La norme s’installe au niveau mondial. Face au schématisme industriel des mangas japonais et des comics américains qui constitue, à quelques exceptions près, une sorte de fast-food graphique, la façon de faire de la bande dessinée francophone, qui se caractérise le plus souvent par un travail d’auteur élaboré pendant plusieurs mois dont la démarche artistique dépasse, et de loin, la simple dimension distractive et commerciale, tandis que l’objet imprimé s’avère de plus en plus sophistiqué, cette norme donc est en train de s’implanter tout doucement au niveau mondial, en particulier en Asie.
Oh, bien sûr, nous ne parlons pas ici de millions d’exemplaires, ni d’un vrai succès "populaire", mais d’une réelle présence culturelle et commerciale dans un secteur haut de gamme, comme le serait celle du luxe dans le domaine du textile ou de la parfumerie.
Pour preuve cet article du Asahi Shimbum (l’un des plus importants quotidiens japonais), publié dans la rubrique "animation", qui signale qu’un jury japonais a porté Les Cités obscures de Benoît Peeters & François Schuiten (Ed. Casterman) sur la première marche des meilleures BD étrangères publiées dans l’archipel. Devant Superman : Red Son de Mark Millar et... Muchacho d’Emmanuel Lepage (Ed. Dupuis) qui occupe une bien jolie troisième place dans une liste de 66 nominés surtout composée de comics américains (Walking Dead, Batman... mais aussi des romans graphiques comme Habibi de Craig Thompson) où figuraient aussi d’autres titres franco-belges comme Les Schtroumpfs, Blueberry, Léon la Came de Sylvain Chomet & Nicolas de Crécy, 3" de Marc-Antoine Mathieu, Le Sommeil du Monstre de Bilal, le Nietzsche de Onfray & Le Roy, ou Au-delà des nuages de Hugault & Hautière.
L’album de Peeters & Schuiten est édité au Japon par ShoPro, une joint-venture entre Shueisha et Shogakukan, les deux plus gros éditeurs japonais.
Cette distinction est concomitante avec la présence de Benoît Peeters et François Schuiten dans une tournée au Japon qui a eu lieu en novembre dernier. Un événement organisé par le Kaigai Manga Festa où figuraient également Emmanuel Lepage et Bastien Vivès. Entre les conférences de Benoît Peeters à l’université de Gakushuin (sur Töpffer, dans le cadre d’un colloque sur la perception du corps dans la bande dessinée) et un débat de Schuiten avec des architectes sur les cités utopiques à l’Institut Français de Tôkyô, nos auteurs ont eu le temps de faire des rencontres publiques avec Otomo (le créateur d’Akira, le premier grand succès du manga japonais en France), avec Urasawa (XXe Century Boys, Monster, Pluto...) et bien entendu le classique Taniguchi que Peeters défend depuis des années au sein des éditions Casterman.
Devant ces succès belgo-hexagonaux, on ne peut que penser au statut du Nouveau Roman et de la Nouvelle Vague au Japon, où ces mouvements sont quasiment cultes et durablement implantés. Une perspective encourageante plutôt bienvenue par les temps qui courent...
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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