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Les Périples d’Hugo Pratt

Par Charles-Louis Detournay le 4 janvier 2014                      Lien  
Comme chaque année, Hugo Pratt réinvestit les étals des libraires, tel un maître adoré qui conserverait des secrets jalousement gardés qu'on n'aurait de cesse de percer.

Une fois n’est pas coutume, Casterman n’est plus le seul à arborer l’étendard du maître de Venise pour affoler les amateurs toujours en quête de redécouvrir ses mystères. En effet, Futuropolis continuent à publier des épisodes du Sergent Kirk, filon qui semble inépuisable, alors que l’aiguillon Rue de Sèvres s’était invité quelques temps plus tôt dans la partie, avec un Fanfulla aussi bouleversé que bouleversant.

Casterman demeure leader

On connaît le partenariat qui liait Casterman à Hugo Pratt et qui se prolonge jusqu’à aujourd’hui avec ses héritiers au travers de la Cong SA, chargée de régir les droits de son œuvre. Avec un volontarisme assumé, chaque fin d’année semble le moment propice pour les éditeurs de proposer de nouveaux recueils de ses travaux. 2013 n’a pas fait exception à la règle, avec la publication des Périples éblouis.

Ce concept de “périples” n’est pas nouveau. On se rappelle que, dès 2005, à l’occasion du 10e anniversaire de la disparition de l’auteur, Casterman avait publié des Périples imaginaires regroupant des aquarelles réalisées entre 1965 et 1995 sur plus de 450 pages.

Ils étaient suivis, en 2009, par des Périples secrets en écho à la grande exposition Pratt programmée à Cherbourg au printemps 2009, un autre recueil presque aussi épais que le premier et qui illustrait différentes techniques utilisées par Pratt tout au long de sa carrière : encre de chine, fusain, gouache, etc. C’était l’occasion de mieux comprendre l’évolution de son trait vers cette forme épurée, de plus en plus évocatrice : "Je voudrais arriver à tout faire comprendre avec une seule ligne", disait-il.

Périples éblouis est donc le troisième mouvement de cette exploration méticuleuse du travail de Pratt. L’angle choisi est de se focaliser exclusivement sur ses bandes dessinées en noir et blanc de Pratt : Corto, Ernie Pike, Fort Wheeling, mais aussi des récits moins connus comme Fanfulla, Sandokan et quelques d’autres.

Plutôt que de traiter cette technique, majeure chez Pratt, de façon chronologique comme précédemment, l’éditeur propose cette fois une exploration thématique assez large : cela va de la neige au désert, de l’effroi aux temps morts, des cimetières aux mouettes. Cette approche peut déconcerter, mais elle permet de regrouper en quelques pages des moments forts de bande dessinée. On repose le recueil pour en apprécier la saveur, avant de reprendre un peu plus tard son voyage intérieur .

Les Périples d'Hugo Pratt
Comme les précédents, cet imposant recueil est disponible en version brochée et cartonnée.
Ed. Casterman

Cette approche noire et blanche constitue, on le sait, la quintessence de Pratt, ce qui a déterminé son style, ses combats, ses sauts, ses moments suspendus. On passe tour à tour d’un extrait incontournable à un autre plus méconnu, à la reproduction très fidèle d’un original, qui permet d’apprécier où étaient posés les traits, comment le dessin pouvait se construire. Bien que moins surrenant que ses prédécesseurs, Périples éblouis invite souvent à suspendre cette exploration pour aller relire un album qui nous a marqué, avant d’en reprendre la lecture.

Ce recueil trilingue (français-anglais-italien) propose également une synthèse chronologique des séries et des histoires de Pratt. Sans illustration, elle brosse toute la carrière de l’auteur. les amateurs ont de quoi saliver quand on considère le nombre considérable d’inédits en version française.

Les amateurs de travaux inédits ou peu connus n’auront pas été oubliés, car on retrouve à la toute fin de cet imposant recueil de plus de 450 pages des témoignages rares de son travail. Des extraits de sa période argentine, antérieures aux années 1960, permettent de mieux comprendre l’influence de Milton Caniff sur le jeune dessinateur italien, mais c’est aussi l’occasion de découvrir des travaux de jeunesse sans doute ici publiés pour la première fois en France.

Ce début janvier voit la publication du tome 2 de la nouvelle mouture des Scorpions du désert.

Enfin, le dernier chapitre réserve quelques pépites, telles des planches inédites d’Ann de la Jungle et d’Ernie Pike, mais aussi des histoires inachevées comme ceGenghis Khan ou ces 17 planches de storyboard assez poussés pour un projet télévisé, où l’on retrouve les prémices de Jesuit Joe avec un personnage principal ressemblant étrangement à Pratt lui-même.

Concernant Corto Maltese, on s’attardera sur les débuts d’un récit présentant le marin défendu par Gandhi, un épilogue inédit de Burlesque entre Zuydcoote et Bray-Dunes ainsi que le storyboard d’une nouvelle aventure à Venise. Si certaines bandes avaient déjà été présentées dans les récentes éditions de La Jeunesse de Corto et de Jesuit Joe, on clôture ce beau recueil avec le dernier travail de Pratt : L’Histoire de l’homme aux six jambes commandé par la société pétrochimique Agip et jusqu’ici uniquement disponible en version pirate.

Ceux qui sont attirés par les aquarelles du maître trouveront en outre leur compte avec le calendrier 2014 de Corto. Mouettes, océan, indigène et palmiers : dépaysement garanti !

Rue de Sèvres, le challenger ?

Le rachat de Casterman par le groupe Flammarion avait fait des vagues, Louis Delas quittant son poste de PDG pour créer un nouveau label de bande dessinée, Rue de Sèvres, au sein de son entreprise familiale L’École des Loisirs. Est-ce dû aux contacts qu’il entretenait avec la Cong ? La jeune structure créa la surprise en publiant d’entrée un classique de Pratt qui n’avait pas été réédité depuis 25 ans : Fanfulla, que nous avons déjà présenté en détails dans ces pages, tandis que notre collaborateur et distingué "prattologue" [Florian Rubis nous en présentait la genèse.

Quoiqu’il en soit, même si Rue de Sèvres nous annonce pas de livres de Pratt pour 2014, cette saine rivalité éditoriale pourra peut-être ramener aux amateurs davantage d’albums sous les feux des projecteurs.

Futuropolis, l’outsider

Vertige Graphic, devenu une structure éditoriale aléatoire, ne publie plus d’ouvrages d’Hugo Pratt depuis quelques années [1], Futuropolis est le troisième label à explorer son univers. On pouvait penser que le 4e tome des intégrales de Sergent Kirk paru en 2010 chez Futuropolis serait le dernier : plus de 800 pages nous avaient été proposées contre moins de 500 pour l’édition précédente aux Humanos.

Sébastien Gnaedig, l’éditeur de Futuropolis, nous en avait expliqué les dessous : "Cette série a été dessinée durant les années 1950 lorsque le père de Corto Maltese était en Argentine. Il aurait alors réalisé près de 5000 planches pour la revue Misterix. À la fin des années soixante, un éditeur italien lui a proposé de monter un magasine autour du personnage du “Sergent Kirk”. Hugo Pratt lui-même a fait le montage et le nettoyage des films, en réécrivant au passage certaines scènes selon ses préoccupations de l’époque. L’œuvre a été condensée en neuf cents planches. L’éditeur italien a pris dernièrement sa retraite. Il a remis à Patrizia Zanotti l’ensemble des films. Les Humanoïdes Associés n’ont pas eu accès à ces documents lorsqu’ils ont publiés “Sergent Kirk” en 1984. Ils travaillaient sur des photogravures douteuses. Nous nous retrouvons aujourd’hui en possession d’un matériel impeccable."

Le chapitre "Chemin de Sang" était incomplet : il manquait au moins une page... Des recherches auprès de collectionneurs argentins ont permis de retrouver plus de 70 planches inédites depuis plus de 50 ans.

Contre toute attente, voici qu’un cinquième et dernier tome est publié, qui comprend près de 250 planches ! L’éditeur explique les raisons de ce petit miracle : "Nous ne sommes jamais au bout de nos surprises avec Hugo Pratt. Alors que l’intégrale de ce western d’Hugo Pratt, réalisé en Argentine dans les années 1950, et remonté en Italie en 1967, s’achevait, nous avons constaté qu’un récit semblait incomplet. Après avoir fait des recherches, il est apparu que le premier récit de ce volume n’avait jamais était publié en son entier dans la version italienne ! Des recherches en Argentine nous ont permis de retrouver plus de 70 planches en format horizontal, jamais republiées depuis plus de 50 ans. C’est donc un dernier tome réunissant une douzaine de récits de 8 à 80 planches, entièrement inédit qui est publié aujourd’hui."

Si Hugo Pratt n’eut jamais de scrupules à retravailler son œuvre, la présentation des pages inédites de Misterix permet d’appréhender le format original de cette publication : oblong, "à l’italienne". Signalons le soin que Futuropolis a apporté à la réalisation de ces intégrales. L’amateur d’Hugo Pratt ne s’y trompera pas !

L’efficacité et la force du rendu des visages continuent de sidérer, près de 60 ans après leur réalisation.

Force est de constater que la pluralité des éditeurs permet multiplier les points de vue et les approches de l’œuvre de l’auteur de Corto Maltese. On ne s’en lasse pas !

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Lire nos récents articles sur Fanfulla : notre chronique et la tribune de Florian Rubis : Fanfulla, redécouverte d’un as du full combat pour les dames !

[1Notons toutefois la parution récente de la troisième partie de la biographie romancée Hugo Pratt, un gentilhomme de fortune.

 
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2 Messages :
  • Les Périples d’Hugo Pratt
    10 janvier 2014 23:23, par juju

    Apparemment Futuropolis ne publie pas l’intégralité de "Sergent Kirk", dommage...
    Des infos ici : http://bdzoom.com/68937/patrimoine/immortel-hugo-pratt/

    Répondre à ce message

    • Répondu par Charles-Louis Detournay le 11 janvier 2014 à  03:27 :

      Oui, il aurait été plus juste de parler de l’intégrale des épisodes remontés par Pratt lui-même pour la série Sergent Kirk. Il reste encore du travail pour revenir aux premières publications, et l’exemple donné dans cette ’dernière’ intégrale est assez éloquent.

      Par contre, je ne m’explique pas non plus cette absence de La Longue Chasse... Un oubli malheureux ?

      Répondre à ce message

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