Nous le rappelions dans un précédent article qui a valu un flot de commentaires bien sentis, Seron a été la victime consentante d’une époque où la bande dessinée belge cherchait à prolonger le souffle magique de ses fondateurs, sans vraiment y parvenir. Le mimétisme de son travail avec l’œuvre de Franquin et des classiques de l’école de Marcinelle est patent, y compris dans cette cinquième intégrale qui regroupe les volumes 11 à 14 de la collection : un seigneur féodal qui a des airs de Maltrochu, des soldats sortis tout droit de l’armée de Zantafio, des engins volants dérivés de ceux de Zorglub, des intérieurs modernes dignes de Modeste & Pompon, un dinosaure sorti du Mézozoïque... Nous sommes dans une perpétuation des codes -perçus comme une recette de potion magique mais sans la magie qui va avec.
En quoi cette manière a-t-elle été l’objet d’une telle vindicte et non celle, autorisée, de Tome & Janry ou celle, parodique, d’un Yves Chaland qui, les uns et l’autre, ont marqué les années 1980 ?
Sans doute en raison du projet artistique qui les sous-tendait : Tome & Janry étaient dans la préservation d’un patrimoine qu’il fallait renouveler de l’intérieur sous le regard sourcilleux des fans ; Chaland dans la déconstruction post-moderne d’un graphisme qui avait été un apport majeur à la bande dessinée francophone.
Mais il y a autre chose : Les sous-Franquin ont pullulé depuis, preuve de la durable influence de l’auteur de Gaston, mais Seron resta le symbole d’une génération d’artistes dévoyés au service du projet commercial de la famille Dupuis qui était de figer le "style Spirou" qui avait fait la fortune de ces fondateurs comme une grammaire que l’on pouvait dupliquer à l’envi.
C’est l’époque où, dans l’esprit des entrepreneurs de Marcinelle, les Snorkies de la filiale audiovisuelle de Dupuis, la S.E.P.P., ambitionnaient de succéder aux Schtroumpfs, où Les Tuniques bleues devaient remplacer le trou béant laissé par Lucky Luke, Cédric celui de Boule & Bill, tandis que Spirou était confié à un chef-animateur de Belvision imposé par José Dutillieu, Nic Broca...
Objectivement, toutes ces tentatives ne se sont pas soldées par des échecs et, même si certains esthètes font la moue, elles ont accompli peu ou prou leur mission : celle d’offrir une survivance de cette "école de Marcinelle" dont on retrouve les traces aujourd’hui aussi bien dans le catalogue Bamboo que dans... Astérix.
Peut-être est-ce du aussi à l’isolement volontaire d’un Seron qui, très tôt, refusa de parler aux journalistes en raison de ce procès permanent qui lui était fait. Cette absence de communication est palpable dans une interview qu’il accorde à Télémoustique en 1982 (et reproduite en introduction de cette 5e intégrale) : "... je n’aime pas ce vedettariat basé sur l’auteur. Que l’on fasse la promotion de mes personnages, c’est normal, et, bien sûr, j’apprécie. Mais le lecteur se fiche pas mal de savoir qui est Seron et quelle tête il a..."
Le résultat est une communication déséquilibrée qui va à contre-courant d’un marché de la BD qui valorisera particulièrement, en revanche, dans les années à venir, ce vedettariat tant abhorré par le dessinateur.
Du coup, les dossiers qui accompagnent ces volumes sont singulièrement démunis d’informations de première main et on a recours dans cette intégrale à une interview (comme toujours intéressante mais tellement peu éclairante sur l’oeuvre) de Vittorio Léonardo, le coloriste des Petits Hommes, pour étayer l’analyse d’un travail qui a marqué une génération de lecteurs. Dommage.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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