« Si tout était anéanti : livres, monuments, photographies, descriptions, etc., et qu’il ne restât plus que les bois qu’il a gravés en dix ans, on pourrait, avec eux seuls, reconstituer le monde d’aujourd’hui » écrivait Stefan Zweig. Il parlait de l’œuvre du dessinateur belge Frans Masereel dont les éditions de Halleux s’apprêtent à publier les ouvrages cette année en commençant par une monographie de l’artiste, « Frans Masereel – L’empreinte du monde » où l’on découvre que l’on célèbre, précisément cette année, la publication du premier « roman graphique » du dessinateur belge, publié plus de 10 ans avant la naissance de Tintin : « La Passion d’un homme. »
Publiée en Suisse à la fin de la Guerre de 1914, quasiment à compte d’auteur, cet ouvrage a reçu un retentissement considérable, en particulier en Allemagne dans l’entre-deux-guerres. Il raconte le destin d’un ouvrier qui s’est intellectuellement construit lui-même et qui a pris conscience de sa condition pour se révolter contre ses patrons. On y trouve la fibre anarchiste, socialisante et antifasciste que le dessinateur défendra toute sa vie, ayant dû même se cacher sous un faux nom sous l’occupation.
Formidablement bien façonnée et incroyablement érudite, la monographie bilingue (français/allemand) des éditions Martin de Halleux, reprend 391 gravures de ce dessinateur avec une multitude de photos et de documents rares voire inédits.
La monographie la plus complète
On peut y lire les contributions de deux des meilleurs connaisseurs de l’œuvre de l’artiste : Samuel Dégardin et Joris van Parys mais aussi des entretiens inédits de Frans Masereel avec son éditeur Pierre Vorms dans lesquels l’artiste évoque précisément la genèse de ses travaux et notamment de la création de ses romans en images, comme Mon Livre d’heures (1919), Le Soleil (1919), Idée (1920) ou encore La Ville (1925), les "romans sans parole" qui l’ont fait connaître.
Il n’est pas peu de dire que l’influence de Masereel fut immédiate et profonde. Ce compagnon de route de Georges Grosz est considéré comme un précurseur du roman graphique moderne, exerçant son influence sur le graveur américain Lynd Ward (Wild Pilgrimage, 1932) par exemple, mais aussi sur la gravure chinoise moderne car Masereel fut publié dès les années 1930 dans l’Empire du Milieu.
Romans sans parole
L’autre grande publication des éditions Martin de Halleux est Idée (1920), une formidable suite de 83 images racontant le surgissement de l’Idée, une femme scandaleuse parce que nue que les pouvoirs politiques, les bourgeois et l’Église essaient de réprimer coûte que coûte, tandis que son auteur est condamné. Mais l’Idée, une fois libérée, se répand, se multiplie et court le monde. Rien n’arrête l’idée !..
Ces gravures sur bois sont saisissantes d’expressivité crue, d’une force et d’une beauté sans pareilles, une suite narrative qui fit l’objet d’une adaptation en dessins animés réalisée avec Berthold Bartosch sur une musique d’ Arthur Honegger en 1932.
Roman graphique
Un pur chef d’œuvre qui justifie la dénomination de « roman graphique » dans la mesure où il s’agit d’une œuvre d’auteur, une autofiction qui n’est pas destinée à divertir, mais bien à enseigner les hommes et dont les références esthétiques ne sont pas seulement celles de la bande dessinée, mais aussi celles de l’art expressionniste de son temps.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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« Frans Masereel, l’empreinte du monde ». 664 pages – 190 x 265 mm. En librairie le 4 octobre 2018.
« Idée » de Frans Masereel. Avec une préface de Lola Lafon. 128 pages – 170 x 240 mm – 18,5€
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