qui a fini à 371 millions de dollars de recette au cinéma dans le monde entier. On pourrait penser que tout se passe bien... et pourtant, le film a coûté si cher, à produire et à promouvoir, que ce score est considéré comme à peine correct. En plus, la sortie de la suite des Pirates des Caraïbes ce week-end, qui a engrangé 132 $ millions en un week-end, a dû donner des poussées d’urticaire à la Warner.

Il faut également signaler la "polémique" qui a eu lieu quelques semaines avant la sortie du film de Singer : après un article dans le magazine homo The Advocate, qui montrait l’attrait pour son public du personnage de Superman, cet homme qui cache sa véritable identité pour mieux venir en aide aux autres, la presse généraliste s’est jetée dans la brèche, renversant le propos de The Advocate et titrant sur un très fantaisiste « Superman est-il homo ? », paniquant le studio - qui craignait de voir les jeunes hommes hétéros, cœur de cible du film, fuir les salles obscures. Bryan Singer, lui-même très ouvertement homosexuel (on se souviendra des thématiques très métaphoriques des films X-Men), a dû se fendre d’un « Superman est le personnage le plus hétéro sur lequel j’ai travaillé ». Heureusement que le ridicule ne tue pas.

Voilà bien le paradoxe d’un film aussi cher : si le personnage a bien des connotations juives, plaît au public homo, et s’offre une posture christique, il ne faut pas trop le dire, de peur de s’aliéner une partie du grand public (évidemment, aux USA, la posture christique a de plus grandes chances d’attirer le dit public...). Que reste-t-il à Superman ?

Kate Bosworth et Brandon Routh
© Warner Bros.

En effet, Superman est un personnage qui, comme le soulignait Umberto Eco, se trouve dans « une situation narrative préoccupante qui fait de lui un héros sans adversaire et donc sans possibilité de développement d’intrigue. » [3] On peut d’ailleurs penser à la fameuse histoire en comics de la mort de Superman, en 1993, dans laquelle celui-ci était tué par un gros baraqué bien nommé, Doomsday ("Fin du monde"). Elle avait fait les gros titres de la presse généraliste et avait généré une réponse énorme, bien au-delà du cercle des lecteurs de comics. Et Superman réapparut quelques temps plus tard, bien vivant. Encore une métaphore christique ? Ou bien un coup de pub bien orchestré, qui met en lumière l’impossibilité pour ces personnages d’évoluer sensiblement...

Une imagerie naïve comme une histoire sainte, comme en témoigne l’affiche ci-dessous où on le voit , encore une fois, dans la position saint-sulpicienne d’un Christ en ascension. Il produit par conséquent, toujours selon Eco, un système cohérent, déconnecté du réel, exigeant forcément du lecteur un « acte de foi : « Il décide d’accepter Superman pour ce qu’il est, un personnage de fable, dont les variations ininterrompues le réjouissent ». Et continueront sans doute de réjouir longtemps encore.

Un des affiches du film
© Warner Bros

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

(par François Peneaud)

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Code EAN :

En médaillon : Brandon Routh, le Superman millésime 2006. © Warner Bros.

Le film sort en salle en France le 12 juillet 2006.

[1Jean-Paul Jennequin, Histoire du Comic-Book tome 1, Vertige Graphic, 2002.

[2Voir le livre de Jean-Paul Gabilliet, Des Comics et des hommes.

[3Umberto Eco, De Superman au Surhomme (1993).

 
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