Le documentaire s’intitule « Pilote et moi, et moi, et moi ». Quel est le malotru qui s’identifie à ce point au journal qu’il s’en arroge le droit de le représenter ? Achille Talon, bien sûr, qui a fait croire à des milliers de lecteurs que Goscinny était un nabot agressif voué à dire « Non ! » à ses interlocuteurs !
Dans ce riche documentaire dont les décors sont dessinés par Cabu, le suffisant bavard est le narrateur de l’histoire. Les témoins défilent : Le fondateur de Métal Hurlant, Jean-Pierre Dionnet, l’homme de télévision et cinéaste Antoine de Caunes, le spécialiste de l’histoire culturelle Pascal Ory, la fille du scénariste tutélaire du journal, Anne Goscinny, le cinéaste Patrice Leconte, et évidemment les auteurs : Jean Giraud Moebius, Cabu, Marcel Gotlib, Christian Godard, Fred, Pierre Christin, Philippe Druillet…
La saga de Pilote commence en 1959. Le journal est révolutionnaire dès le départ car ce sont des auteurs qui en prennent l’initiative. Le marché de la BD s’est développé : Tintin, Spirou, Vaillant, Mickey, Cœurs Vaillants… structurent le paysage éditorial et les albums commencent à prendre une place conséquente dans les librairies et dans la grande distribution. Nos créateurs-fondateurs, René Goscinny, Albert Uderzo et Jean-Michel Charlier, ont pris la mesure de ce qui se passait aux États-Unis avec la création du magazine Mad, fondé par un ami de Goscinny, Harvey Kurtzman. Ce titre révolutionne l’empire du comic-book en s’adressant aux adultes et non plus aux enfants. Son contenu politique lui permet d’échapper au très contraignant Comics Code. Goscinny et ses amis retiendront la leçon. Dans Pilote va naître la bande dessinée française pour adultes.
Certes, il y avait des précurseurs : Bizarre, Hara Kiri… Mais le journal s’amuse bientôt à réfléchir et ne se refuse aucun apport nouveau : « …Notre journal, qui a horreur de l’immobilisme et du carcan des traditions, écrit Goscinny dans un éditorial en 1963, n’a pas été avare en mutations et a cherché à évoluer constamment. Plutôt que de suivre les modes, notre Pilote (mâtin, quel journal !) a toujours eu le désir, outrecuidant peut-être, de les créer. Pilote a été, et sera encore, la prestigieuse plate-forme sur laquelle les débutants de talent deviennent des vedettes confirmées. »
Ce volontarisme est payant : 150.000 lecteurs sont fidélisés dès la première année et si, mal gérée et au bord de la liquidation, le titre finit par tomber dans l’escarcelle de Georges Dargaud pour le franc symbolique, il devient le symbole de la modernité du Neuvième Art. La même année que la naissance de Pilote, François Truffaut lance Les 400 coups et, avec ce film, la Nouvelle Vague…
L’hebdomadaire, un peu cocardier boy-scout à des débuts, va virer à la joyeuse anarchie. Reiser, Gébé, Cabu, Fred,… rejoignent le navire à la suite des interdictions successives d’Hara Kiri. Ils côtoient Gotlib, Mandryka, Jean Tabary ou Christian Godard venus de Vaillant, et quelques nouveaux talents dénichés par Goscinny et Charlier : Giraud/Moebius, Druillet, Brétécher, Mézières et Christin, Lauzier… Tout ce beau monde fraie avec la vieille garde des séries ultra-classiques comme Tanguy & Laverdure, Barbe Rouge et bientôt lucky Luke.
C’est cela aussi, Pilote, cette effervescence, ces incohérences…
Si Mai 68 permet des prises de conscience, le fossé des générations se creuse en même temps que Goscinny, attiré par le cinéma et quelque peu désenchanté, prend ses distances. Un premier train d’humoristes s’en va ; Reiser, Cabu, Gébé rejoignent leur corps d’origine. Ils sont suivis en 1972 par Mandryka, Brétécher et Gotlib partis inventer L’Écho des Savanes puis Fluide Glacial. En 1975, ce sont les stars de la SF qui prennent la tangente : Moebius, Druillet et Dionnet s’en vont fonder Métal Hurlant.
C’est le déclin. Le titre s’arrête jusqu’à ce que Dargaud, racheté par Média-Participations, le ranime avec une périodicité aléatoire. Leur prochain numéro, paraissant pour le 50ème anniversaire, fait une large place au charme. Un travers dans lequel le Pilote des origines n’était jamais tombé.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Pilote, et moi, et moi !
Un film de Philippe Picard et Jérôme Lambert
sur France 5, ce jeudi 18 juin à 21h35.
Rediffusion samedi 27 juin 2009 à 00:50
Participez à la discussion