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Le « très controversé » Monsieur Crumb

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 25 mai 2005                      Lien  
Pornographique, névrosé, dépravé, mais aussi hilarant, poétique jusqu'au sublime, tel est Robert Crumb le pape de l'Underground américain vivant en France, loin de l'Amérique de Georges W. Bush. Crumb est plus qu'un génie, un homme qui a renouvelé la BD américaine : il est un symbole. Quelques publications récentes viennent le rappeler à propos.

Né le 30 août 1943 dans une fratrie de cinq enfants, Robert Crumb déménage plusieurs fois dans sa jeunesse, comme souvent chez les enfants de militaires de carrière. Pas facile pour se faire des copains dans ces conditions. Robert se replie sur sa famille et avec son frère Charles découvre un dessinateur qui le marquera à jamais : Elzie Crisler Segar, le créateur de Popeye. La filiation graphique avec son travail, son trait un peu lourd et ses personnages au regard lunaire viennent de là, c’est évident. Sa deuxième rencontre décisive, c’est dans le magazine Help ! qu’il la fait, à l’age de 22 ans alors qu’il a déjà entamé une carrière d’illustrateur à la petite semaine. Il y découvre Harvey Kurtzman, le vibrion de l’équipe de Mad Magazine et créateur de Little Annie Fanny, une héroïne blonde pulpeuse avec des seins comme des obus. Un choc pour ce grand timide. A partir de 1967, il est au cœur du Maelström de la BD alternative ,devenant en une décennie la figure de proue de la BD underground. Sexe, drogue, Jazz... il n’est pas une dépendance qu’il n’ignore. Il décrit avec un brio incroyable l’Amérique des années 60 et 70, celle de la libération sexuelle, de la lutte pour les droits civiques, en un mot, de la contestation, faisant des entrechats drolatiques avec la censure, comme le meilleur Burroughs, grand ancêtre beatnik.

Grand Prix d’Angoulême 1999.

Le « très controversé » Monsieur Crumb
Crumb par lui-même.
(c) Crumb & fantagraphics

C’est pourquoi il est un symbole, spécialement aujourd’hui, alors que l’Amérique s’est embouchée avec un Born Again Christian et que le politiquement correct coercitif et hypocrite est la norme. C’est pourquoi l’Académie des Grands Prix du Festival International de la BD d’Angoulême s’est à mon sens couverte de probité et d’honneur en distinguant parmi ses pairs en 1999 cette haute figure historique, ce qui nous a valu de connaître un président 2000 du Festival discret et reclus, tandis que la direction de la manifestation, contrite, préférait choisir une affiche mortuaire pour le deuxième millénaire plutôt qu’un dessin d’affiche qu’elle jugeait trop provocant pour le grand public.

Redécouvert par le public français

La France a toujours fait la fête à Crumb, il publie d’ailleurs par chez nous sans discontinuer depuis la fin des années soixante, lorsque ses dessins adornaient les couvertures des premiers Actuel. Il a quelques amis fidèles en France, comme Jean-Pierre Mercier, conseiller scientifique du Musée National de la BD à Angoulême. C’est en France que le vieux dessinateur fatigué s’est établi et c’est à cela peut-être que l’on doit de connaître ses œuvres qui sont publiées aujourd’hui chez des éditeurs comme Cornélius (Amerika, Mister Nostalgia, M. Snoïd, Sans Issue...) ou encore les Editions Nocturnes qui publient un magnifique Charlie Patton qu’accompagne un CD-Rom avec les morceaux de ce chanteur-guitariste de génie, fondateur du Delta Blues.

Premier chef-d’œuvre à 19 ans

Yum Yum Book
vient de sortir chez Denoël Graphic.

Ces jours-ci, c’est un livre tout particulier que nous propose le très précieux éditeur Denoël Graphic. Il s’agit de Yum Yum Book, un premier opus dessiné par Crumb alors qu’il n’avait que 19 ans. « Je veux juste expliquer au lecteur [...] que j’étais encore puceau quand j’ai dessiné cette histoire... J’en ai trente aujourd’hui et le résultat me paraît quelque peu adolescent et immature. » écrivait Crumb, presqu’en s’excusant, dans sa première préface en 1974. « C’est la plus longue histoire que j’aie jamais racontée en bandes dessinées, précise-t-il dans une seconde préface presque trente ans plus tard, et tout en couleurs avec ça ! J’étais vraiment un jeune maniaque plein d’allant ! » Et, de fait, le dessin est cotonneux, hésitant, pas très ferme et louchant parfois sur Walt Kelly (Pogo). Mais quelle ambiance, quelle intelligence, quel regard acéré ! Tout Crumb est déjà dans ces premières pages. L’initiation n’est pas seulement le fait de l’auteur ; elle est aussi celle du lecteur. Après avoir fait l’amour, un crapaud transformé en jeune garçon dit à sa belle « Viens, partons à la recherche de notre place dans l’univers ! » [1]

Cette place, Crumb l’a assurément trouvée, dans nos cœurs et dans nos bibliothèques.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

On peut visiter quelques sites de fans comme CrumbProducts. Com ou encore CrumbMuseum.com. Ses œuvres complètes sont publiées en anglais par Fantagraphics

Pour un avis un peu différent sur les oeuvres de Crumb, voir le travail de Roberta Gregory.

[1Notons la très belle qualité de la traduction de cet ouvrage due à la plume de Liliane Stajn.

 
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