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Les 50 ans de Pilote : Mâtin, quel anniversaire !

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 18 juin 2009                      Lien  
Ce jeudi 18 juin à 21h35, France 5 diffuse un documentaire sur Pilote, le mythique hebdomadaire fondé par René Goscinny, Albert Uderzo et Jean-Michel Charlier. Incontournable.

Le documentaire s’intitule « Pilote et moi, et moi, et moi ». Quel est le malotru qui s’identifie à ce point au journal qu’il s’en arroge le droit de le représenter ? Achille Talon, bien sûr, qui a fait croire à des milliers de lecteurs que Goscinny était un nabot agressif voué à dire « Non ! » à ses interlocuteurs !

Dans ce riche documentaire dont les décors sont dessinés par Cabu, le suffisant bavard est le narrateur de l’histoire. Les témoins défilent : Le fondateur de Métal Hurlant, Jean-Pierre Dionnet, l’homme de télévision et cinéaste Antoine de Caunes, le spécialiste de l’histoire culturelle Pascal Ory, la fille du scénariste tutélaire du journal, Anne Goscinny, le cinéaste Patrice Leconte, et évidemment les auteurs : Jean Giraud Moebius, Cabu, Marcel Gotlib, Christian Godard, Fred, Pierre Christin, Philippe Druillet…

Les 50 ans de Pilote : Mâtin, quel anniversaire !
Goscinny, le maître à penser de Pilote
Photo : DR. Capture d’écran

La saga de Pilote commence en 1959. Le journal est révolutionnaire dès le départ car ce sont des auteurs qui en prennent l’initiative. Le marché de la BD s’est développé : Tintin, Spirou, Vaillant, Mickey, Cœurs Vaillants… structurent le paysage éditorial et les albums commencent à prendre une place conséquente dans les librairies et dans la grande distribution. Nos créateurs-fondateurs, René Goscinny, Albert Uderzo et Jean-Michel Charlier, ont pris la mesure de ce qui se passait aux États-Unis avec la création du magazine Mad, fondé par un ami de Goscinny, Harvey Kurtzman. Ce titre révolutionne l’empire du comic-book en s’adressant aux adultes et non plus aux enfants. Son contenu politique lui permet d’échapper au très contraignant Comics Code. Goscinny et ses amis retiendront la leçon. Dans Pilote va naître la bande dessinée française pour adultes.

Gotlib, un humour slaptstick décapant
Photo : DR. Capture d’écran

Certes, il y avait des précurseurs : Bizarre, Hara Kiri… Mais le journal s’amuse bientôt à réfléchir et ne se refuse aucun apport nouveau : « …Notre journal, qui a horreur de l’immobilisme et du carcan des traditions, écrit Goscinny dans un éditorial en 1963, n’a pas été avare en mutations et a cherché à évoluer constamment. Plutôt que de suivre les modes, notre Pilote (mâtin, quel journal !) a toujours eu le désir, outrecuidant peut-être, de les créer. Pilote a été, et sera encore, la prestigieuse plate-forme sur laquelle les débutants de talent deviennent des vedettes confirmées.  »

Ce volontarisme est payant : 150.000 lecteurs sont fidélisés dès la première année et si, mal gérée et au bord de la liquidation, le titre finit par tomber dans l’escarcelle de Georges Dargaud pour le franc symbolique, il devient le symbole de la modernité du Neuvième Art. La même année que la naissance de Pilote, François Truffaut lance Les 400 coups et, avec ce film, la Nouvelle Vague…

Cabu. Goscinny lui suggéra Le Grand Duduche
Photo : DR. Capture d’écran

L’hebdomadaire, un peu cocardier boy-scout à des débuts, va virer à la joyeuse anarchie. Reiser, Gébé, Cabu, Fred,… rejoignent le navire à la suite des interdictions successives d’Hara Kiri. Ils côtoient Gotlib, Mandryka, Jean Tabary ou Christian Godard venus de Vaillant, et quelques nouveaux talents dénichés par Goscinny et Charlier : Giraud/Moebius, Druillet, Brétécher, Mézières et Christin, Lauzier… Tout ce beau monde fraie avec la vieille garde des séries ultra-classiques comme Tanguy & Laverdure, Barbe Rouge et bientôt lucky Luke.

C’est cela aussi, Pilote, cette effervescence, ces incohérences…

Si Mai 68 permet des prises de conscience, le fossé des générations se creuse en même temps que Goscinny, attiré par le cinéma et quelque peu désenchanté, prend ses distances. Un premier train d’humoristes s’en va ; Reiser, Cabu, Gébé rejoignent leur corps d’origine. Ils sont suivis en 1972 par Mandryka, Brétécher et Gotlib partis inventer L’Écho des Savanes puis Fluide Glacial. En 1975, ce sont les stars de la SF qui prennent la tangente : Moebius, Druillet et Dionnet s’en vont fonder Métal Hurlant.

Pour Patrice Leconte, Pilote préfigure un esprit "café-théâtre". Dessin d’Alexis.
Photo DR. Capture d’écran

C’est le déclin. Le titre s’arrête jusqu’à ce que Dargaud, racheté par Média-Participations, le ranime avec une périodicité aléatoire. Leur prochain numéro, paraissant pour le 50ème anniversaire, fait une large place au charme. Un travers dans lequel le Pilote des origines n’était jamais tombé.

Pour Pascal Ory, spécialiste de l’histoire culturelle et biographe de René Goscinny, Mai 68 permet à la nouvelle génération de régler "une affaire de famille avec le meurtre du père" de la bande dessinée française.
Photo DR. Capture d’écran

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Pilote, et moi, et moi !
Un film de Philippe Picard et Jérôme Lambert
sur France 5, ce jeudi 18 juin à 21h35.
Rediffusion samedi 27 juin 2009 à 00:50

 
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9 Messages :
  • Le plan marketing du bientôt traditionnel Pilote estival semble réglé comme du papier à musique : une dose d’infos et d’histoire culturelle (qui les vaut) un peu un amont avec le concours de média, une commémoration pour la justification et hop, le terrain est prêt pour une poule aux oeufs d’or pour l’été. Jusqu’à, malencontreusement, un été (futur) ou tout ça se vautre commercialement. alors adieu célébration, adieu age d’or, adieu Gotlib, Cabu et Goscinny, retournez dans vos cartons, nous vous oublierons jusqu’à la prochaine idée bankable. Haaa nostalgie quand tu nous tiens :-)
    Et merci les média pour cette subtile alliance entre l’utile et l’agréable.

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    • Répondu le 18 juin 2009 à  19:43 :

      Toujours quelqu’un pour sortir ce genre de raisonnement complètement demeuré, aigre, sans issue et finalement bien plus démagogique que dénonciateur.
      Mais tant mieux si ça marche puisqu’une majeure partie de l’argent récolté permettra de payer les livres qui ne marchent pas et qui sont bon et d’en publier d’autres.

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      • Répondu par Tsilla le 18 juin 2009 à  23:36 :

        l’argent récolté permettra de payer les livres qui ne marchent pas et qui sont bon et d’en publier d’autres.

        Toujours quelqu’un pour sortir ce genre de raisonnement complètement demeuré, sans issue et bien plus démagogique que représentatif d’une quelconque réalité.

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        • Répondu le 19 juin 2009 à  09:40 :

          Expliquez moi la réalité ? Les gros sont méchants et les petits gentils ? Le vieux discours socialiste complètement manichéen.
          Bin non, chez Dargaud il y a de vrais éditeurs comme à l’Association. Et vous ne les connaissez pas pour oser dire des niaiseries pareilles.

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  • Un Pilote spécial cul, bonjour l’hommage ! Cherchez l’erreur...

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  • Les 50 ans de Pilote : Mâtin, quel anniversaire !
    19 juin 2009 16:20, par Sergio Salma

    Il me semble qu’accorder à Pilote " l’invention" de la bande dessinée pour adultes est ici un peu imprécise. A sa naissance, Pilote n’a dans ses rangs que des scénaristes et des dessinateurs qui sont de purs auteurs "jeunesse" ( en réalité, ils font de la bande dessinée destinée à tous les publics). Ils ne s’affranchissent de rien artistiquement au lancement du journal ; la différence essentielle réside dans le fait qu’ ils sont maîtres à bord et en cela la démarche est très novatrice. Ces auteurs ont essaimé dans Spirou, Tintin et bien d’autres illustrés . C’est en même temps qu’ ils créent ce journal sans d’ailleurs arrêter leurs autres séries en cours (Marc Dacier, Buck Danny, Oumpah-Pah…) Aucune des bandes dessinées présentes pendant quelques années dans Pilote ne peut être cataloguée "pour adultes".

    En revanche, on pourra constater un glissement progressif intéressant ; le journal a été lancé à grands renforts de publicité ; et on est loin de l’underground puisque c’est Radio-Luxembourg qui s’en est chargé . La particularité de Pilote au début de ces années 60 est de s’adresser en priorité aux adolescents. Le contenu éditorial de Pilote s’intéresse à leurs loisirs et à leur vie quotidienne. On cause musique, yéyés, presque people avant la lettre. La bande dessinée n’est qu’une constituante du journal .

    On assiste dans ces années-là ( notre fameux baby-boom produit son spectaculaire effet) à un mouvement culturel général pas du tout propre à la bande dessinée. Mais en BD c’est dans Pilote que ça se passe ! Les 2 grands « anciens » , Spirou ( qui n’a que 21 ans en 59 et Tintin à peine 13) continuent à privilégier les enfants. Ce ne sera pas dans le contenu des bandes dessinées que se définira l’identité de Pilote mais plutôt dans les textes , nouvelles, infos. C’est aussi en feuilletant le contenu publicitaire qu’on se rend compte de la ligne éditoriale et du cœur-de –cible. Mobylettes, chaînes hi-fi, transistors… En ce qui concerne la teneur des bandes dessinées des 4 ou 5 premières années, il suffit de voir la liste des séries présentes( Barbe-Rouge ou Tanguy et Laverdure par exemple) pour se rendre compte qu’elles auraient tout aussi bien pu figurer dans le catalogue Dupuis ou autre. D’ailleurs, on notera que Lucky Luke quittera Spirou pour rejoindre Dargaud. Quant à Charlier il est un des piliers de chez Dupuis et le restera encore longtemps avec par exemple Buck Danny ou la patrouille des castors .

    Apparaissent au fur et à mesure des auteurs comme Cabu, Reiser, Mandryka ou Fred.
    Ils sont parfois actifs dans d’autres supports mais ils atteignent ici un public considérable.

    C’est sur une partie de la décennie que Pilote va évoluer d’une manière significative et splendide. Ces mêmes auteurs ont littéralement mûri, la plupart n’étaient presque que des adolescents eux-mêmes en débarquant dans le magazine. Ils ont saisi qu’ils pouvaient parler de leur temps et ils l’ont fait avec talent et liberté ; C’est là ( bien avant 1968) que sont apparues les mutations. Je dirais même que ce sont ces artistes-là, musiciens, écrivains,cinéastes, graphistes qui ont amené une génération à réfléchir à leur environnement politique et social. Ce n’est pas 68 qui a créé ces gens-là, ce sont ces gens-là qui ont conduit à 68 .

    Dans le journal, très sage à ses débuts, l’ambiance se fait de plus en plus « libertaire ».On est dans le mouvement pré-hippie et forcément les auteurs écoutent des musiques, voient des films, lisent des livres. Ils arrivent "au compte-goutte" et petit à petit se constitue un groupe qui va s’amuser à réfléchir. Ce groupe ne va pas tarder à exploser une fois réuni. Goscinny a rassemblé tout ce petit monde en ouvrant la porte à tous les chevelus ; lui qui ne quittait pas son 3 pièces-cravate. Classe. Ils ne tarderont malheureusement pas , atmosphère du temps aidant ,à remettre son pouvoir en question.

    Les événements de 68 ont précipité les choses. Là, le journal a presque du jour au lendemain oublié les pré-ados pour parler du monde d’une manière adulte, un temps militante ou presque. On trouvait dans Pilote des images de ce qui passait dans la vraie vie. La périodicité hebdomadaire permettait dans sa partie « actualité » un traitement quasi-à chaud de celle-ci.

    Les mouvements idéologiques ont fait glisser les ambitions et il y a eu de singuliers dérapages. Une espèce de lente mutinerie a eu lieu ; j’espère que la commémoration de ce cinquantenaire ne négligera pas cet aspect violent. Goscinny considéré comme un patron fut conspué , renié. Tout le monde sait que ça l’a beaucoup affecté.
    La satire , la caricature politique sont devenues très présentes. Même si les bandes dessinées classiques ont continué, le ton est devenu plus acide.
    Pendant que ces événements tragiques se déroulaient, Astérix ou Lucky Luke devenaient des succès planétaires . De formidables bandes dessinées naissaient dans ce terreau très fertile. Des personnalités éclataient ; des gens qui allaient vite se sentir à l’étroit .

    C’est quand les auteurs de Pilote quittent le journal pour aller créer le leur (vers 72 ou 73 pour les premiers ) qu’à mon avis naît vraiment cette bande dessinée pour adultes. Celle où on allait voir les poils ! Outre la débauche d’images de sexe , on pourra sentir le vent d’une folle liberté affranchie des codes et de la censure ; avec certains excès mais quelle jouissance !

    L’environnement politique et social a amené les artistes à se positionner dans la "société" (terme très à la mode à l’époque). Pour ma part, j’ai la sensation que Pilote poussait les auteurs à être de véritables journalistes ; ce qui s’est passé bien plus tôt aux Etats-Unis avec Mad ou avec les bandes dessinées de Crumb s’explique par le fait que la bande dessinée en France et en Belgique s’adressa dès ses débuts en priorité aux enfants ; alors que c’est dans les journaux d’information américains qu’ont été créés les plus célèbres personnages .

    Pilote aura donc servi entre autres choses de terrain d’expérimentations, un lieu de maturation sous l’égide des plus célèbres scénaristes. Les auteurs qui ont littéralement fait leurs classes dans cet établissement joyeux et polymorphe sont presque tous sortis avec grande distinction. De là découlera la création d’autres journaux ; certains très éphémères mais pourtant essentiels comme Mormoil où des auteurs comme Boucq publient leurs premiers travaux. La filiation est assurée.

    Pilote n’a donc ,selon moi, pas été le journal de la révolution mais il a été un laboratoire , le maillon essentiel entre l’ancienne et la nouvelle façon de voir la bande dessinée.

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    • Répondu le 19 juin 2009 à  21:57 :

      C’est long, trop long, mais intéressant.

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      • Répondu le 20 juin 2009 à  09:42 :

        En résumé, Pilote est un journal qui a grandi avec son lectorat.
        Pour les détails, se référer au documentaire dont parle l’article.

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        • Répondu par Canada le 28 janvier 2010 à  00:23 :

          Existe-il un livre qui parle du magazine Pilote ?

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