On ne reviendra pas aujourd’hui sur la notion de « roman graphique », largement débattue déjà dans nos pages, même s’il est au centre du sujet de cette exposition Casterman à la galerie Gallimard.
Avec sa scénographie claire, proprement commentée, et une rythmique de planches plutôt réussie, cette exposition propose un choix de planches très diversifié d’auteurs remarquables : Zeina Abirached & Mathias Énard, Baru, Enki Bilal, Max Cabanes, Catel & José-Louis Bocquet, Jean-Christophe Chauzy, Didier Comès, Nicolas De Crécy & Sylvain Chomet, Ludovic Debeurme, Frantz Duchazeau, Jacques Ferrandez, Vittorio Giardino, André Juillard, Loustal & Philippe Paringaux, Lorenzo Mattotti, Moebius, José Muñoz & Carlos Sampayo, Anthony Pastor, Vincent Perriot, Hugo Pratt, Jean-Marc Rochette & Jacques Lob, Grzegorz Rosinski & Jean Van Hamme, Christian Rossi & Géraldine Bindi, David Sala, François Schuiten & Benoît Peeters, Tardi & Jean-Claude Forest, enfin Bastien Vivès.
C’est un polyptyque de quarante ans de créations qui se déploie devant nous et qui rend bien les évolutions de ce… comment faut-il l’appeler ? « Genre » ?, « dénomination commerciale » ?, « phénomène sociologique » ?... « Escroquerie ! » aurait sans doute éructé Jean-Christophe Menu qui pestait naguère contre les « faux » Futuropolis et autres « Collection Écritures » qui piétinaient joyeusement ses plates-bandes associatives.
Je me souviens de l’arrivée d’Hugo Pratt sous le label des éditions Casterman. C’était assez inouï à l’époque. Cette maison catholique conservatrice n’aimait pas la nouveauté. En ce temps là, le directeur commercial France était Louis Gérard, lequel entretenait de bonnes relations avec Claude Moliterni, le directeur de la revue Phénix et principal propagandiste de Pratt de ce côté des Alpes. Une discussion avec l’éditeur de Pratt, Publicness, avait convaincu l’homme de Casterman qu’il fallait publier le dessinateur italien.
Louis-Robert Casterman s’était laissé faire sur la promesse de récupérer les films auprès de Pif Gadget où le marin avait été publié entre 1970 et 1973. On le sait peu mais Pratt fut viré de Pif (quelle clairvoyance !) pendant les vacances de son rédacteur en chef de l’époque, Gilles Medioni. Cela se passait comme cela dans les publications communistes, ma bonne dame !
Des débuts difficiles et puis... le miracle !
Les Corto de Casterman furent publiés entre 1973 et 1975 sous la forme de cinq albums cartonnés en noir et blanc puis en couleurs, de 46 à 64 pages, des albums normaux, quoi ! Mais ils ne se vendaient pas… Pendant des années, ces éditions ont traîné en piles chez les soldeurs…
C’est la publication sous la forme d’un gros pavé de 163 planches en noir et blanc, sans la mention notable du mot « roman » qui, lancé en janvier 1975 à Angoulême, fit la surprise : elle dépassa rapidement les 100 000 exemplaires vendus. L’entregent de Moliterni à Angoulême et à Lucca acheva de faire du dessinateur italien, un auteur hype.
On en conclut qu’il y avait de la place pour ce genre de récits au long cours où l’audace graphique se conjuguait avec un rythme de narration proprement littéraire.
L’idée vint de lancer une collection de « Romans BD » en noir et blanc avec une pagination abondante et d’en prépublier les pages par grandes brassées dans un mensuel dédié qui porterait en titre la paradoxale antiphrase « (A Suivre) », par dérision pour la bande dessinée classique feuilletonesque. Didier Platteau, alors DG de Casterman, recruta Tardi, Comès, Schuiten & Peeters et les réunit autour de Pratt.
C’est ce que retrace cette exposition qui fait un raccourci un peu périlleux avec la « nouvelle vague » comme Bastien Vivès (qui, en fait de « roman graphique » a surtout regardé du côté des mangas…) ou encore Loustal dont, si l’on en croit le témoignage de Louis Gérard, Robert-Louis Casterman « détestait le dessin... ».
La dernière ironie vient de ce que cette exposition soit inaugurée dans la prestigieuse galerie Gallimard, un groupe propriétaire des éditions Casterman depuis qu’il a racheté le groupe Flammarion en 2012.
Au moment de la création d’(A Suivre), l’ambition de Casterman était de devenir « le Gallimard de la BD ». Comme j’ai pu l’écrire par ailleurs, avec les labels Futuropolis, Gallimard BD et Denoël Graphic, Casterman est devenue en définitive « la bande dessinée de Gallimard. »
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Exposition
CASTERMAN
Le roman s’écrit aussi en bande dessinée
jusqu’au 31 juillet 2018
Galerie Gallimard
30/32 rue de l’Université, 75007 Paris
www.galeriegallimard.com
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