En 1993, les animateurs d’une librairie d’import en bande dessinée japonaise décident de passer le cap : devenir une maison d’édition. Il s’agit de deux sœurs, Françoise et Sylvie Chang, du compagnon de l’une d’elles : Dominique Véret, et d’un conseiller du Club Dorothée, spécialiste de l’animation japonaise : Pascal Lafine (voir notre interview de ce dernier).
Depuis le 15 mars 1990, moment où Glénat lance Akira en kiosque, le manga est devenu une réalité commerciale en France. En 1993, l’éditeur grenoblois publie Dragon Ball, un best-seller qui s’avèrera multimillionnaire. Chez J’ai Lu, les mangas font déjà partie du catalogue depuis quelques saisons et les succès en grande distribution confirment l’intérêt grandissant du public pour un genre porté par la télévision et les dessins animés. Mais ce n’est pour le moment qu’un phénomène commercial. Un éditeur va contribuer fortement à le transformer en phénomène culturel : Tonkam.
En mettant la romance en avant avec un titre comme Video Girl Aï de Masakazu Katsura, Tonkam innove sur le marché prenant le contre-pied des shônen d’action purs et durs publiés par la concurrence. L’éditeur de la rue Keller s’affiche surtout par une politique pionnière dans le choix des auteurs contribuant à donner au public francophone une image de la bande dessinée nippone plus complexe et dégagée des clichés qui traînaient alors : RG Veda, Amer béton, X de Clamp, etc. Ce faisant, le public français découvrira des genres de mangas nouveaux comme le Shojo, le Boys’ love, ou le Seinen, des termes désormais couramment usités par les consommateurs de bande dessinée asiatique. Masamune Shirow, Hideo Yamamoto, ou Clamp apparaissent, grâce à cette équipe éditoriale, dans les librairies françaises.
En 1995, le label s’agrémente d’un secteur vidéo avec des titres comme Ushia & Tora, les OAV de Video Girl Aï, Ah ! My Goddess ! ou encore le film de Lamu : Beautiful Dreamer, réalisé par Oshi (Ghost in the Shell). En 1997, Dominique Véret lance le magazine critique Tsunami, puis le titre de prépublication Magnolia, disparus depuis.
Près de 900 titres et cent séries s’ajouteront au catalogue en 15 ans dans un esprit très novateur : Le 1er manga avec une jaquette, le 1er Art Book, le 1er manga dans le sens de lecture japonais en France, le 1er Shôjô en France, le 1er Seinen, le 1er manga pour adulte, le 1er roman manga, le 1er Boys’ love, le 1er manga-like français, le 1er manga d’horreur, le 1er magazine de prépublication, etc. Tout ça, c’est Tonkam !
À cela s’ajoute un travail de propagandiste de chaque instant : le 1er cosplay en France en 1997, c’est eux. Le 1er festival de fanzines, le Comicket en 1998 et la présence des premiers auteurs japonais à Angoulême en 2001, Masakazu Katsura et Yuu Watase, c’est encore eux. C’est dire si cet éditeur historique a joué un rôle majeur dans l’implantation du manga dans nos contrées. Comme dirait l’autre, si Tonkam n’existait pas, il aurait fallu l’inventer !
En 2000, à la suite d’un différend familial, Dominique Véret quitta les éditions Tonkam pour fonder sa propre structure éditoriale, Akata, qu’il mit au service des éditions Delcourt. En novembre 2005, les éditions Delcourt prirent une participation majoritaire dans les éditions Tonkam, toujours dirigées par Françoise Chang et Pascal Lafine. Par la même occasion, Tonkam qui, jusque là, se diffusait et se distribuait directement, passa en distribution chez Delsol et en distribution chez Hachette.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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