Il y a encore peu, nous parlions concernant l’état de la bande dessinée de charme d’une quasi asphyxie de celle-ci [1] : Fin des collections Le Marquis et Selen chez Glénat, arrêt des revues La Poudre aux Rêves (2004), Bédé Adult’, Bédé X, arrêt des titres issus de la revue Geisha, arrêt de la collection Manga X avec la disparition des éditions Le Téméraire, censure par l’État de la série Angel de U-Jin chez Tonkam... Ne parlons pas des anciens et nombreux Petits Formats (chez Elvifrance notamment) depuis longtemps disparus (arrêt des éditions Elvifrance en 1992), arrêt des éditions Albin-Michel BD-L’Écho des savanes, sans oublier la présence de la Loi Pasqua qui permet à n’importe qui de porter plainte contre un libraire si un livre ne lui plait pas, loi qui n’a fait que renforcer la loi de 1949, épée de Damoclès toujours présente au dessus de la BD, pourtant largement obsolète [2], etc… Bref, la situation n’était pas rose !
Une BD érotique de qualité
Dans ce panorama pas vraiment idyllique sont apparues en 2002 les éditions Dynamite, avec le toujours militant Bernard Joubert comme directeur de collection qui a su, par la qualité tant sur le fond que sur la forme des ouvrages proposés, redonner quelques couleurs à ce secteur de l’édition ! Même si les ventes restent cependant modestes : rien à voir avec les gros tirages des populaires feux Petits Formats de Elvifrance et autres. Quelques années après sont apparus les éditions Tabou qui suivent le même chemin ; celles-ci éditent sur le sujet deux livres à découvrir : « La B.D. érotique : histoire en images » en deux volumes.
Patrice Tabou, des éditions Tabou : « Toutes ces dernières années, l’édition de BD érotiques en France était limitée aux productions de Dynamite, filiale de la Musardine, sous la houlette, (à l’époque car il a démissionné depuis) du grand spécialiste de la question, Bernard Joubert. C’était tout. Après, certains éditeurs publiaient une BD vaguement osée, noyée dans un catalogue plus conventionnel. Depuis 2008, la production se retrouve amplifiée par l’arrivée sur le marché des éditions Tabou, spécialisées dans les guides érotiques et qui, depuis un an, publient de grands noms de la BD érotique italienne, espagnole, française. L’offre se voit ainsi multipliée par deux et la demande croit de même. Une demande soucieuse d’avoir en BD érotique des albums conçus, dessinés et écrits avec la même exigence de qualité qu’une BD "classique", c’est-à-dire loin des petits bouquins pornos mal dessinés et aux scénarios si indigents.
La créativité et le désir de qualité sont les pièces maîtresses de l’avenir d’une BD érotique digne des BD plus conventionnelles. »
À quand des BD érotiques chez les Indés ?
Bernard Joubert, directeur de collection chez Dynamite de 2002 à 2008 : « Qu’à la suite de La Musardine des éditeurs se remettent à la BD érotique,
j’espérais cela. Mais ce que j’aimerais, c’est qu’ils ne se contentent pas
de marcher dans des traces. Il faut innover maintenant. Il ne faut pas que
la BD éroticoporno se contente d’être ce qu’elle a été. J’attends que les
"indés" s’en emparent et secouent le cocotier. Il y a un monde à explorer. »
En 2006, Jean-Louis Gauthey des éditions Cornélius lance la réédition améliorée de la fameuse série « Necron » du génial Magnus.
Notons également un retour des mangas à plus ou moins forte dose érotique avec le succès de la série Step Up Love Story aux éditions Pika et de nombre d’autres séries qui ont suivi, dont notamment des séries de U-Jin dont nous parlions plus haut, mais aussi Golden Boy (éditions Tonkam) [3] du même auteur nous avons pu découvrir aussi Yapou : bétail humain chez l’éditeur Kami), etc.
Le retour de l’érotisme chez Glénat
Jacques Glénat ayant racheté en 2007 le catalogue BD d’Albin Michel réédite sous le label Drugstore des BD érotiques de Manara (Le Déclic en version couleurs en mars prochain) ainsi que des BD inédites très chaudes comme le tome 4 de Bang Bang des talentueux Jordi Bernet et Carlos Trillo, toujours en mars, ou encore Arthur & Janet à fleur de peaux de Jean-Luc Cornette et Karo qui narre la vie sexuelle d’un couple, dans la veine décomplexée de Fraise et Chocolat.
N’oublions pas dans cette vague brulante les petites éditions « H&O », spécialisées dans les BD gays avec des auteurs comme Gengoroh Tagama (dont Libération avait fait une pleine page dans son numéro spécial Angoulême !), ou encore des titres comme Cavalcade of boys, Rainbow country, etc.
L’effet Alan Moore
Enfin, cerise sur le gâteau, fin 2007 début 2008, passant outre les conseils d’auto-censure de son avocat Emmanuel Pierrat [4], Guy Delcourt décide de publier en français la bande dessinée phénoménale et érotique d’Alan Moore et Melinda Gebbie : Filles perdues » [5].
La même année, il publie l’ouvrage collectif « Premières fois » écrit par Sibylline. Guy Delcourt, qui écrivait jadis des articles sur des sujets un peu coquins dans Charlie Mensuel, suite aux succès de Filles perdues et de Première fois, revient donc, si l’on peut dire, à ses premières amours et nous annonce pour septembre prochain le lancement d’une collection baptisée Erotix (avec un x) entièrement consacrée à la bande dessinée érotique : Premiers titres annoncés : Les 110 pillules de Magnus et la traduction de The Iron Devil de l’excellent auteur Frank Thorne.
Christian Marmonnier, directeur de collections chez Dynamite, nous confirme : « Oui, un retour de la BD érotique sur le devant de la scène. Ces dernières années, Dynamite (sous la direction de Bernard Joubert) menait un combat bien isolé, accompagné, pour ce qui concerne le porno gay, de H & O, un éditeur qu’on a toujours tendance à oublier mais qui est un important découvreur (cf. Tagame). En 2009, il semble en effet que d’autres éditeurs, même non spécialisés tels que Delcourt et Glénat, se lancent dans la course. Tant mieux. Cela permettra peut-être de sortir du ghetto dans lequel le genre est toujours confiné. Il y a une autocensure sournoise de la part des libraires et des diffuseurs, qui craignent d’éventuels tracas juridiques. Quand on voit la catalogue d’Eros Comix aux États-Unis, riche de traductions venant de tous pays, on se dit pourtant que la matière est énorme, tant dans la redécouverte d’un patrimoine (ce qu’a commencé à faire Dynamite avec Pichard) que dans la création. En France justement, la création s’est affaiblie depuis que des revues régulières ont disparu (je pense aux revues d’IPM), la naissance de nouveaux labels dédiés à l’érotisme ne peut qu’entraîner de nouvelles créations. Je le disais, tant mieux. Dynamite a une faible capacité annuelle, juste une dizaine de titres, comprenant parfois de nouvelles éditions. Reste à voir si ces labels s’aventureront dans l’explicite et la pornographie. J’aimerais en effet relire le Birdland de Gilbert Hernandez, passé inaperçu en France. Et j’aimerais lire tant d’autres choses que Dynamite, seul, ne peut pas publier. Je pense que nous avons là l’aubaine de faire redécouvrir la bande dessinée érotique, en explorant le genre et en le décomplexant, en laissant la porte ouverte à de jeunes créateurs, et je le souhaite vivement, à de jeunes créatrices. »
Si la qualité et la volonté perdurent, la bande dessinée érotique regagnera peut-être les galons et la notoriété qu’elle avait perdus au cours de ces dernières décennies.
(par François Boudet)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
[1] Lire notre article sur le retour de la censure.
[2] À ce propos, Lire notre interview sur ActuaBD de Bernard Joubert sur la censure.
[3] Les éditions Tonkam nous annoncent que la version française ne sera pas plus censurée qu’elle ne l’est au Japon – malgré cette censure sous forme de mosaïques typiquement nippone, cette série est extrêmement hot, vous êtes prévenus… ;-)
[4] L’affaire avait fait grand bruit dans la presse spécialisée, souvenons nous en….
[5] Lire l’interview d’Alan Moore sur ActuaBD réalisée par Didier Pasamonik.
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